L'intégration des immigrants

Tribune libre

N’est ce pas une question de culture ?
J’ai déjà abordé dans mes précédentes réflexions la problématique de l’immigration et de l’intégration des immigrants notamment au Québec. Des lecteurs m’ont interpellé afin que je précise davantage certaines aspects tout en soulignant le fait que d’une manière générale les informations portées à la connaissance du public sont toujours celles de personnes acquises aux politiques mises en œuvre par le gouvernement et ou aux réactions du public à l'égard d'évènements circonstanciels qui sortent de l'ordinaire : pour les maghrébins c’est le taux de chômage, pour les Latinos la non maîtrise du français, pour les français leur attitude de monsieur ou madame je sais tout, etc.
Sachant que l’actualité fait ressortir ce sujet de manière cyclique ces spécialistes, disent-ils, soumettent des études, des réflexions et autres articles en tenant compte de l'origine des financements et du choix des équipiers (obédiences idéologiques) qui s'impliquent dans ces travaux, de l'importance des groupes cibles, etc. Généralement et à leur décharge, ces compétences : analystes, chercheurs, observateurs, etc. … fondent leurs réponses sur des statistiques, des constatations, des enquêtes et des témoignages.
Néanmoins, les avis, appréciations, recommandations et autres évaluations proposées par des voix et canaux indépendants ne sont pas pris en considération, y compris ceux des rencontres tenues par des organismes d’accueil et d'aide aux nouveaux arrivants en collaboration avec des universités et financés en partie par l’argent du public.
J’ai synthétisé ces commentaires et j’en présente brièvement une partie qui me parait éclairante.
Ainsi, pourrait-on dire, les questions sur ‘’les immigrations au Canada et leur prolongement au Québec’’ sont souvent abordées en fonction du leitmotiv, qui consiste à souligner ‘’… la réduction du déficit de la natalité et la prévention du vide créé par le vieillissement de la population, et ensuite les provenances des quatre coins du monde ... notamment celles qui ne menacent en aucune manière le fait français ... ’’
Ce qui fait dire au groupe d’analystes, observateurs et spécialistes, choisis parmi des immigrants installés de longue date au Québec, que ces études et autres analyses sont biaisées et ne reflètent pas la réalité et le vrai portrait de ces immigrations. Bien entendu il s’agit de l’immigration économique.
Il existe une singularité en la matière soutiennent-ils ‘’ce constat est, d’une part, partagé, et, d'autre part, il renforce un paramètre commun à tous : L’intégration est avant tout une question de culture’’. Il est vrai qu’il existe d’autres éléments, les uns aussi pertinents que les autres. Toutefois, ‘’l’aspect culturel’’, devient sensible dés lors qu’il fonctionne tel un prisme à multiples facettes et que chacun ne s’intéresse qu’à celle (la facette) qu’il ‘’affectionne’’.
Pour étayer leur réflexion, ils mettent de l’avant plusieurs lignes forces. J’en ai retenu trois :
1) Ce n’est pas tant ‘’la maîtrise du français’’ par ces immigrants ou encore les ‘’accommodements raisonnables que certains sollicitent ’’ et sur lesquels insistent non seulement des institutions en charge de l’accueil de l’immigration mais aussi des études et autres recherches universitaires, qui posent problème.
2) Ce n’est pas le fait qu’ils viennent pour la plupart de pays de cultures différentes où cette langue a toujours été la langue de travail qui pose problème.
3)Ce n’est pas aussi le fait qu’ils connaissent relativement mal les séquences essentielles de l’Histoire du Québec et du Canada qui freine l’intégration.
Ils soutiennent mordicus qu’il existe réellement une censure pour ne pas dire ‘’une disqualification institutionnelle’’ de ces futurs citoyens par rapport à ‘’la culture industrielle’’ du pays.
Réviser le système de sélection des immigrants
Tous énoncent que la problématique est autrement plus complexe. La difficulté d'intégration ne se situerait pas dans la concordance des exigences et des attentes de l'industrie versus les profils professionnels des immigrants, mais dans les déductions, les suppositions et le autres préjugés invoqués et confortés à partir de quelques cas singuliers - craintes d'une inadéquation pouvant perturber ou influer négativement sur les résultats de gestion, difficultés de compréhension des attitudes et comportements pouvant avoir des conséquences sur les relations interpersonnelles tant à l’interne qu’avec la clientèle, etc. - Par les employeurs pour ne pas leur donner la chance de s'intégrer professionnellement et par conséquent socialement.
Tous postulent que ‘’ces immigrants qui s'adaptent rapidement à l'incertitude et à l'éloignement de leurs pays et de leurs familles ; qui participent au changement fondamental qui les interpellent au quotidien ; qui prennent part à la vie de tous les jours au sein d’une société d’accueil généreuse et tolérante mais affichant des valeurs différentes qu’ils doivent embrasser ; qui font face au choc thermique et aux relations informelles de bon voisinage … ces immigrants sont vus comme n’ayant pas les qualifications, les compétences, les expériences adéquates pour une insertion professionnelle rapide et conséquente’’.
À l’évidence, il est question d’un paradoxe qui ne dit pas son nom. Il y a d’un côté des emplois vacants avec des critères presqu‘universels et de l’autre côté des candidats répondant théoriquement à ces critères mais qui sont refusés pour des motifs subjectifs.
Pourtant, ils possèdent des qualifications conformes (conformité établie par le ministère de l’immigration), une expérience (j’allais dire internationale puisque presque tous ont travaillé dans leur pays d’origine et pourrait faire profiter de leurs expériences les employeurs d’ici), une attitude gagnante (ne serait-ce qu’au plan de la motivation - ils veulent tous prouver qu’ils sont capables de …), mais au regard de l’appréciation des recruteurs ‘’ils ne répondent pas aux attentes des employeurs’’.
Les raisons des refus sont généralement ‘’la non maîtrise de l’anglais et/ou une soi-disant surqualification’’. Lorsque ces deux obstacles sont levés un troisième fait son apparition comme par enchantement et c’est celui du ‘’manque d’expérience québécoise’. Or, personne ne peut plus occulter que ce sont là des insuffisances infondées.
Le décryptage que j’en fais, et que fait un bon nombre d’analystes, d’observateurs et autres chercheurs issus de l’immigration, se lit comme suit : dans certaines circonstances il y a effectivement un réel embarras affiché à l’égard de l’attitude de certains immigrants, pourtant, tous ont été sélectionnés, choisis et triés sur le volet selon les exigences spécifiques du Québec et non pas du Canada ...
Or, ils n'arrivent pas à se faire accepter par les industries quelque-soit le secteur d'activité où ils postulent. Rares sont ceux qui arrivent à se placer dans des jobs qui répondent à leur profil.
La question fondamentale qui interpelle et qui est consacrée par l’actualité est la suivante : Que faut-il faire pour arrimer les profils aux exigences des employeurs, la réciproque étant vraie ?
L’actuel gouvernement préconise ‘’d’aller sur le terrain pour aider les chercheurs d’emplois à se placer en misant sur un programme d’intégration par les compétences’’. C’est là une piste intéressante mais pour réussir une bonne intégration ne faut-il pas des solutions plus pertinentes et régulièrement adaptées aux flux des arrivées sont requises de la part des institutions gouvernementales ? Par le passé, le Québec s'est adapté à des provenances autrement plus diversifiées : Chine, Italie, Grèce, Liban, Vietnam, Haïti ...
Mieux encore, et je pourrais dire indubitablement, si les procédures de recrutements des immigrants doivent, elles aussi, être adaptées aux besoins en main-d’œuvre d’employeurs tatillons sur les attitudes et comportements beaucoup plus que sur les compétences et les qualifications, le schéma de la sélection et de l’organisation de l’accueil et de l’installation doit lui aussi être réaménagé, adapté et orienté vers plus d’efficacité et moins de déperdition. Par conséquent il doit être plus qualitatif que quantitatif.
À titre indicatif, la marge d'appréciation de l'agent d'immigration en charge de l’évaluation des profils lors de l’entrevue de sélection, doit être bonifiée et élevée à plus de 20% de la pondération totale, à charge pour le Ministère en charge de ce portefeuille de procéder à des vérifications et à des validations de conformité chaque fois que de besoin. Mieux encore, pourquoi, dans certaines situations, ne pas faire appel à des consultants/recruteurs occasionnels issus de l’immigration ?
Ainsi le système de sélection après avoir été révisé en profondeur pourrait être ajusté, en fonction de l’apport de l’immigration aux régions et en tenant compte de l’expérience de Montréal tout en évitant de reproduire les mêmes erreurs.
… Être capable de sortir des cadres de références établis …
En matière d’obstacles à l’insertion socioprofessionnelle et à l’intégration socioculturelle deux grands axes indissociables l’un de l’autre sont à considérer. Le premier concerne les immigrants installés depuis fort longtemps et devenus citoyens canadiens. Le second touche en particulier les nouveaux immigrants, résidents permanents, en attente de l’acquisition de la citoyenneté. Pour les besoins de la réflexion ce qui suit vaut pour les deux.
Dans ce cadre précis, trois situations pourraient être décrites comme suit même si elles ont été, au fil du temps, altérées pour ne pas dire contaminées alors que par leur simplicité elles étaient destinées à devenir l’instrument privilégié de l’intégration.
La première concerne le credo, les normes, les codes, etc. - qui régissent les ordres professionnels. Même si quelques légers changements sont déjà intervenus suite à des appréciations qui montraient justement que Leur révision ou tout le moins leur assouplissement sont, à n’en point douter, une nécessité et un besoin de l’heure, il n’en demeure pas moins qu’une mise à niveau concrète et plus large s’impose. Une fois cette mise à niveau opérée elle pourrait débloquer le frein qui contrarie la dynamique de l’insertion professionnelle des immigrants.
Si la question des ordres est mise en exergue c’est parce qu’elle est régulièrement discutée par les professionnels, les spécialistes, les principaux concernés et même les analystes les plus férus de l’emploi et il faudra bien trouver une réponse à chacune des questions suivantes si cruciales pour un grand nombre de personnes:
1. Comment contribuer à moins de "protectionnisme" et à ce que les ordres professionnels ne se cachent plus derrière "la défense des intérêts du public" pour encore et encore fermer leurs portes au lieu de s'ouvrir une fois pour toute aux immigrants ?
2. Comment réduire le temps du processus de reconnaissance ?
3. Comment limiter et réduire les coûts de financement de cette reconnaissance sachant qu’un immigrant sans emploi vit dans la précarité pendant au moins cinq ans ?
La seconde touche les intervenants des organismes sans but lucratifs qui offrent les services d’accueil ou d’aide - c’est selon - aux nouveaux arrivants. Ceux-ci communément appelés conseillers en emploi ou en intégration sont pour la plupart recrutés parmi des nouveaux arrivants qui passent par le processus d’accueil. Ils montrent des capacités d’apprentissage possiblement intéressantes mais aussi un savoir avéré au plan de la maîtrise du français et ou de leur facilité à communiquer.
Or, personne n’ignore que beaucoup d’entre-eux si ce n’est la majorité, malgré leur bonne volonté et leur profil, ne sont pas arrivés à intégrer le marché du travail pour lequel ils se destinaient ; les raisons, pour quelques-uns, sont citées plus haut, pour les autres, elles font l’objet de réflexions et de recherches y compris académiques.
Postulant que l’une des vraies motivations de leur recrutement est à la fois considéré comme un tremplin pour un emploi futur correspondant à leur profil et qu’il réside aussi dans l’acceptation de très bas salaires que des Québécois ne sauraient accepter.
Oui, ils finissent par encore apprendre sur le terrain et s’améliorer au fil du temps mais soyons sérieux, retenons une simple question de bon sens : sont-ils performants dans l’orientation de celles et ceux qui arrivent après-eux ? Je pose cette question parce qu’étant moi-même immigrant j’en ai rencontré, plusieurs qui, à titre indicatif, depuis leur arrivée au pays, n’ont jamais
Travaillé dans une entreprise quelque soit son importance ou son envergure.
1) Ils n’ont jamais exercé dans un service de ressources humaines ou même visité un atelier de fabrication, un laboratoire, des bureaux de direction … sauf, peut être, s’ils ont été invités à une entrevue de sélection …
2) Ils n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma pour voir un film ou dans un théâtre pour y voir jouer une pièce typiquement québécois.
3) Ils n’ont jamais écouté ou très rarement de la musique ou des chansons québécoises.
4) Ils n’ont jamais dîné dans un restaurant ou une brasserie de leur coin de quartier avec des Québécois.
5) Ils ne se sont jamais liés d’amitié, une vraie amitié, à des Québécois …
Alors, comment pourraient-ils parler de la société québécoise sans passer par des clichés, des préjugés, des perceptions distantes qui constituent les fondements de faussetés malheureusement confortées par les institutions et ‘’inculquées’’ aux nouveaux arrivants?
La troisième est que les services gouvernementaux ne recrutent que quelques immigrants, pour participer de l’alibi. Il semble que tous ces immigrants candidats aux examens et aux tests de sélection ne répondent point aux critères de la fonction publique.
Or, ils sont parfois des centaines à passer ces épreuves et seuls quelques-uns les réussissent. Sans aller plus loin supposons que les profils conviennent et que ce sont les tests et examens qui posent problèmes, que doit-on faire pour résoudre le problème? Les services gouvernementaux devraient donner l’exemple - même sous forme de quotas - d'accès aux emplois permanents aux immigrants devenus citoyens canadiens et aux emplois occasionnels à ceux qui sont résidents permanents en attendant l’acquisition de leur citoyenneté.
Leur emploi au sein des services régionaux de la fonction publique encouragera les autres organisations à s'ouvrir encore plus aux potentialités que recèle l'immigration.
À mon avis, et selon ce que j’ai observé du monde de l’entreprise québécoise et de son environnement socio économique et politique, la problématique est culturelle et portée par deux axes :
Le premier se situe dans la culture politique ... il est nécessaire, dans ce cas là, de la questionner, de l’interpeller ou mieux encore de la convoquer et se demander tout simplement : A-t-on la volonté politique de mettre en œuvre de vraies solutions à un vrai problème de perceptions culturelles ?
Le second est dans la culture industrielle qui prévaut au Québec et, là aussi, il est requis de savoir avec précision si l’immigration économique répond aux attentes des capitaines d’industrie ou si elle est seulement l’œuvre de quelques fonctionnaires enfermés dans leur tour d’ivoire ?
C’est un secret de polichinelle que souvent les indicateurs économiques et statistiques donnent un portrait étriqué des besoins en ressources humaines des PME et PMI. Par conséquent, la question fondamentale se lit comme suit : Est-ce que ces institutions sont capables de sortir de leurs cadres de références et de voir les choses des immigrations différemment ?
Ferid Chikhi

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Algéro-Canadien, Ferid Chikhi vit au Québec depuis 2001. Conférencier et formateur, il est membre de plusieurs groupes et collectifs d’études. Contributeur de presse il est auteur d'articles, de réflexions et d'analyses tant politiques qu’économiques. Il a publié divers textes sur les problématiques d’accueil et d’intégration des immigrants au Québec. Ferid est membre du Conseil d'administration des IPSOs ; membre fondateur de l'Association des Nord-Africains pour la Laicité (AQNAL) ; membre du Groupe d'Études et de Réflexions Méditerranée Amérique du Nord (GERMAN) et l'animateur du site www.convergencesplurielles.com





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