La disposition de dérogation, un geste d’affirmation politique

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L'utilisation de la clause dérogatoire est justifiée pour empêcher les juges non-élus de la Cour Suprême de s'ingérer dans les affaires québécoises


En invoquant la disposition de dérogation à titre préventif, le gouvernement a agi de façon fort avisée, permettant ainsi au projet de loi 21 de demeurer dans le périmètre du politique, plutôt que de prendre, comme à l’habitude, le chemin des tribunaux. Protéger la souveraineté parlementaire au lieu d’abandonner son pouvoir à la Cour suprême pour décider du cadre laïque au Québec, voilà une attitude courageuse et responsable que nous devons saluer.


La judiciarisation du politique


Consacrant la primauté du droit individuel sur la démocratie parlementaire et la suprématie du juridique sur le politique, la Charte canadienne qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été entérinée par aucun gouvernement, a ainsi fait barrage à l’autonomie de l’État québécois dans sa volonté de définir son cadre laïque. Pensons, par exemple, aux nombreuses contestations devant les tribunaux dont les questions religieuses ont fait l’objet ces dernières années et pour lesquelles la Cour suprême a toujours eu le dernier mot.


En 1985, la Cour suprême a reconnu la notion d’accommodement raisonnable. Ce concept, qui est une invention du monde juridique, s’est par la suite progressivement imposé dans la sphère politique sans jamais y avoir été discuté.


En 2004, au sujet de l’installation des souccahs juives sur des balcons de condos, la Cour suprême a rejeté le témoignage d’experts et fait de la sincérité de la croyance un critère suffisant pour être protégé par la Charte. En 2006, la Cour suprême autorise le port du kirpan pour un élève sikh dans une école publique de Montréal.


En 2012, une décision de la Cour suprême confirme le caractère obligatoire du cours d’ECR, alors que des parents en demandaient l’exemption pour leurs enfants. Également en 2012, la Cour suprême n’interdit pas de témoigner en Cour avec un niqab dans le cas de causes criminelles.


En 2015, la Cour suprême dit non à la prière au conseil municipal de Saguenay. Toujours en 2015, la Cour d’appel fédérale autorise le port du niqab lors des cérémonies d’assermentation de citoyenneté.


En 2017, trois semaines seulement après l’adoption de la loi 62, une demande visant à faire suspendre l’article 10 de la loi, qui prévoit que les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert, a été déposée devant la Cour supérieure du Québec. Le 1er décembre, la Cour supérieure ordonne de suspendre l’article 10 alors qu’un jugement subséquent maintiendra la suspension de celui-ci.


Voilà comment depuis 1982, avec l’enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la Constitution canadienne, la démocratie parlementaire a été constamment mise en tutelle et inféodée aux décisions des tribunaux en matière de religion, donnant ainsi à la Cour suprême du Canada un pouvoir politique sans précédent. C’est ce que l’on appelle la judiciarisation du politique.


Ce qu’il faut retenir de tous ces jugements, c’est que la définition du cadre politique et juridique des rapports entre l’État et les religions a toujours échappé à nos élus et qu’ils ne peuvent retrouver cette prérogative qu’en invoquant la disposition de dérogation leur permettant de se soustraire à l’omnipotence des tribunaux.


Le droit à l’autonomie politique 


S’il est un droit qui soit fondamental entre tous, c’est bien celui pour un État de pouvoir assumer tous les pouvoirs nécessaires permettant de garantir l’avenir de la nation et de protéger les droits de tous les citoyens, y compris ceux en matière de laïcité.


Le recours à la disposition de dérogation dans le cadre du projet de loi 21 n’est pas une admission de la part du gouvernement que ce projet de loi viole les chartes, mais bien le geste politique réfléchi d’un gouvernement qui assume ses responsabilités plutôt que de s’en remettre aux chartes et aux tribunaux, comme l’ont toujours fait les libéraux depuis quinze ans.


S’il est une chose à laquelle s’attaque ce projet de loi, ce ne sont pas les droits fondamentaux inscrits dans les chartes mais bien le pouvoir extraordinaire et démesuré des tribunaux et de la Cour suprême pour définir le cadre laïque au Québec.


Pour le dire très simplement, cette disposition de dérogation fait en sorte que la question laïque, celle de l’indispensable séparation de l’État et des religions, ne soit pas confisquée par les avocats et les juges de la Cour suprême, mais bien débattue et tranchée par les députés, ceux que nous avons démocratiquement élus à l’Assemblée nationale le 1er octobre dernier.









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