"L'objectif d'un Etat palestinien est hors d'atteinte"

Il n'y aura pas de paix dans un avenir proche. Une période de très grande instabilité est au contraire sans doute en train de s'ouvrir.

OCCUPATION ISRAÉLIENNE - reconnaître l’Etat de Palestine


Alors que le moratoire sur la colonisation israélienne n'a pas été prolongé, vous avez interviewé Ziyad Clot, ancien négociateur pour la partie palestinienne. Il est aussi l'auteur d'un ouvrage intitulé "Il n'y aura pas d'Etat palestinien". Voici ses réponses.

Badoumba: Pourquoi vous avez quitté les négociations? A cause des Palestiniens, à cause de l'attitude israélienne, pourquoi?
A cause de l'attitude du gouvernement israélien, largement soutenue par la "communauté internationale", qui rend intenables les positions et les choix de l'OLP [Organisation de libération de la Palestinecomposée de plusieurs organisations palestiniennes, dont le Fatah de Mahmoud Abbas, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP)].
On demande à l'OLP de négocier alors que l'objet des négociations (la terre, Jérusalem, etc), s'évapore au fil du "processus de paix". Le plus dramatique est que les pseudo-négociations se font au détriment de la réconciliation nationale entre l'OLP et le Hamas. C'est le sort du mouvement national palestinien qui se joue sous nos yeux alors que la Cisjordanie continue a être repoussée vers la Jordanie et la bande de Gaza vers l'Egypte...
Bibi: Y a-t-il vraiment d'un côté comme de l'autre la volonté de négocier, car c'est un dialogue de sourd...
Chacun est prêt à négocier, mais à ses conditions. En partant du droit international côté OLP. En partant de la situation prévalant sur le terrain côté israélien. Toute négociation est l'expression d'un rapport de forces. Les Palestiniens sont trop affaiblis et divisés pour faire reconnaître leurs droits par le gouvernement israélien. Et l'administration Obama n'est pas en mesure -ou ne souhaite pas- peser de tout son poids sur la partie israélienne pour rétablir un semblant de parité.
Naqba: Vous dites qu'il n'y aura pas d'Etat palestinien. C'est les Palestiniens qui n'en veulent pas ou les Israéliens?
L'OLP s'est résolue en 1988 à un Etat sur 22% de l'ancienne Palestine mandataire avec Jérusalem-Est comme capitale. A l'époque ce choix d'accepter un "micro-Etat"en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avec était lourdement critiqué par nombre de leaders palestiniens. Plus de 20 ans plus tard, le rapport de force et l'étendue de la colonisation fait que les Palestiniens ne sont même plus en mesure d'atteindre ce but. Le gouvernement israélien actuel veut sans doute la paix mais à ses conditions: maintien des blocs de colonies majeurs en Cisjordanie, refus de rendre Jérusalem-Est, reconnaissance de l'Etat juif par l'OLP etc. Tout ceci est naturellement inacceptable côté palestinien.
Laetyaz: Quels sont pour vous les 3 arguments qui font que la Palestine ne pourra pas avoir son indépendance?
- Plus de 500 000 colons entre Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie: le territoire a été mangé par la colonisation
- Faiblesse du leadership politique côté palestinien divisé entre Gaza et Ramalllah
- Tout le monde oublie, une fois un possible accord conclu, qu'il faudra le mettre en oeuvre... Dans le cas israélo-palestinien, il faut compter un processus de 10-15 ans. Plus qu'il n'en faut pour faire capoter un accord de paix dans la région alors que les parties suivantes ne sont pas intégrées au dit "processus de paix": Hamas, Hezbollah, Iran, Syrie, Liban et -dans une certaine mesure- réfugiés palestiniens et colons israéliens...
Tricheur: Et Gaza sinon le Hamas dans ces pourparlers?
Quoiqu'on puisse penser du Hamas en tant que mouvement politique, on ne peut que l'intégrer d'une manière ou d'une autre dans les négociations:
- c'est une exigence démocratique: il est arrivé en tête lors des élections législatives palestiniennes de 2006
- d'un point de vue pragmatique, si on veut un Etat palestinien sur la Cisjordanie et Gaza, il faut mettre fin à l'ostracisation de la bande de Gaza.
Ceci dit, je pense que même dans l'hypothèse d'une intégration du Hamas dans le jeu des pourparlers, l'objectif Etat palestinien (un vrai Etat souverain et viable avec Jérusalem-Est comme capitale s'entend) est devenu hors d'atteinte.
Le clown: Quelle légitimité à des négociations dont les interlocuteurs sont illégitimes (Abbas- abs. élections) dans l'illégalité (Netanyahu- occupation et colonisation) ou absents (Hamas- Gaza)?
Aucune.

La truffe: Pourquoi l'Autorité palestinienne accepte-t-elle des négociations directes alors qu' il y a occupation et colonisation illégales selon le Droit internationnal?
Parce qu'elle n'a pas d'autre choix... Ou parce qu'elle pense qu'elle n'a pas d'autre choix... L'OLP a fait le choix de la négociation avec les accords d'Oslo en 1993. Les négociateurs palestiniens sont encore traumatisés par les conséquences de seconde Intifada (plus de 5000 morts côté palestiniens notamment). Ils ne veulent plus commettre la même erreur et risquer un regain de violence trop coûteux pour la population. Alors on "négocie" sans pouvoir stopper la politique israélienne du fait accompli.
Les dés sont pipés, mais l'Autorité palestinienne n'a pas d'autre choix que d'accepter les négociations
Il faut savoir aussi que l'objectif "Etat palestinien", c'est environ 7 milliards de promesses de dons (Conférence de Paris, en décembre 2007). Quitter la table des négociations, c'est prendre le risque de voir ces fonds coupés, de voir la population de Cisjordanie plongée dans la pauvreté etc. Difficile de quitter la table de négociations dans ces conditions même si les dés sont pipés.
Boubou: Que prépare Israël en gagnant du temps? Car si il voulait la paix il aurait commencé à évacuer quelques petites colonies pour pouvoir négocier les grosses.
L'évacuation des colonies, si elle doit un jour arriver (...), se fera après l'accord. Si vous voulez avoir une idée de ce qui est acceptable en terme territorial pour les Israéliens, je vous invite à regarder le tracé du mur de séparation. Il vous donne une bonne idée du tracé de frontière que le gouvernement de l'Etat hébreu serait prêt à accepter. Pour le reste, le "processus de paix" permet aux Israéliens de redorer leur image au niveau international (et d'accéder à tous les accords de partenariat qui vont avec: UE, OCDE, etc.) tout en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie et en maintenant Gaza sous contrôle. Une aubaine...
lestoret: Nous savons tous à peu près ce qui est demandé à Israël. Sait-on ce qui est demandé aux Palestiniens?
Pour bien comprendre la position des Palestiniens dans les négociations, il faut garder à l'esprit que, pour eux, le "compromis historique" a été fait dans le cadre de la déclaration d'Alger (1988): l'OLP s'y était résolue à ce que l'Etat palestinien soit créé sur 22% de la Palestine historique, aux côtés d'Israël. L'OLP ne pensait pas, à l'époque, avoir encore à négocier ce compromis... Aujourd'hui, en plus d'assurer la sécurité d'Israël (postulat du processus de paix depuis Oslo, alors même que les Palestiniens vivent toujours sous occupation), il leur est demandé dans le cadre des négociations:
- de céder à Israël les principaux blocs de colonies israéliennes situés en Cisjordanie (en particulier ceux encerclant désormais Jérusalem-Est)
- de laisser Jérusalem-Est aux Israéliens (Nétanyahou, soutenue par l'opinion israélienne, paraît inflexible sur cette question)
- de reconnaître Israël en tant qu'Etat juif: ce qui fermerait défintivement la porte du droit au retour des réfugiés palestiniens et mettraient les Arabes israéliens sous la menace d'un expulsion par l'Etat hébreu
- de laisser le contrôle de la frontière jordanienne aux Israéliens (impératif sécuritaire non négociable selon eux du fait de la menace venant de l'Est: Iran, Syrie etc)
- que l'Etat palestinien soit démilitarisé
De toute évidence, la création d'un Etat palestinien viable, souverain et indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale est devenue hors d'atteinte.
Vincent C.: La question de Jérusalem, qui a ressurgi en 2009, ne complique-t-elle pas la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens? Et si la création d'un État palestinien est impossible, comme vous le pensez, qu'adviendra-t-il des palestiniens dans le futur?
En quoi la question de Jérusalem a-t-elle ressurgi en 2009 (vous voulez dire au niveau de la colonisation?) ? Jérusalem a toujours été au coeur du conflit. Elle l'est plus que jamais aujourd'hui alors que, des deux côtés, le religieux prend le pas.
S'il n'y a pas d'Etat palestinien:
- la solution du moment -très similaire à l'Apartheid- se poursuivra (combien de temps?)
- les Palestiniens resteront sous la menace d'une nouvelle expulsion alors que le risque démographique continue de s'accroître pour Israël
- l'Etat unique redeviendra le seul horizon souhaitable en vue d'une résolution durable du conflit malgré les très grand risques également inhérents à cette option.
L. Guyon: Pourquoi les négociations de paix s'orientent-elles depuis toujours vers une solution à deux Etats, laquelle n'a aucune chance d'être viable? Le futur Etat palestinien devrait-il en effet se réduire au bantoustan formé par la seule bande de Gaza, avec ou sans quelques confettis de Cisjordanie - que les juifs se sont déjà de toute manière appropriés sous le nom de "Judée-Samarie"? Israël peut-il rester durablement "Etat juif", ou ne devrait-il pas plutôt accepter de devenir un Etat laïc, accordant l'égalité des droits entre tous ses citoyens, et luttant effectivement contre toute forme de discrimination à l'encontre de ses citoyens non juifs, sous le contrôle le plus strict des instances internationales, avec sanctions économiques et présence de forces militaires internationales à la clef?
Aucune des parties prenantes au processus de paix ne souhaite l'Etat unique. Mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'un Etat binational est redevenu le seul horizon souhaitable, l'Etat palestinien étant devenu un objectif irréalisable. Je crois que cet Etat hybride existe d'ailleurs déjà: c'est ce que j'appelle "Israëltine" dans mon livre.
Un Etat binational est redevenu le seul horizon souhaitable
"Israëltine" correspond à la situation créée par la main mise qu'exerce désormais Israël sur l'ensemble de la Palestine historique/le Grand Israël (selon qu'on se situe côté israélien ou palestinien): autrement dit, la terre qui s'étend de la Méditerrranée au Jourdain. Israël est naturellement souveraine à l'intérieur de ses frontières (celles reconnues par le Droit international). Mais elle contrôle aussi la Cisjordanie malgré ou grâce à l'Autorité palestinienne. Malgré les apparences et le Hamas, Israëltine est enfin en charge du présent et de l'avenir de la bande de Gaza: elle contrôle ses frontières, son régime alimentaire, se réserve le droit d'y intervenir militairement chaque fois que sa sécurité est menacée etc. Une terre, deux peuples imbriqués dont l'un est discriminé: "Israeltine" est le pays imparfait, hybride, que nous avons aujourd'hui sous nos yeux.
Cette situation génère cependant de nombreux risques car les deux populations ne sont pas prêtes à la cohabitation.
Hâl: Aujourd'hui, quel avenir peut-on espérer pour le peuple Palestinien? Sachant qu'aucun pays arabe ne collabore étroitement avec Le Président Mahmoud Abbas... Pour vous, le Salut des Palestiniens doit-il venir de son gouvernement ou au contraire de l'appui de ces frères Arabes? Et pensez vous qu'une paix pourra venir dans les prochaines années.... si oui comment envisagez vous les négociations?
Je crois que l'avenir des Palestiniens ne passent ni par ses dirigeants actuels (à Ramallah comme à Gaza) et encore moins par ses "frères" arabes. Je crois qu'il passe par la lutte des Palestiniens pour leurs droits civiques et politique au sein d'Israël et ce qu'il reste des territoires palestiniens. Il n'y aura pas de paix dans un avenir proche. Une période de très grande instabilité est au contraire sans doute en train de s'ouvrir.


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