Stéphane Dion a dit de la loi 101 qu’elle était une grande loi canadienne. Ce n’était pas la première intention de la loi 101, il va sans dire, et à cet égard, on peut dire qu’elle a été trahie.
Dans les faits, la loi 101 était une mesure temporaire. Vu l’agressivité du Canada, on peut s’attendre à ce que la loi 101 soit canadianisée de plus en plus jusqu’à son extinction éventuelle. Cela est prévisible car, fatalement, cette loi est et sera circonvenue davantage par la rationalité juridique canadienne. La minorisation des Québécois fera du français de moins en moins la langue première d’adoption pour exprimer ce que l’on nomme la diversité culturelle au Canada.
Jusqu’à présent la loi 101 était tolérée d’abord, dit-on avec pudeur, en autant que ces dispositions n’empiètent pas sur la charte des droits. En termes plus simples, cela signifie que le français a le droit de se proposer là où le nombre le justifie. Cela implique également que les individus canadiens ayant reçu une éducation en anglais ont le droit de recevoir cette dernière proposition comme bon leur semble. On peut dire que le français fait partie de la diversité culturelle canadienne qui se propose mais dont on dispose. Le présent chroniqueur l’a déjà écrit. Par la vertu des illusions et du charabia, on pense toujours que ça va s’améliorer et que la situation se corrigera en notre faveur.
Pour ce qui est de ce qui justifie la loi 101, il est clair, aux yeux des juristes, que c’est une mesure d’exception. Dans les jugements précédents, on parlait du déséquilibre existant entre les groupes francophones et anglophones au Canada. Cela donne lieu à une interprétation élastique selon laquelle la loi 101 tient son pouvoir d’un contexte. Elle peut s’appliquer moyennant l’accord des tribunaux dans la mesure où le français est vraiment menacé au Québec.
[Le juge Allan Hilton nous sert un jugement truffé de statistiques comme il avait l’habitude de le faire à la tête de son Alliance Québec->rub542]. Il donne un chiffre, il dit que ça représente une projection pour les dix prochaines années, pas de quoi représenter un danger exagéré selon lui. Il faudrait beaucoup plus d’étrangers que cela pour menacer le français au Québec, beaucoup plus d’étrangers choisissant l’anglais pour démanteler la société francophone au Québec.
Le degré de menace peut se faire estimer de façon aléatoire d’un jugement à l’autre. Pour un ancien représentant d’Alliance Québec, [la menace au] français vu comme langue d’usage et langue de travail serait franchement exagérée. Il n’est pas nécessaire d’en faire autant pour que le français soit à l’abri. La bonne diversité culturelle du droit canadien permet au français de briller comme un fruit exotique.
On s’est demandé si Allan Hilton avait bien représenté le droit où s’il s’était laissé aller à ses penchants d’ancien zélote d’Alliance Québec. Il s’est très bien acquitté des deux tâches car l’une n’exclut pas l’autre. C’est une vraie tentative d’esquive que de se demander si Allan Hilton, de par son passé, est habilité à rendre des jugements qui respectent la logique du droit. Bien sûr qu’il le peut puisque le droit est souvent une moralisation de la politique. Songez seulement aux personnages en scène pour harnacher la pratique du droit, Michel Robert et Allan Hilton, deux partisans forcenés de la régularisation et de la normalisation canadienne.
Allan Hilton vous dira qu’il aime bien la charte canadienne des droits. On n’y trouve pas de référence obligée à une idéologie ou l’appartenance à un parti. Le but premier de la chartre est de protéger le contact de chaque individu avec ses propres choix d’existence. La journée du jugement, Radio-Canada nous a présenté un Jordanien qui nous expliquait qu’il voulait pour lui et ses enfants le meilleur avenir en Amérique. Ensuite un des jeunes est venu corroborer: « English is a better language than French ». L’Anglais est la langue des bons choix dans l’existence. C’est bien parfait pour Allan Hilton qui a consacré sa vie à ce droit canadien qui garantit le choix.
On dit qu’il en va ainsi parce que c’est la seule manière d’être conforme à la pensée des droits de l’homme. Le léninisme aussi, incidemment, se présentait comme une politique des droits de l’homme. Par politique des droits de l’homme, on entend dans notre cas particulier le droit de la nation canadienne de se réintroduire partout comme objet de premier choix pour tous ceux qui estiment que leur appartenance à la nation dominante améliorera leurs conditions d’existence.
On applique le mot “choix” pour désigner ce que sont plutôt des mécanismes d’obturation qui font oublier une réalité, la nation québécoise. Tout le jeu avec la culture anglaise dominante et l’ordre social canadien, les polarisations très amples que cela représente, les exigences que cela impose aux immigrants et aux Québécois sont tenus sous le boisseau par ces prédicateurs du libre choix. Ils vont juste vous dire que le régime canadien mérite de sévir pendant plus d’un millénaire car il protège la seule chose que le droit doit garantir: la liberté pour les individus de chercher la liberté comme ils le peuvent.
Il suffit alors de nous montrer à la télévision un immigrant et son fils qui se disent qu’ils se sentent plus libres en anglais. Le juge Allan Hilton a vécu pour permettre à tous ceux qui le veulent de se sentir plus libres en vivant dans sa langue natale. Ce sont des états de service parfaits pour représenter le droit au Canada.
Pas une fois dans les livres de droit canadien ne lirez-vous que le but déterminé est de favoriser la nation dominante. On ne parle que des individus, leurs devoirs de garder la paix, d’avoir un cerveau souple et la colonne vertébrale bien droite. On parle aussi des inquiétudes symétriques des communautés culturelles en ce qui touche leur droit de propager leurs us et coutumes.
Le droit canadien s’exercerait pour défendre ces deux aspects du même précept de vie apte à réglementer la grande nation d’un océan à l’autre. On conçoit d’emblée que ce modèle juridico-politique permet inlassablement un recours aux tribunaux. Ce qu’on continue de reprocher à la loi 101 c’est d’empêcher d’exercer sur soi-même une maîtrise parfaite, être vraiment à soi pour soi.
Or, le modèle juridico-politique appuie ladite prétention tout en voulant, pour préserver la paix sociale, maintenir la loi 101 à titre d’arrangement en porte-à-faux. Les tribunaux évoquent la “réalité”, les “inquiétudes” de la minorité culturelle francophone. La « réalité », les « inquiétudes » sont deux références très peu porteuses d’avenir car elles constituent une mesure implicite afin de ne pas heurter de plein front la foule locale sans changer l’orientation générale du droit canadien. On doit d’ailleurs forcément parler de foule locale, de ses “inquiétudes” et de sa “réalité” puisque la nation québécoise est un sujet de non-droit. Cela, le présent chroniqueur le répète car on ne le dira jamais assez.
Et pourquoi ces inquiétudes? Un magistrat ne peut pas parler explicitement des distorsions du droit canadien puisqu’il a mission de l’administrer. Il ne peut pas parler non plus de la nation québécoise puisque l’énoncé de Stephen Harper sur la nation québécoise dans un Canada uni n’ajoute pas la moindre petite clause, la moindre réserve propre à inspirer la fonction critique d’un magistrat. Il doit juste savoir que la loi 101 est un dispositif flottant, une fonction de lutte, une parenthèse voulue démocratiquement par la foule locale mais qu’on doit guérir, amputer, purger de ses irritants.
Le magistrat canadien, pour le moment, essaie de naviguer entre le droit des individus d’ignorer le français et le devoir implicite de préserver la paix sociale. Le critère de la paix sociale est davantage un critère réaliste qu’un critère de droit. Si un jour la multiplicité sociale qui sert de support au droit canadien prend de l’ampleur au Québec, ce ne sont pas les magistrats qui freineront le droit canadien et sa prétendue politique des droits de l’homme contre la loi 101. Pour eux, tant que les Québécois peuvent être rangés au musée parmi les choix susceptibles d’intéresser les individus, la politique canadienne des droits de l’homme suit naturellement son cours.
André Savard
À propos du jugement Hilton
La canadianisation de la loi 101
Le magistrat canadien, pour le moment, essaie de naviguer entre le droit des individus d’ignorer le français et le devoir implicite de préserver la paix sociale.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
27 août 2007Bonjour ,
Je comprends et partage le ton ulceré d'Andre Savard. Je comprends parfaitement qu'il veuille pour lui , ses enfants et ses compatriotes le droit et la possibilite réelle de choisir le Français, y compris encore et surtout pour les emigrants. De luter à armes egales.
Je suis très attentif au respect de la diversite culturelle dans le monde et en particulier au Quebec. Pourquoi ? Tout simplement parceque je suis demandeur de ce thème sur le Web . Vous allez comprendre pourquoi . Je me demande depuis longtemps si les langues officielles portent en elles leur poids de colonialisme, leur germe de mepris, d'indefference pour d'autres langues moins prestigieuses . Il se trouve que le Quebec est a l'origine des trois quarts des articles concernant le respect de la diversite culturelle. Ce qui est remarquable.
Il y a un phenomène très simple à analyser , celui du choix de la langue pour un emigrant. Le théorème est le suivant: Un emigrant choisira d'office la langue de la réussite matérielle et du pouvoir.
Si les emigrés se "sentent plus libres" en anglais c'est qu'ils ont très bien localisés la source du pouvoir. Et elle est à leurs yeux anglo-saxonne.
Je partage avec vous le combat de Don Quichotte. Le Quebec est riche il doit donc faire comprendre aux futurs "quebecquois" que "pour réussir" il faut parler français.
Cette analyse résulte de nombreuses études réalisées dans mon pays, sur le sujet. Mon pays c'est l'Occitanie, en gros le tiers sud de la France. Vers1960 les emigres italiens ; espagnols ou d'autres nationalités ont cesse d'apprendre les langues de leurs terres d'acceuil au profit du français. Pour reussir il fallait parler français. Et un emigrant est quelqu'un qui veut avant tout réussir et donc ne pas s'embarquer dans ce qu'il considère comme une voie de garage: parler un langage qui est taxé de patois , au mieux de langue de paysans, et d'arrièrés..
L'Etat français les a fortement encourage a laisser tomber les "patois locaux".
Cabrel , Max Galop , Coluche italiens de souche etc... sont devenus des celebrites françaises et fétées à ce titre pour avoir choisi la langue de Molière...
Aujourd'hui le midi occitan n'a plus aucune autonomie. La Provence , le Perigord , le Languedoc sont vendus par pans entiers aux étrangers. Il n'y a plus ici la moindre capacite de decision. Le budget de l'agglomeration de Toulouse 1000000 est environ le 1/100 de celui de Barcelonne. Paris decide en tout. Notre langue est un patois interdit a l'école et dans les medias.Pourtant selon une anquête récente 50% des habitants se definissent come occitan... Va savoir Jeanette!!! Les langues regionales reculent partout , même l'alsacien qui a pourtant l'assise germanique , ce dont se felicite Michel Rocard sur les antennes de France Culture. Bref nos langues regionales sont condamnées sauf si l'Europe intervient. Mais j'en doute, La France et la Turquie sont les deux derniers pays a refuser la carte des langues minorisées.
Alors quelle est la morale de cette histoire?
Au Quebec où je reconnais dans les accents de revolte de Mr Savard la revolte qui est la mienne.
En Occitanie ou le Français nous traite encore plus mal que ne le fait , ou que veut le faire l'Anglais dans la "belle province".
Et le plus beau dans tout çà , c'est qu'ici nos gouvernements de gauche comme de droite ont vendus les entreprises publiques , qui étaient le fleuron de l'industrie nationale... Savez vous qui possède plus de 50% des entreprises côtées au CAC 40 : des interêts canadiens , anglais et americains . La France n'avait pas les moyens à cette époque d'acheter ce qu'elle vendait pour suivre la mode Tatcher. Les gouvernant de l'époque le savaient , ils s'en foutaient. A présent c'est fait et il est impossible de revenir en arrière.
La morale est la suivante :
je vous invite à observer d'un oeil très critique les efforts de la France a l'Unesco concernant les droits de l'homme et ses lamentations gratuites pour le droit du français dans le monde , le français ne s'est jamais aussi bien porte en France ( ce n'est pas moi qui le dit mais un ethnologue renommé qui tire la sonette d'alarme pour les langues regionales) je formule tous les voeux pour que vous puissiez continuer de parler le français au Quebec encore longtemps.
Alam Fabre
Ps ; j'ai fait un blog tout en oc et après plusieurs semaines d'attente , le FAI m'a concede qu'il voulait bien faire une exception pour l'occitan... Merci le dieu des blogs.