La crise financière qui secoue les États-Unis est, en soi, aussi grave que celle de 1929. Il y a un risque réel d'effet domino où les institutions en difficultés entraîneraient dans leur débâcle l'ensemble du système financier, et l'économie. Quand le président Bush, solennel, dans son adresse à la nation de mercredi soir, a affirmé que «notre économie est en danger», il n'exagérait pas.
Et pourtant, je me range dans le camp des optimistes. Comme le président de la Banque Nationale, Louis Vachon, qui rencontrait La Presse plus tôt cette semaine. Je crois que les États-Unis sont capables d'enrayer cette crise. Et je crois aussi que le Canada sera relativement peu affecté par ce qui se passe au sud de nos frontières.
On évitera très probablement la catastrophe. Mais j'espère qu'on n'évitera pas les bilans. Parce que ces événements symbolisent la faillite d'une culture économique et d'une façon de gouverner.
L'optimisme est possible parce qu'il y a une grande différence avec 1929... Et c'est que nous sommes en 2008. Nous avons des connaissances, et surtout, des outils, notamment l'État, infiniment plus puissants qu'il y a trois quarts de siècle.
Le plan de sauvetage de 700 milliards, concocté par la Maison-Blanche, est colossal. Il pourra fonctionner quand les membres du congrès se résoudront à lui donner le feu vert. L'idée, c'est d'injecter des capitaux pour assainir les finances d'institutions fragiles qui se sont trop étirées, avec des prêts et des investissements disproportionnés par rapport aux actifs dont elles disposaient, une situation devenue intenable quand la valeur de ces placements s'est mise à fondre. L'injection de capitaux permet de stabiliser le système financier et de restaurer le fonctionnement normal du crédit. Et d'empêcher les institutions de tomber les unes après les autres.
Cette débâcle et son coûteux sauvetage resteront dans les mémoires comme l'héritage domestique de George W. Bush. Un laisser-faire qui a mené au laxisme des organismes de surveillance et qui a encouragé la surutilisation du crédit. Une fuite en avant, dont l'exemple venait d'en haut, où l'on créait une richesse illusoire avec de l'argent emprunté. La réalité rattrape maintenant les Américains. Et dans un délicieux exemple de justice immanente, l'apôtre de la non-intervention qu'est le président Bush est forcé, dans un revirement humiliant, de proposer le projet le plus étatiste que son pays ait connu depuis 50 ans.
C'est aussi la faillite d'une culture, celle de la dictature des marchés financiers. C'est à travers la logique du monde financier qu'on a regardé l'économie depuis des années, avec sa recherche de succès rapides et l'attente de rendements déraisonnables. On voit maintenant que les marchés se comportent parfois comme une poule sans tête. Et que les gourous de Wall Street, aux rémunérations indécentes, qu'on admirait et qu'on écoutait, nous ont menés au bord du gouffre. J'espère qu'on s'en souviendra.
C'est pour cette raison que bien des Américains ont du mal avec ce sauvetage de 700 milliards. La droite républicaine n'accepte pas son interventionnisme. Et les plus populistes ne veulent pas qu'un dollar de cette aide, payée par M. et Mme Tout-le-monde, puisse permettre à un financier mal pris de se payer une Mercedes ou un voilier. On peut donc comprendre les pressions pour encadrer les rémunérations excessives dans le secteur financier. L'enquête du FBI sur des allégations de fraude s'inscrit dans cette même logique, essentiellement politique. Les gens voudront que quelqu'un, quelque part, soit puni.
Ici, les choses sont heureusement très différentes. D'abord, parce que notre système financier est différent : nous n'avons pas de banques d'affaires, pas d'effet levier déraisonnable, pas de bulle immobilière. Notre système financier, concentré et stable, n'est pas menacé de crise.
Les impacts seront indirects. La mauvaise tenue des marchés affecte les épargnes et les pensions. Et la dégradation de l'économie de notre principal client ralentira nos exportations. Cela nous touchera, mais pas assez, selon à peu près tous les spécialistes, pour transformer le ralentissement économique en récession.
Sur le plan politique, les répercussions seront aussi très différentes. Aux États-Unis, la faillite du système éclabousse les républicains et favorise Barack Obama. La gravité de la crise impose également des gestes précipités. Au Canada, les choses ne vont pas assez mal pour que Stephen Harper en subisse le contrecoup. Il n'y a pas non plus de situation d'urgence qui exige des réponses rapides.
Nos problèmes économiques sont d'un autre ordre, moins visibles et moins immédiats, comme la baisse de notre productivité. Un terrain où les conservateurs ne se sont certainement pas distingués, mais sur lequel leurs adversaires ne les ont pas encore affrontés dans cette campagne électorale.
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