L’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau et six présumés complices ont été arrêtés tôt jeudi matin par l'Unité permanente anticorruption (UPAC).
Ces arrestations résultent d'infractions «graves» et de stratagèmes «intolérables» de financement politique, a déclaré le patron de l'UPAC, Robert Lafrenière. En conférence de presse, le commissaire Lafrenière a précisé que ce coup de filet était l'aboutissement de quatre ans et demi d'une «enquête marathon».
«Il est injuste et inéquitable d'utiliser les contrats publics comme outil politique et il est également intolérable d'utiliser le pouvoir de son influence pour favoriser des élections. Il en va de la confiance des citoyens envers leurs dirigeants et leurs institutions», a-t-il martelé.
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Les personnes arrêtées sont Nathalie Normandeau, son ancien chef de cabinet Bruno Lortie, l'ex-maire de Gaspé, François Roussy, trois membres associés à la direction de la firme de génie-conseil Roche, soit Marc-Yvan Côté (un ex-ministre libéral), France Michaud et Mario Martel, ainsi qu'un proche du Parti québécois, Ernest Murray.
Ils font face à diverses accusations pour complot, fraude envers le gouvernement, corruption, abus de confiance, trafic d'influence, pots-de-vin et usage de documents contrefaits. Les infractions se sont déroulées entre les années 2000 et 2012.
- La liste détaillée des accusations contre Nathalie Normandeau se trouve ici.
Financement contre des contrats
En outre, les projets d'enquête Joug et Lierre ont permis d'établir que la firme Roche aurait utilisé des prête-noms pour souscrire aux caisses électorales de partis provinciaux et municipaux, en échange de subventions et de contrats publics.
Certains ont reçu des avantages personnels comme des cadeaux. Pour un, l'ex-maire Roussy se serait fait payer des frais de voyage de plus de 7500 $ par la firme, à Saint-Malo, en France, au moment où la ville voulait se doter d'une nouvelle usine de traitement des eaux, en 2009.
«Roche avait un concept de développement des affaires relativement agressif et approchait des membres influents du gouvernement. On utilisait des stratagèmes frauduleux de financement politique et il y avait un retour sur l'investissement par des subventions et des contrats publics», a précisé André Boulanger, chef des enquêtes criminelles à l'UPAC.
Comparution en avril
Les sept accusés ont tous été appréhendés à leur domicile respectif vers 6 h, dans les régions de Québec, Charlevoix et en Gaspésie. Ils comparaîtront le 20 avril prochain, au palais de justice de Québec.
«Ces infractions sont graves, car non seulement elles sont en violation de la loi, elles mettent en péril les principes mêmes de la démocratie et de la bonne gestion des biens communs. Les contrats publics au Québec sont lucratifs et ils sont soumis à des règles strictes qui visent à favoriser une saine concurrence entre les entrepreneurs», a mentionné M. Lafrenière.
«Planètes alignées»
Quand on lui a demandé pourquoi cette rafle survenait le jour où le gouvernement Couillard présente son budget, le patron de l'Unité permanente anticorruption a simplement répondu que «les planètes étaient alignées» ainsi.
«Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a autorisé les dénonciations il y a deux jours et un juge a émis les mandats d'arrestation hier. Il fallait procéder», a-t-il dit, en rappelant que l'UPAC est «totalement indépendante» des pouvoirs politiques.
M. Lafrenière n'a pas écarté que d'autres enquêtes touchant le financement politique, visant notamment le Parti libéral du Québec, connaissent bientôt leur dénouement.
«Ce sont des enquêtes très complexes et on demande à la population d'être patiente.»
Son avocat surpris
L'avocat de Mme Normandeau, Maxime Roy, a confirmé au Journal avoir reçu un appel de sa cliente un peu avant 6 h 30 ce matin. Mme Normandeau a été conduite au poste de police, où elle serait toujours en milieu de matinée.
Ne voulant pas commenter l’état d’esprit de sa cliente, le juriste, qui a représenté Mme Normandeau lors de la commission Charbonneau, s’est dit très étonné de son arrestation.
«Je le dis sous certaines réserves, mais ayant longuement analysé les dossiers lors de la commission Charbonneau avec elle, je suis très, très surpris du dépôt d’accusations contre elle, a indiqué Me Roy au Journal. À mon avis, elle n’a absolument rien à se reprocher.»
Liens Normandeau et Roche
Lors de son témoignage à la commission Charbonneau, l’ex-vice-président de Roche, André Côté, avait expliqué que lorsque les projets de la firme de génie faisaient du «sur-place», celle-ci avait la possibilité d’obtenir «des rencontres» avec le cabinet du ministère des Affaires municipales.
Roche bénéficiait de telles rencontres privilégiées grâce à la «grande amitié» qui liait Bruno Lortie, le chef de cabinet de Nathalie Normandeau – ministre des Affaires municipales de 2005 à 2009 – et l’ex-ministre libéral Marc-Yvan Côté, alors consultant affecté au développement des affaires pour Roche. «On se servait de Monsieur Marc-Yvan Côté pour avoir une rencontre avec Bruno Lortie, a expliqué le témoin. La plupart du temps, le chef de cabinet n'était pas présent aux rendez-vous. «Seulement son subalterne et les analystes techniques du projet en question», a poursuivi André Côté.
Nathalie Normandeau avait jeté le blâme sur les firmes de génie-conseil lors de son témoignage à la commission Charbonneau. Selon Mme Normandeau, les firmes ont «perverti son engagement politique sincère et senti» en finançant illégalement son parti.
Se disant «révoltée» par tout ce qu'elle a pu apprendre devant la commission, Mme Normandeau avait déploré le fait que plusieurs firmes de génie étaient «venues magouiller à l'insu du ministère et de la ministre qu'elle était», en utilisant des prête-noms pour financer abondamment les partis et quêtant en échange des retours d'ascenseurs comme des contrats publics.
«Je ne connaissais pas les stratagèmes mis en place», avait alors dit Mme Normandeau, qui s’était défendue vigoureusement d'avoir fait de la politique partisane.
Elle avait affirmé qu’elle n’était pas au courant des liens entre son chef de cabinet Bruno Lortie et Roche.
«Si M. Lortie a donné de l'information privilégiée à Roche, c'est condamnable, inexcusable, ça ne peut pas se faire. Je n'aurais jamais cautionné une telle situation, a-t-elle assuré. Si tous ces faits sont avérés... J'espère qu'il n'a pas trahi ma confiance», avait-elle mentionné.
L'ancienne ministre des Affaires municipales avait aussi justifié l'utilisation de son pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de majorer des subventions en évoquant «les réalités du terrain» et «l'impact fiscal» sur la population.
Qui sont les autres accusés?
Arrêté dans cette opération, Marc-Yvan Côté a été pendant des années un ténor du financement pour le Parti libéral dans la région de Québec. Au cours des années 70 et 80, il a été député, ministre et organisateur au sein du parti. M. Côté a également travaillé chez Roche de 1994 à 2005 comme vice-président, puis comme consultant jusqu'en 2011.
En 2005, il avait été un témoin important à la commission Gomery, sur le scandale des commandites. Il avait alors avoué sa participation à des opérations de financement illégal pour le Parti libéral du Canada (PLC) en 1997. Il avait ensuite été banni à vie du PLC.
Ancien ministre libéral des Transports sous le gouvernement Bourassa, celui qui était surnommé le «Beu de Matane» avait confirmé sans grande surprise lors de son passage à la commission Charbonneau, en juin 2014, que les partis politiques sollicitaient bel et bien des entreprises pour remplir leurs caisses.
Ce financement dit sectoriel, interdit par la loi, «était dans les mœurs», avait-il déclaré devant la juge présidente France Charbonneau, en indiquant qu'il ne comptait pas jouer les «hypocrites».
«Oui, on sollicitait des individus, mais ils travaillaient pour des entreprises, a relevé M. Côté. Les machines politiques sont devenues des monstres avec des exigences assez importantes sur le plan financier», avait-il ajouté.
De 2004 à 2009, alors que Mme Normandeau était ministre libérale des Affaires municipales, M. Côté, alors V.-P. chez Roche, avait aidé le chef de cabinet de la ministre, Bruno Lortie (un ami de longue date de l’homme), à organiser cinq ou six activités de financement pour celle-ci.
Un événement organisé en 2008 au restaurant Louis-Hébert, à Québec, avait notamment attiré l’attention de la commission Charbonneau pour une possible double comptabilité. On savait déjà que cet événement était sous la loupe de l’UPAC.
En février 2014, l’UPAC avait effectué une perquisition à la résidence de Baie-Saint-Paul de Marc-Yvan Côté où des armes de chasse mal entreposées avaient été trouvées. Accusé, l’ex-ministre a reçu une absolution inconditionnelle en novembre dernier.
L’ancien chef de cabinet de Mme Normandeau, Bruno Lortie, a été arrêté par l’UPAC. Lors de son témoignage à la commission Charbonneau, il avait affirmé qu'il n'aimait pas les activités de financement politique qui ne servaient, selon lui, qu'à «fraterniser» entre élus et représentants de firmes du secteur privé.
«Pour moi, le financement, c'est aussi plaisant qu'une balle dans la tête», avait-il lâché au premier jour de son témoignage devant la commission.
M. Lortie avait raconté qu'il avait décroché le poste de chef de cabinet de Nathalie Normandeau en 2003 lorsqu'elle a été nommée ministre du Tourisme. Il l'avait suivie deux ans plus tard lorsqu'elle a migré aux Affaires municipales.
Dans les personnes épinglées par l’UPAC, on retrouve aussi France Michaud, ancienne vice-présidente de Roche Groupe-Conseil. Elle avait été trouvée coupable de fraude, de complot et de corruption en septembre 2015, dans une affaire de favoritisme dans l'octroi de contrats publics à Boisbriand.
Le nom de Mme Michaud était ressorti plus tôt cette semaine, le 14 mars, avec le dépôt de 77 chefs d’accusation contre la firme Roche ltée Groupe-Conseil, qui s’appelle maintenant Norda Stelo inc.. Des employés et des administrateurs de l’entreprise sont aussi touchés par ces accusations qui portent sur des allégations de fraude fiscale.
Dans son communiqué, l’UPAC a aussi mentionné que l’entreprise Pluritec Ltée a aussi fait l’objet d’accusations dans le cadre de cette même enquête, en lien avec de fausses déclarations fiscales.
Le Parti québécois est aussi éclaboussé alors que l’ex-conseiller politique de Pauline Marois dans la circonscription de Charlevoix, Ernest Murray, a été arrêté par l’UPAC.
En 2014, M. Murray avait admis devant la commission Charbonneau avoir informé l’ancienne première ministre du Québec de ses manoeuvres pour amasser plus de dons politiques.
En 2008, alors qu'il éprouvait des difficultés à atteindre ses objectifs de financement dans la circonscription de Pauline Marois, alors chef du PQ, il avait fait appel à un ingénieur de la firme Roche et lui avait demandé s'il était en mesure de trouver 10 000 $ pour alimenter les caisses du parti.
Le maire de Gaspé de 2005 à 2013, François Roussy, mis en arrestation par l’UPAC, est non seulement parti en France tous frais payés par Roche, mais il a aussi reçu des billets de hockey «extrêmement chers» pour assister à des matches du Canadien de Montréal.
Ces informations ont été révélées par un ancien ingénieur de Roche – dont l'identité est frappée d'une ordonnance de non publication – lors de son témoignage devant la commission Charbonneau, en juin 2014.
Chef de la direction de Roche Groupe-Conseil, Mario Martel s’est aussi fait passer les menottes par l’UPAC jeudi matin et a été aussi visé par les 77 accusations de lundi émanant d’une enquête de l’équipe de Revenu Québec de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).
Le dirigeant et d’autres employés administrateurs de Roche sont visés pour de présumés cas de fraude fiscale contre la firme.
- Avec la collaboration de Frédérique Giguère, Sophie Côté et de l'Agence QMI
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