La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) demande à la Cour supérieure de déclarer inconstitutionnel tout dénombrement d’enseignants portant des signes religieux. Ce faisant, le tribunal compliquerait drôlement la mise en vigueur de l’interdiction du port de signes religieux chez des employés de l’État, est d’avis le regroupement syndical. Bien qu’elle s’oppose également à un dénombrement, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) attendra pour sa part le dépôt du projet de loi sur la laïcité de l’État, attendu pour jeudi, avant d’entamer une riposte.
« Il y aurait dénombrement, il y aurait recensement pour que le droit acquis [prévu pour dispenser les employés actuels de l’obligation de retirer tout signe religieux] puisse s’appliquer », a indiqué le président de la FAE, Serge Mallette, lors d’une conférence de presse mardi.
M. Mallette s’en est pris à la sous-ministre de l’Éducation, Sylvie Barcelo, qui a demandé, fin janvier, aux commissions scolaires si elles possédaient des statistiques sur le nombre de leurs employés arborant des signes religieux.
Le ministère de l’Éducation avait demandé, en juin 2018, aux 2616 établissements : « Combien de personnes portent des signes religieux visibles ? » Près de la moitié des directions d’établissement y ont répondu, ce qui montre un « manque de jugement » grave, estime M. Mallette. « Ça témoigne de tout le mépris qu’elles peuvent avoir des chartes qui doivent nous guider, a-t-il lancé à la presse. Les chartes [des droits et libertés] sont claires : on ne peut pas identifier des individus sur la base de leur appartenance religieuse. »
Pourquoi prévoir une disposition de dérogation s’il [Simon Jolin-Barrette] est convaincu que son projet de loi respecte les chartes ?
Le regroupement de 43 000 enseignants du préscolaire, du primaire et du secondaire exprimera son opinion sur le projet de loi sur la laïcité après son dépôt à l’Assemblée nationale. « Une poule, tu ne lui tords pas le cou avant de l’avoir dans les mains », a fait valoir M. Mallette, tout en promettant de « se battre bec et ongles pour défendre les droits des membres que nous représentons, qui portent ou pas un signe religieux ».
Le numéro un de la FAE met au défi le ministre Simon Jolin-Barrette de ne pas inclure de disposition de dérogation dans son projet de loi, afin de le mettre à l’abri de contestations judiciaires en vertu des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne. « Pourquoi prévoir une disposition de dérogation s’il est convaincu que son projet de loi respecte les chartes ? » a-t-il demandé.
À la CSQ
En entrevue avec Le Devoir, la présidente de la CSQ, qui représente environ 130 000 membres dans le secteur de l’éducation, voit dans un dénombrement des enseignants portant des signes religieux une « atteinte aux droits et libertés ». « Si le gouvernement voulait dénombrer à nouveau les enseignants qui portent des signes religieux, la CSQ s’y opposera », a assuré Sonia Éthier.
De toute façon, il existe de sérieux problèmes avec une éventuelle clause de droits acquis (dite clause « grand-père ») pour laquelle cette identification deviendrait nécessaire, selon Mme Éthier. Un enseignant qui change d’école pourrait-il toujours en bénéficier ? À partir de quel moment l’interdiction entrerait-elle en vigueur ? « Qu’allons-nous dire à une étudiante portant le voile, qui arrive à la fin de ses études, qui a déjà investi temps et argent ? » a-t-elle demandé.
De l’avis de la présidente de la CSQ, il ne faut tout simplement pas interdire le port de signes religieux aux enseignants, qui ne disposent pas d’un pouvoir d’autorité. « Le personnel enseignant accompagne les élèves, il est un prolongement du rôle parental. Il ne peut pas enlever des libertés, comme le peuvent les juges ou les policiers. »
« On va examiner les possibilités pour contester après le dépôt du projet de loi, a promis Mme Éthier. Ça va trop loin. Ce n’est pas de ça que la population a besoin. Les écoles manquent de ressources, les signes religieux ne sont pas du tout notre priorité. »