« Un héritage dégradé dégradera
en même temps ses héritiers »
Hans Jonas
Le Principe responsabilité
Les faits : 30 degrés celsius le 25 septembre et l’arrivée de l’automne.
Plus une journée ne passe désormais sans que nous réalisions encore
davantage l’absurdité de notre mode de vie. Pour reprendre le vœu des
écologistes, il faut le redire encore : la plupart d’entre nous vivent
comme s’ils étaient éternels sur Terre. En fait, nous nous contredisons,
car nous voulons en même temps une chose et son contraire. Nous recherchons
le luxe d’un côté, tout en voulant protéger l’environnement de l’autre ;
nous entendons éviter de polluer, tout en continuant obstinément d’acheter
des produits étrangers, etc. Si on se fie aux écologistes célèbres
qu’affectionnent nos journaux, qui sont pour ainsi dire les « haut-parleurs
» de la rhétorique environnementale, il n’est pas bien de détruire la
planète. Si cela est vrai, comment comprendre la contradiction qui
caractérise nos comportements afin de la dépasser ? Pour y arriver, nous
proposons de réfléchir trois minutes sur l’opposition entre l’occasion et
l’éternité du confort.
L’occasion s’oppose à l’éternité du confort
En fait, nous optons pour le luxe et nous croyons vivre pour l’éternité à
chaque fois que nous refusons de changer quelque chose dans notre agir.
Cela signifie que si nous ne changeons pas nos habitudes, nous vivrons
moins longtemps. Or, permettons-nous ici une amusante prédiction : dans un
avenir rapproché, le discours environnemental mettra l’accent sur la
catégorie d’occasion. En effet, celle-ci est appelée à une grande
utilisation médiatique. L’occasion, c’est une possibilité de changement.
Avoir l’occasion consiste précisément à saisir le moment opportun pour
poser un petit geste visant à protéger la nature. À peine visible, ce geste
représente le point faible de ceux qui refusent de modifier leur agir sous
prétexte qu’il est trop tard. Ce petit geste est aussi, mais d’une autre
manière, le point faible de ceux qui, entrés en « religion environnementale
», entendent tout changer d’un seul coup sans tenir compte des étapes sur
le chemin du comportement responsable.
Or l’occasion apparaît, là devant nous. Nous voyons le morceau de papier
perdu, le robinet qui coule, le sac de tissu pouvant remplacer le sac de
plastique, la corde à linge, la bicyclette qui attend dans la remise, etc.
Ainsi, l'occasion ne demande qu'a être actualisée. Elle ne sera plus ce qui
est rare ou unique, c’est bien plutôt la possibilité offerte à notre
liberté. Comme possibilité, elle n’attend que des yeux humains la
découvrent, non pas des yeux d’écologiques ou de personnalités
exceptionnelles, mais des yeux ouverts. Qu’est-ce donc que l’occasion,
sinon une possibilité ouverte sur l’avenir, la chance du virtuel à même la
réalité quotidienne ? L’occasion, c’est un peu le clin d’œil de l’avenir
qui demande à être compris, à être saisi, réalisé pour exister. Elle est la
chance de donner un héritage, car mon avenir (et celui de mes enfants) se
réalise toujours un peu plus à chaque fois que j'accepte l’occasion et lui
donne une réalité, c’est-à-dire à chaque fois que, par le geste, je
m’oppose au luxe, à la parresse de l’habitude, à la quête du vain confort
de l’American Way of Life.
Faut-il revenir en arrière ?
Ça y est, je les vois déjà ceux qui refusent l’occasion au nom du présent.
En effet, nous les voyons venir de loin ceux qui se demandent si les
exigences de l’environnement contredisent le confort, le luxe et la
richesse. Pouvons-nous nous payer le luxe de l’indifférence, soupirent-ils
? Avons-nous encore trois ou quatre ans de répit avant de devoir changer ?
Nous préférons payer d’avance, disent-ils, payer avec quelques intérêts,
afin de consommer encore un peu, tout en refusant de voir ce qui reste de
la planète. Que répondre à ces consommateurs compulsifs et éternels, sinon
qu’il ne faut pas cesser de vivre, mais vivre autrement. Face à la «
grandeur et la complexité des enjeux », pour reprendre les termes de Hans
Jonas, on ne peut pas revenir en arrière et cesser de travailler ou
d’acheter : il faut consommer autrement. S’il est impossible de tout
changer d’un coup - d’un seul coup de baguette magique – et de passer de
pollueur à vert en une semaine, en revanche il faut « apprendre » à
commencer. Loin de revenir en arrière, le plus gros de la tâche se trouve
dans le commencement, donc en avant.
Le petit geste est à la fois commencement et fin
L’occasion, l’occasion du petit geste pour tout dire, c’est la chance même
de commencer du nouveau. C’est ainsi que la fin ou le but de la tâche
environnementale se trouve dans son commencement : l’occasion du geste est
l’iniative et la réussite en elle-même. Le cercle, et il faut savoir y
entrer, n’est pas vicieux, mais la promesse d’un avenir. L’ironie ici,
c’est que la personne qui réalise le geste en a fini avec la tâche qui, au
début, lui apparaissait impossible : elle a saisi l’occasion et matérialisé
la réussite même du geste environnemental. Elle ne peut faire plus, car il
n’y a rien de plus à faire.
Ici, la volonté d’acheter, de durer dans le matériel et de vivre dans le
luxe inutile, voilà ce qui s’oppose ou qui relativise l’occasion. Car le
confort c’est un peu le contraire de la volonté de changer. Est «
confortable » comme le dit l’étymologie, ce qui assure un bien-être, une
tranquilité psychologique, ce qui se veut immobile, bref ce qui cherche
l’éternel. La recherche du confort et du luxe recèle une contradiction
troublante et finale : ce comportement repose sur la recherche paradoxal de
l’éternité sur terre ; c’est le refus du changement au nom de la peur et de
la différence. Chercher plus de confort, c’est trop souvent vivre
paresseusement et ne pas vouloir changer ses vieilles habitudes. Qui donc
se complaît dans le confort, sinon la personne qui ne veut rien changer,
celle qui ne veut pas souffrir et s’adapter à un monde en évolution
continuelle. On le voit bien : le dogmatisme anti-environnement est
confortable, car il croit au luxe dans l’immobilité. Quant à l’autre
dogmatisme, celui du militant pour l’environnement, il croit au changement
soudain, c’est-à-dire à la conversion religieuse qui sauvera la planète.
Les deux attitudes posent des problèmes parce qu’elles négligent la
signification de l’occasion et toute l’importance du détail qu’elle
contient.
Esthético-morale du concept d’occasion
Cela dit, faisons un pas de plus et tentons d’expliquer clairement les
aspects esthétiques et moraux du concept environnemental d’occasion. Ces
aspects s’impliquent toujours mutuellement.
S’il importe de faire de petits gestes pour sauver l’environnement, c’est
que, comme le dit l’opinon commune, l’occasion est souvent « belle » de
changer les choses. Belle veut dire que, lorsqu’on l'a vue, il importe de
la saisir. L’occasion est belle en environnement, non pas parce qu’elle est
rare, mais parce qu’elle conduit au beau comportement. Ici, la culture veut
que l’on profite de chaque occasion, aussi petite et belle soit-elle, pour
agir autrement et intégrer de nouvelles habitudes, celles qui correspondent
à un meilleur comportement, un agir plus global. C’est par l’attention au
détail que l’on trouvera l’ouverture au changement : le détail, et l’on
s’en rend compte au Québec avec le problème du vieilissement des
infrastructures, cache souvent ce qui mérite des soins, ce qui doit être
entretenu et valorisé. Le détail renvoit à l’occcasion en ce qu’il pointe
vers le début de la tâche, un début de tâche qui renferme sa fin. Si la
belle occasion conduit au beau comportement, qui est toujours un
comportement exemplaire que l’on devrait s’efforcer d’imiter, pourquoi nos
concitoyens ne la saisissent-ils pas ? Ne veulent-ils pas devenir
meilleurs ?
Choisir le plus difficile
C’est que reconnaître l’occasion dans le détail, l’accepter pour ensuite
changer quelque chose, est le plus difficile. Le petit geste semble facile,
mais c’est en réalité le plus difficile de tous, car c’est à partir de lui
qu’il y a un changement. Autrement dit, le geste qu’il faut effectuer
ressemble à un rien, à un détail, mais tant qu’il n’est pas réalisé, il
demeure de loin le plus difficile. Pour reprendre un vieil adage, c’est
souvent le grain de sable dans le soulier qui dérange notre montée et qui
nous arrête, pas la volonté de gravir une montagne. De même manière se
présente à nous le paradoxe du concept environnemental d’occasion :
l’occasion, celle qui s’ouvre avec le détail et qui conduit à un changement
durable dans l’agir par la réalisation du petit geste, continue de
représenter le plus difficile. Certes, ce paradoxe ne passe heureusement
pas le test de la pratique : ce paradoxe tombe en effet dès que le petit
geste est réalisé et que les bonnes habitudes sont enfin prises. Si on veut
laisser un héritage à nos enfants, il ne faut pas trembler devant le
paradoxe : il faut choisir le plus difficile, c’est-à-dire saisir au plus
tôt les occasions qui s’offrent à nous. Le détail est important, il nous
dit que l’occasion est là. Ah, justement, en terminant ce texte, je vois
une lumière à éteindre au salon…
Dominic DESROCHES
Département de philosophie
Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé