L'infiniment petit n'a pas fini de nous étonner, tant par les découvertes qu'il nous a fournies au fil des siècles que par les applications qui en ont découlé. Par exemple, la chimie et la biologie ont permis des progrès extraordinaires en médecine; il y a eu l'atome, qui continue de terroriser le monde, puis les puces, sans lesquelles l'informatique ne serait jamais devenue ce qu'elle est maintenant. Quelles nouvelles surprises nous prépare l'infiniment petit? Les nanotechnologies, qui s'amènent à grande vitesse et vont entraîner des changements considérables dans à peu près tous les secteurs de l'activité humaine.
Robert Nault, directeur général de NanoQuébec, est persuadé que nous sommes rendus «à la veille d'un décollage». Il s'appuie sur des prévisions selon lesquelles la part des ventes mondiales des produits incluant des nanotechnologies passera de 0,1 % en 2004 à 15 % en 2014, pour atteindre alors une valeur de 2600 milliards $US, ce qui équivaudra aux ventes obtenues dans les technologies de l'information. D'ores et déjà considérées comme révolutionnaires, les nanotechnologies auront créé 10 millions d'emplois dans huit ans.
Celles-ci sont pourtant encore peu connues du grand public et même des entreprises. Que sont-elles? La question surgit dès le début d'une conversation sur ce sujet. Il faut savoir d'abord qu'un nanomètre égale un milliardième de mètre, c'est-à-dire l'équivalent de quatre molécules d'eau. En utilisant des microscopes spéciaux à effet tunnel ou à force atomique, on pourra fabriquer des nano-objets 30 000 fois plus petits qu'un cheveu humain, ne mesurant que quelques nanomètres. Or, à cette échelle, la matière présente des propriétés différentes dans sa couleur, sa force, sa résistance, sa conductivité, etc. Les nanotechnologies sont issues d'une compréhension fondamentale des sciences quantiques, moléculaires et atomiques. Elles permettent de produire de nouveaux matériaux plus durs, plus résistants, plus légers et moins coûteux. Elles rendent possible la création de composants électroniques plus petits pour développer des processeurs plus puissants. Elles contribuent à développer des applications pouvant décupler le potentiel de l'énergie solaire et d'autres applications assurant la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies sans qu'il y ait d'effets secondaires dans l'ensemble du corps. En fait, on parle de plus en plus de nanobiotechnologies.
Il va sans dire que les possibilités de recherche et de développement dans un univers aussi vaste sont considérables. NanoQuébec, une organisation sans but lucratif fondée en 2001, a pour préoccupation immédiate de délimiter un champ d'action en vue de cibler de façon précise les applications industrielles qui pourraient avoir un impact significatif. «C'est notre mission», dit M. Nault, qui en 2006 veut faire avancer suffisamment cette recherche de manière à ce que la politique d'innovation que le gouvernement québécois a l'intention de présenter l'automne prochain contienne un volet fort en nanotechnologies.
Contrairement aux chercheurs qui ont choisi récemment de remettre leur démission pour protester contre les faibles montants accordés par Québec pour la recherche, personne à NanoQuébec n'a fait un tel geste, même si le gouvernement n'a accordé que deux millions pour 2006, alors qu'il y avait une demande de 20 millions pour les trois prochaines années. NanoQuébec se réconforte à la lecture du discours du budget de Michel Audet, qui souligne l'importance des nanotechnologies. Valorisation-Recherche Québec a été le principal bailleur de fonds de NanoQuébec depuis 2001 en contribuant 13 millions de dollars sur un budget total de 16,3 millions. Dans ses prévisions budgétaires 2006-08, NanoQuébec aurait besoin, pour réaliser son plan d'affaires, de 15 millions par année, soit 45 millions sur trois ans, venant de trois sources, à savoir 20 millions de Québec, 20 millions d'Ottawa et cinq millions du secteur privé. Mais pour cette année, ce sera quatre millions au lieu de 15, constate M. Nault.
Depuis 2001, NanoQuébec, organisme créé d'abord pour faciliter le réseautage des chercheurs en nanotechnologie et chargé, à partir de 2003, d'élaborer un plan d'action pour développer des applications industrielles et commerciales, a contribué à la mise en place d'un parc d'infrastructures de 400 millions de dollars, mis au service de neuf universités et de 12 plates-formes d'équipements. Pour gérer et maintenir les activités de cette organisation à un niveau optimal, NanoQuébec dit avoir besoin de six à huit millions par année, en cherchant en même temps à rejoindre tous ceux (chercheurs et compagnies) qui ne font pas partie du réseau, de manière à assurer une cohérence entre toutes les démarches entreprises et à éviter la duplication.
Quoi qu'il en soit, avec des moyens relativement modestes, le Québec occupe une position de leadership au Canada en matière de nanotechnologies. Il arrive au premier rang pour les investissements en recherche et développement, soit 57 millions en 2004, ce qui demeure une goutte d'eau en comparaison des 3,8 milliards $US investis à l'échelle mondiale. Sur 120 entreprises canadiennes qui développent des nanotechnologies, 50 sont québécoises, soit 42 %; avec un bassin de 200 chercheurs, le Québec se situe également au premier rang. En fait, Montréal est de loin le principal centre d'activités en nanotechnologie, avec 40 % des organisations actives en ce domaine; Toronto se situe au second rang, avec 25 %; Ottawa suit avec 15 %, précédant Vancouver et Edmonton, avec chacun 10 %. Soit dit en passant, le gouvernement fédéral n'a pas encore élaboré de stratégie canadienne portant sur les nanotechnologies. Sur les 200 chercheurs québécois, 62 % se trouvent dans la région montréalaise, 25 % à Sherbrooke et 11 % à Québec.
Le nombre d'entreprises oeuvrant en nanotechnologie a augmenté de 34 % au Québec entre 2003 et 2005 et les ventes de 20 entreprises ont fait un bond de 53 %, passant de 22 à 85 millions de dollars, ce qui confirme, aux yeux de NanoQuébec, que ce créneau d'activités est un puissant moteur de développement industriel. Parmi les PME les plus actives, il y a certainement Raymor, qui produit des nanotubes de carbone monoparois, des nanomatériaux, et qui trouve ses clients dans l'aérospatiale, la défense, l'automobile, le secteur médical et dans de nombreux produits de consommations (écrans plats, textiles, peintures, etc.). Il y a par exemple des vernis qui résistent aux rayons infrarouges et à toute égratignure. Une autre PME, Biophage Pharma, développe des produits basés sur la technologie des phages et concentre ses efforts sur le développement de biocapteurs permettant la détection rapide et l'élimination des contaminants biologiques, y compris ceux utilisés par les terroristes.
Par ailleurs, NanoQuébec a une entente avec Paprican, un regroupement de recherches des papetières canadiennes. Les perspectives de développement nanotechnologique dans les fibres de bois sont hallucinantes. On pense à un papier intelligent comprenant des composantes électroniques de sécurité intégrant une mémoire magnétique, à un papier plus mince et plus léger, un papier autonettoyant, hydrophile ou hydrophobe, un papier qui se dégrade ou pas. Kimberly-Clark a déjà mis sur le marché un papier mouchoir ayant la propriété de tuer les virus du rhume et de la grippe. L'industrie des pâtes et papiers, très mature depuis longtemps, rêve déjà de se refaire une jeunesse, grâce aux nanotechnologies, lesquelles ont déjà un impact important dans l'aérospatiale et qui en auront de plus en plus dans la santé, les communications, l'énergie, le textile, etc.
Et pourtant, on constate à ce jour au Québec que les grandes entreprises sont absentes de la recherche et du développement des nanotechnologies, bien qu'ailleurs dans le monde de grandes firmes comme Kraft, Alcan, ABB, Merck, Bell Canada et d'autres aient investi 3,8 milliards $US en 2004. Au Québec, il y a Xeros qui s'y intéresse, de même que IBM à Bromont et Hydro-Québec, qui le font de façon plus timide. M. Nault ne cache pas que son défi est de convaincre les grandes sociétés d'investir dans les nanotechnologies.
Il déplore en outre l'absence de fonds d'amorçage et de démarrage, un manque de capital patient et l'inexistence d'un fonds québécois spécifique aux nanotechnologies. Trop peu d'entreprises connaissent le potentiel relié à ce nouveau champ de connaissances. NanoQuébec considère que le gouvernement devrait adopter une politique d'achat de produits en nanotechnologie, comme le font notamment les Américains dans les secteurs de la santé et de la défense.
Pour consolider la position de leadership du Québec, il y aurait lieu, selon NanoQuébec, de mettre en place un pôle physique, tel que cela existe en France, aux États-Unis et dans d'autres pays. On fait valoir qu'aucun autre domaine ne requiert autant de pluridisciplinarité, un mélange qui serait facilité par l'existence d'un lieu commun de travail. La construction d'un nouveau campus pour regrouper les composantes INRS matériaux de Varennes et INRS télécom de Montréal constituerait une belle occasion d'établir ce pôle physique, un projet qui à l'heure actuelle représenterait un investissement de 180 millions.
Enfin, une dernière préoccupation de NanoQuébec, et non la moindre, porte sur les risques potentiels pour l'environnement et la santé publique des applications industrielles des nanotechnologies. D'une part, les nanomatériaux permettront de réduire le poids des carrosseries d'auto et, du même coup, de réduire la pollution; d'autre part, les nanoparticules peuvent avoir un impact comme tout autre produit chimique. On sait que les nanoparticules ont tendance, sous certaines conditions, à s'infiltrer à l'intérieur des cellules. Bref, il n'existe pas encore d'étude concluante sur l'évaluation des dangers que pourraient représenter les nanotechnologies. En collaboration avec NanoQuébec, l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail s'affaire à rédiger un guide des bonnes pratiques destiné aux entreprises en nanomatériaux. NanoQuébec a mis sur pied un groupe de réflexion pour l'élaboration d'une stratégie de recherche et de formation concernant les aspects sociaux, éthiques et environnementaux de l'innovation fondée sur les nanotechnologies.
L'infiniment petit s'amène à grande vitesse
Nous sommes rendus «à la veille d'un décollage», croit Robert Nault, directeur général de NanoQuébec
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