Depuis le succès des États généraux du Canada français, qui s'étaient réunis au milieu des années 1960, la formule a pris des allures de panacée dans notre imaginaire collectif.
Y voir une bouée de sauvetage ne va cependant pas sans risque. Louis XVI espérait bien éviter la faillite de son royaume en convoquant les représentants des trois ordres à Versailles le 5 mai 1789. Il y a plutôt laissé sa tête.
Il y a cinquante-cinq ans, le nationalisme québécois était en plein essor, et les États généraux du Canada français avaient servi d'accélérateur. Refaire l'exercice aujourd'hui pourrait bien précipiter la chute du mouvement souverainiste — et de la chef du PQ — en braquant les projecteurs sur ses divisions.
Déjà, l'instigateur du Nouveau Mouvement pour le Québec, Jocelyn Desjardins, soupçonne le PQ de vouloir contrôler l'opération. Il n'a pas tort: pour Pauline Marois, il s'agirait d'un deuxième vote de confiance.
Le Québec de la Révolution tranquille était bien différent de celui d'aujourd'hui. À l'époque, aussi bien les souverainistes que les partisans d'un renouvellement du fédéralisme avaient pu se réclamer des conclusions des États généraux. Les positions sur l'avenir politique du Québec sont maintenant trop figées pour espérer le moindre consensus. De Chine, le premier ministre Charest s'est empressé hier d'opposer l'obsession souverainiste du PQ aux priorités économiques de son propre gouvernement.
Le président du Conseil de la souveraineté, Gérald Larose, qui s'est porté volontaire pour diriger les débats, est d'ailleurs bien placé pour mesurer les limites de la formule. Il y a dix ans, l'ancien président de la CSN avait accepté de présider la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec, que Lucien Bouchard avait jetée en pâture aux «purs et durs» de son parti. On ne peut certainement pas dire que le français s'en porte mieux.
Bernard Landry avait ensuite confié à Jean-Pierre Charbonneau le mandat de convoquer des états généraux sur la réforme des institutions démocratiques, qui avaient été présidés par Claude Béland. À l'époque, les trois partis représentés à l'Assemblée nationale appuyaient officiellement l'idée d'un mode de scrutin proportionnel. Aujourd'hui, seul Québec solidaire y est favorable.
***
Dans le climat actuel, des états généraux sur la souveraineté se transformeront à coup sûr en procès de la «gouvernance souverainiste» que Mme Marois a réussi à imposer au congrès d'avril dernier, mais elle n'a plus le choix.
La chef péquiste en est réduite à gagner du temps en espérant être sauvée par la cloche, c'est-à-dire par le déclenchement d'élections. Elle pourra demander au nombre grandissant de ses détracteurs de patienter jusqu'aux états généraux et espérer que la reprise de la session parlementaire rappellera à tous que l'ennemi commun demeure le gouvernement Charest.
Il pourrait cependant être trop tard. Pierre Curzi a franchi le Rubicon la semaine dernière en déclarant avec une brutalité rare qu'il attendait simplement le départ de Mme Marois pour briguer sa succession.
En réalité, la course est déjà commencée. Dès lors que M. Curzi est en piste, les autres prétendants n'ont pas d'autre choix que de s'organiser à leur tour, sous peine d'être pris de court.
Mme Marois connaît bien la musique: quand sa fidèle amie, Nicole Léger, avait réclamé une course à la succession de Bernard Landry en août 2004, François Legault avait eu tout le loisir d'ouvrir la machine. Bernard Drainville laissera sûrement à d'autres le soin de jouer les Brutus, mais on pourrait difficilement lui reprocher de prendre certaines précautions.
***
La seule des démissionnaires de juin que Mme Marois pourrait peut-être espérer convaincre de rentrer au bercail est Louise Beaudoin. Malgré son départ fracassant, on dit que la députée de Rosemont a certains regrets et qu'elle envisagerait de réintégrer le caucus si on lui permettait de sauver la face.
Son retour aurait une portée symbolique certaine. Jean-Martin Aussant incarnait certes la relève, mais il n'avait pas eu le temps de s'enraciner très profondément au PQ, tandis que Lisette Lapointe était largement perçue comme la voix de son mari. Mme Beaudoin, elle, était une sorte d'icône au PQ. Même si elle a jadis fait partie du cabinet de Pierre Marc Johnson, sa ferveur souverainiste n'a jamais été mise en doute.
L'enthousiasme avec lequel elle a accueilli les propositions de son collègue Bernard Drainville laisse croire qu'elle est «négociable». Le feu vert donné à la convocation d'états généraux de la souveraineté pourrait enrichir sa réflexion. Avec son expérience, il n'y a pas à s'inquiéter: s'il lui faut un prétexte, elle saura bien le trouver.
Encore faut-il «avoir les idées claires», comme dirait Jacques Parizeau. M. Aussant a raison: si les propositions de M. Drainville pour «faire de la politique autrement» ne sont pas dénuées d'intérêt, elles n'ont pas grand-chose à voir avec la souveraineté.
Une réflexion sur nos institutions démocratiques peut sans doute être utile, mais les lacunes de notre régime politique qu'il a mises au jour n'expliquent certainement pas pourquoi le PQ risque d'être rayé de la carte.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé