La Belgique toujours en sursis

La Belgique se défait par le “haut” et par le “bas”

Chronique de José Fontaine


La Belgique n’a toujours pas de vrai gouvernement, dix mois après les élections fédérales de juin 1997. Il est vrai qu’un gouvernement a été mis sur pied à la veille de la Noël 2007, mais c’était un gouvernement intérimaire qui a, en somme, préparé la mise sur pied d’un gouvernement supposé être “définitif”... au courant de la semaine prochaine. Jusqu’aux prochaines élections fédérales prévues en 2011, ce qui ne lui laisse que trois ans de vie qui risquent d’être difficiles puisque des élections dites “régionales” auront lieu en 2009. Or ces élections sont importantes parce qu’elles concernent les trois régions fédérées du pays dont les compétences sont très étendues et où se concurrencent les mêmes partis qu’au niveau fédéral.
Une autre difficulté, c’est le fait que les partis francophones et wallons ne voient pas d’un bon oeil le transfert de compétences du niveau fédéral aux Etats fédérés (même si certains politiciens wallons sont en réalité favorables à ces transferts mais ils ne sont pas écoutés pour l’instant). Une série de transferts ont déjà été décidés, comme en matière de sécurité routière et certains domaines économiques (l’implantation des grandes surfaces, les loyers...). Les partis flamands veulent plus de ces transferts, et le parti du futur Premier ministre a dit qu’il réexaminerait le résultat de sa participation au gouvernement en fonction des réalisations du gouvernement en matière de transferts de compétences aux Régions, dont il attend beaucoup et dont il est obligé d’attendre beaucoup en raison de son alliance avec un petit mais influent parti nationaliste flamand.
Il n’est pas inintéressant de donner une idée de l'importance respective de l’Etat fédéral et des Etats fédérés en Belgique. Charles Etienne Lagasse estime dans son livre sur les institutions de la Belgique et de l’Europe que, déjà aujourd’hui, les Etats fédérés (appelés Régions ou Communautés) disposent de 51% des ressources publiques pour exercer leurs compétences, contre 49% à l’Etat fédéral. Qu’en sera-t-il exactement si de nouveaux transferts de pouvoirs se réalisent? J’ai calculé (mais vraiment à la très grosse louche), que si les Etats fédérés faisaient monter leur pourcentage à 62 ou 63%, on devrait dire que la Flandre aurait politiquement et financièrement plus de poids que l’Etat fédéral lui-même (la Flandre, c’est 60% de la population belge contre, en gros, un peu moins de 10% pour Bruxelles et un peu plus de 30 % pour la Wallonie). Quand cette limite psychologique sera dépassée, que se passera-t-il? Je n’en sais strictement rien mais ce chiffre a de quoi donner à penser, même si beaucoup de Belges surtout en Wallonie évaluent mal l’étendue des compétences des Etats fédérés, comme la Wallonie qui vient de reprendre à son compte l’ensemble des dettes des communes wallonnes (ce qui se traduit en centaines de millions d’€, plus de 600 millions rien que pour Liège et Charleroi, les deux villes plus importantes avec un peu plus que 10% de la population wallonne).
La Belgique se défait par le “haut” et par le “bas”
Il faut aussi rappeler qu’en Europe, l’Union européenne s’est vue transférer des compétences venant des Etats membres, ce qui explique qu’en Belgique l’Etat-nation est “mangé” par le haut (l’Europe) et par le bas (les Etats fédérés belges).
En attendant, le futur Premier ministre a ébauché un accord entre les divers partenaires sur le survol nocturne de Bruxelles par les avions, problème qui empoisonne la vie politique depuis près d’une décennie, parce que l’aéroport de Bruxelles est situé en Flandre à 8 km du centre de Bruxelles et que, entre autres facteurs de rivalité, la région bruxelloise, souveraine en cette matière, édicte des normes de bruit plus sévères qu’en Flandre (mais ce n’est qu’un aspect de ce dossier très, très complexe). Si l’accord se faisait (et il y a des indices qu’il se ferait), cela renforcerait la crédibilité du futur Premier ministre, Yves Leterme, qui assurait depuis 1994 la présidence de la Région flamande et qui a été rendu responsable (à mon sens en grande partie à tort), de l’échec de la formation d’un gouvernement, mais qui semble aujourd’hui jouir de plus de confiance, notamment dans la classe politique, mais pas seulement là.
L’un des paradoxes évidemment, c’est que, au temps où nous sommes et à cause de la démocratie, la Belgique ne peut éventuellement disparaître que selon des procédures négociées entre les grandes forces sociales organisées (patrons, syndicats etc.), et les partis politiques wallons et francophones d’une part, flamands, de l’autre, wallons et francophones tels que les électeurs les renforcent ou les déforcent au gré des élections. A la question, posée en termes dramatiques les 6 derniers mois de 2007, à savoir si la Belgique va disparaître, on peut prudemment répondre que oui, mais cela prendra encore un temps certain.
J’ajoute que je ne vois pas très bien quelle autre solution serait possible que la croissance en pouvoirs des Etats fédérés: il me semble par exemple que l’idée d’une réunion de la Wallonie à la France, bien que, sur le papier, elle puisse se poser, n’a pas de vrais fondements, étant donné la nature strictement unitaire de l’Etat français et étant donné le fait que la Wallonie exerce sereinement des compétences de plus en plus nombreuses depuis 1980 et qu’elle en aura encore plus dans les années qui viennent. On ne voit pas pourquoi elle s’en dépouillerait et, par ailleurs, même les partisans de la réunion à la France évoquent parfois l’idée d’un traité d’union ou d’association de la Wallonie avec la France, ce qui n’entamerait pas la nature même des parties contractantes dans leur souveraineté.
En lieu et place d’une Belgique disparue comme entité morale ou symbolique, on aurait trois Etats liés et quasiment indépendants (Bruxelles, la Wallonie, la Flandre). On aurait ou, plus exactement, on aura car cette situation est déjà esquissée aujourd’hui à 51%...
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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