Les deux discours du président iranien Mahmoud Ahmadinejad cette semaine à New York, le premier à l'Université de Columbia, le second devant l'Assemblée générale des Nations unies, ont déchaîné le torrent habituel d'indignations dans les médias occidentaux. C'est un homme curieusement naïf, et sa façon de nier à moitié l'Holocauste est tout aussi étrange que sa négation de l'existence d'homosexuels en Iran.
Toutefois, contrairement à ce qu'en a dit le président de l'Université de Columbia, Lee Bollinger, ce n'est pas un "dictateur cruel". C'est un président élu qui risque bien de perdre la prochaine élection à cause des résultats économiques médiocres qu'il a obtenus depuis son entrée en fonction. Il n'a pas non plus les pouvoirs d'un dictateur.
En effet, dans les domaines qui importent le plus aux yeux des étrangers - politique étrangère, défense et nucléaire - Ahmadinejad n'a aucun pouvoir. Ces questions relèvent de la seule responsabilité du gouvernement parallèle non élu d'Iran : le guide suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei, et le Conseil des gardiens.
Il ne faut donc pas prêter attention au clown qui s'agite sur le devant de la scène. Examinons plutôt les accusations selon lesquelles l'Iran cherche à se doter d'armes nucléaires. Armes avec lesquelles, comme a mis en garde le président français Nicolas Sarkozy devant l'Assemblée générale, il pourrait "menacer le monde". L'Iran a t-il un programme d'armement nucléaire ? Le cas échéant, serait-il capable de menacer le monde ? Et pourquoi tous ces discours autour de la menace nucléaire iranienne ressemblent-ils tellement à ceux sur la menace nucléaire irakienne d'il y a cinq ans ?
L'usine de Natanz
Il y a déjà eu un programme d'armement nucléaire iranien. C'était sous le chah, dont Washington voulait faire le gendarme du Golfe. Après la révolution de 1979, le nouveau dirigeant de la République islamique d'Iran, l'Ayatollah Rouhollah Khomeini, a supprimé ce programme, les armes de destruction massive étant incompatibles avec l'islam. Il a tout de même gardé le programme d'énergie nucléaire pacifique.
Lors de la guerre Irak-Iran de 1980-1988, les États-Unis ont finalement soutenu Saddam Hussein, même s'il était clairement à l'origine de la guerre et même s'ils savaient que le dirigeant irakien travaillait à la mise au point d'armes nucléaires. Même si c'était peu compatible avec l'islam, les ayatollahs iraniens ont entériné, en 1984, la reprise du programme d'armes nucléaires du chah pour contrer la menace irakienne. C'est à cette époque que l'usine d'enrichissement de l'uranium de Natanz, qui a un si grand rôle dans les accusations des Américains, a commencé à fonctionner.
Une fois la paix revenue en 1988, l'activité de Natanz a considérablement ralenti. Quand Saddam Hussein a perdu la première guerre du Golfe en 1990 et que toutes ses installations nucléaires eurent été démantelées par les inspecteurs de l'ONU, Natanz avait apparemment complètement cessé ses activités. Ce n'est qu'en 1999 ou en 2000 qu'elle a recommencé. Et, en 2002, un mouvement d'opposition iranien, le Conseil national de la résistance iranienne - front politique de l'Organisation terroriste illégale des Moudjahiddines du peuple iranien - a révélé ce qui se passait à Natanz.
L'AIEA n'a trouvé aucune preuve que l'Iran travaille à la fabrication d'armes nucléaires. C'est la raison pour laquelle, depuis 2005, l'affaire a été placée dans les mains du Conseil de sécurité des Nations unies, dont les décisions sont plus guidées par la politique que par le droit. Le Conseil de sécurité a imposé à l'Iran des sanctions modérées. Néanmoins, les États-Unis exercent une pression constante pour en obtenir un durcissement. Ils menacent aussi d'utiliser la force contre l'Iran. En dépit de tous leurs discours réchauffés, il n'y a toujours aucune preuve que l'Iran soit dans l'illégalité en matière de nucléaire.
Pourquoi Natanz a-t-elle été remise en activité il y a sept ou huit ans ? Probablement en réponse aux essais nucléaires du Pakistan, en 1998, qui ont entraîné le renversement de son gouvernement élu. L'Iran est chiite tandis que le Pakistan est en grande majorité sunnite et abrite des extrémistes plutôt militants.
S'ils ne sont pas au pouvoir pour l'instant, l'Iran redoute qu'ils puissent l'être un jour. C'est pourquoi il souscrit à une "police d'assurance".
Les installations d'enrichissement servent peut-être uniquement à des fins pacifiques pour l'heure, mais elles permettraient à l'Iran de fabriquer sa propre arme de dissuasion nucléaire beaucoup plus vite, en cas d'urgence. S'il possédait l'arme nucléaire, serait-ce une «menace pour le monde», comme le prétendent les présidents Bush et Sarkozy ? Pourquoi menacerait-il le monde? Et comment pourrait-il espérer échapper à des représailles dévastatrices le cas échéant ? Le président Ahmadinejad cause un profond embarras à son pays, mais ce sont encore des adultes qui dirigent l'Iran...
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Gwynne Dyer
Journaliste indépendant
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, "Futur imparfait", est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
L'Iran n'est pas vraiment une menace
Géopolitique — nucléaire iranien
Gwynne Dyer21 articles
Journaliste indépendant L'auteur est un Canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, {Futur Imparfait}, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
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