La fin de l’ère Nétanyahou?

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La droite israélienne divisée sur la question des privilèges accordés aux ultraorthodoxes


Israël va aux urnes mardi pour la 22e fois depuis sa fondation en 1948. Mais c’est la toute première fois que deux élections générales se tiennent en une même année pour renouveler la Knesset (le Parlement).




Après la consultation populaire d’avril dernier, le premier ministre Benyamin Nétanyahou, au pouvoir de façon ininterrompue depuis 2009, n’avait pas réussi à assembler une majorité dans un Parlement élu à la proportionnelle intégrale, où une bonne douzaine de partis se retrouvent régulièrement.


Mais ce printemps, pour la première fois depuis des années, aucune combinaison « droite et extrême droite » n’avait été trouvée dans les délais. La gauche laminée, le processus de paix israélo-arabe enterré, les députés arabes isolés, l’opposition centriste, même revigorée sous la houlette du militaire Benny Gantz, n’avait pas de majorité alternative.


Et surtout : un petit parti, celui de l’ex-ministre des Affaires étrangères d’origine bélarusse Avigdor Lieberman refusait, contre toute attente, de dire « oui » au vieux patron du Likoud au pouvoir.


Pourtant, au cours de la dernière décennie, Nétanyahou avait toujours réussi, d’une élection à l’autre, à forger des assemblages qui dérivaient toujours plus vers la droite. Il a fait entrer au gouvernement des extrémistes religieux, des antipalestiniens radicaux et des intransigeants sécuritaires, finissant toujours par trouver une combinaison qui atteignait ou dépassait le chiffre magique de 61 [la Knesset compte 120 députés].


Au moins trois facteurs expliquent aujourd'hui l’affaiblissement d’un premier ministre qui avait fini par paraître tout-puissant et invincible, à l’interne comme à l’international. Cet affaiblissement pourrait, cette fois, lui coûter la victoire, donc le pouvoir, et même… le mener en prison.


L’extrémisme religieux au pilori


Dans son habileté cynique à assembler à la fois des intégristes religieux, des néolibéraux économiques et des expansionnistes territoriaux, Benyamin Nétanyahou avait su exprimer et encourager le raidissement identitaire et l’intransigeance stratégique des juifs israéliens, dans la foulée des sanglants attentats palestiniens du début des années 2000, qui avaient profondément traumatisé la société.


Ce faisant, il a marginalisé la gauche [le Parti travailliste n’est plus aujourd'hui que quantité négligeable, à moins de 5 % d’appuis en avril] et il a provoqué un déplacement massif de l’opinion publique vers la droite et l’extrême droite. Un déplacement dont il a impunément profité… jusqu'à maintenant.


Mais cette fois, l’obstination de Lieberman, son vieil allié venu d’Europe de l’Est, l’homme du vote ethnique russe, le « dur de dur » antipalestinien et expansionniste, a décidé de briser cette alliance.


Il l’a fait en s’attaquant, lui le laïc, à des extrémistes d’un autre ordre : les fondamentalistes religieux, représentés par les partis du Judaïsme unifié de la Torah (ashkénaze) et Shas (sépharade).


Avigdor Lieberman parle dans un micro la main levée en signe d'arrêt.

Le parti d'Avigdor Lieberman, Israël Beytenou, risque de brouiller les cartes aux élections législatives de mardi en Israël.


Photo : Reuters / Nir Elias




Lieberman a décidé de mener une bataille contre les privilèges des « ultras » religieux dans la société israélienne. Exemptés de service militaire, ils reçoivent de généreuses subventions qui leur permettent, par exemple dans le quartier de Méa Shéarim à Jérusalem, de nourrir leurs nombreuses familles et de se vouer essentiellement à l’étude de la Torah, le texte sacré des juifs. Sans oublier leur mainmise directe sur la législation en matière d’alimentation [le « casher »] et de mariages, notamment.


L’attaque a fait mouche : le parti de Lieberman, Israël Beytenou, affaibli en avril à 4 % des voix [et seulement cinq députés], doublerait maintenant ses appuis selon certains sondages, tandis que les privilèges exorbitants des ultraorthodoxes, longtemps objet d’un consensus tacite et d’un silence plus ou moins consenti, sont désormais dans le collimateur et objet d’un débat ouvert.


Le vote arabe unifié et mobilisé


On l’oublie souvent, mais un cinquième de la population d’Israël est arabe. Des citoyens de second ordre, qui n’ont pas les mêmes droits que leurs concitoyens juifs, mais qui ont tout de même le droit de vote et le droit de former des partis politiques.


Marginalisés par une série de facteurs – mise à l’écart par le reste de la société politique, accusations régulières de trahison, faible participation des citoyens arabes aux élections, dispersion des politiciens arabes entre plusieurs formations –, les Arabes israéliens n’ont que 10 députés sur 120 dans l’actuelle Knesset.


Pour l’élection du 17 septembre, les trois formations traditionnelles arabo-israéliennes ont décidé de s’unir sous une seule bannière avec l’espoir de mobiliser un vote « ethnique » ou communautariste conséquent [plus, qui sait, une poignée de « super-colombes », électeurs juifs d’extrême gauche rarissimes, mais non inexistants], et avec pour objectif de doubler la députation actuelle.


Qui plus est, le leader de cette nouvelle Liste arabe unie, Ayman Odeh, est allé jusqu'à déclarer qu’il envisageait d’appuyer une coalition de centre gauche, voire à s'y joindre, si Benny Gantz et son parti « Bleu et Blanc » cherchaient sérieusement à concocter une majorité pour déloger le pouvoir actuel.


Bien entendu, Benny Gantz n’a pas répondu positivement à cette ouverture – les politiciens arabes restent fondamentalement des pestiférés pour la majorité des Israéliens. Qui sait si une telle arithmétique ne finira pas par s’imposer… si l’objectif est vraiment d’évincer Nétanyahou à tout prix?


Benny Gantz parle sur une scène.

Benny Gantz est le chef du parti Bleu et Blanc.


Photo : Associated Press / Oded Balilty




La justice contre Nétanyahou


Cela dit, le principal ennemi du premier ministre sortant, à qui tout (ou presque) avait souri depuis 10 ans, c’est peut-être aujourd'hui lui-même.


Il y a le fait que la grande course ininterrompue vers la droite et l’extrême droite depuis le début du XXIe siècle en Israël [expansionnisme territorial, approche ultrasécuritaire, gel du processus de paix, cour assidue auprès des ultrareligieux], qui est le fondement de toute la stratégie de Nétanyahou à laquelle il s’accroche, touche aujourd'hui à ses limites et à sa fin. Le Likoud a-t-il encore des réserves de voix?


Surtout, il y a la corruption presque inévitable qu’entraîne un pouvoir aussi dominant que celui de Nétanyahou pendant toute une décennie.


Depuis deux ans, les « affaires » se sont multipliées autour de lui et de sa famille : trafic d’influence, cadeaux sous le tapis, achat de couverture complaisante contre privilèges, etc.


Des « préinculpations » ont été déposées et, si elles se transformaient en de véritables inculpations – ce qui est plausible, dès les prochaines semaines –, il ne pourrait plus siéger, selon la loi israélienne actuelle.


Benyamin Nétanyahou voulait une élection rapide, entre autres, parce qu’il a encore l’espoir de faire changer la loi pour se mettre à l’abri des poursuites, en protégeant, par exemple, les privilèges des ultrareligieux en échange de leur appui à la Knesset sur ce point.


Mais il n’est plus sûr que « l’invincible » Benyamin ait aujourd'hui dans ses mains toutes les cartes qu’il avait encore il n’y a pas si longtemps. Sur plusieurs fronts à la fois, l’étau se resserre autour de lui.


Survivra-t-il au vote populaire? Début de réponse mardi soir.




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