À l’heure de la perte des repères identitaires, la notion d’industrie culturelle ou créative occupe une place centrale dans le processus de domination des oligarchies mondialistes. L’économie dite «du savoir» tarde à prendre le relais des anciens modes de production d’une société libérale en perte de vitesse. Et pour cause : les technologies numériques et la dissémination du «copier-coller» ont déjà pratiquement laminé toute notion de droit d’auteur. Les créateurs ont été remplacés par les «créatifs», c’est-à-dire les supplétifs d’une science du marketing qui aura investi les arts et la culture au point d’en faire de vulgaires produits à consommer et … à jeter.
Que reste-t-il des cultures d’élite ou populaires, à une époque où les «produits culturels» tiennent lieu d’AVATARS qui servent à promouvoir des stratégies de marketing ou, pour dire les choses autrement, des campagnes d’endoctrinement des citoyens devenus consommateurs. De la notion d’industrie culturelle, c’est le premier terme qui retient notre attention en cela que la culture ne représente plus qu’une production étant prise en charge par une industrie au service de la plus-value matérielle ou symbolique captée par les forces dominantes du marché.
L’industrie culturelle
La notion d’industrie culturelle a été élaborée par les théoriciens des communications Adorno et Horkheimer au sein d’un essai intitulé La dialectique de la raison. Les deux philosophes, issus de l’école dite de Francfort, vont se pencher sur la condition de l’homme moderne dans une société où la production de masse va jusqu’à réguler les mécanismes de la communication et les repères culturels. Ils affirmeront que l’impact des médias modernes aura contribué à provoquer une acculturation graduelle des masses. C’est en réduisant le citoyen au stade de simple consommateur que les élites peuvent manipuler des phénomènes de masse qui conduisent de manière irrémédiable aux pires totalitarismes.
Aux processus de standardisation industrielle correspond un nivellement par le bas qui a pour effet d’abolir toute notion d’authenticité dans le sens où l’entendaient les tenants du mouvement Arts & Crafts par exemple. Ainsi, les médias de masse reproduiraient, toujours de l’avis des théoriciens de l’école de Francfort, un conditionnement calqué sur l’effet de répétition induit par les processus industriels de reproduction.
L’œuvre d’art disparaît
Un artefact est un objet «fait main» qui témoigne d’un savoir-faire maîtrisé par un artisan ou un artiste qui tentera d’y imprimer sa marque personnelle. Mêmes les plus simples créations utilitaires témoignent de cette relation privilégiée qui unissait le créateur à sa création. La mécanisation des processus de production finit par se muer en capacité de reproduction, permettant une médiation entre le travail humain et les produits qui sont destinés aux échanges commerciaux. Cette médiation fera en sorte que la copie finisse par prendre le pas sur l’original ou le produit «fait main».
À la production industrielle correspond la notion de copie, alors que l’idée originale est tenue en captivité au moyen de la mainmise sur les brevets et autres titres de propriété par des capitaines d’industrie qui ont compris l’importance des processus créatifs pour la création d’une «valeur ajoutée» qui fera toute la différence en bout de ligne. Les philosophes allemands, Hegel en particulier, ont pressenti que la sacralité des œuvres d’art allait se perdre dans un contexte où les artefacts produits par l’industrie moderne doivent être disponibles pour le plus grand nombre et être désirés avant d’être achetés et consommés.
Un monde irrévérencieux et désillusionné
La révérence fait place à l’irrévérence dans un mode où le voyeurisme tient lieu de contemplation. Certains parlent d’une valeur d’exposition, puis de valeur ajoutée, puisque les produits de la créativité humaine ne brillent plus au moyen de leur aura propre mais plutôt à cause de la valeur induite par les processus de marketing qui agissent comme une véritable industrie du conditionnement.
Adorno et Horkheimer sont sans équivoque en signant un texte qui s’intitule «La production industrielle de biens culturels» :
« Dans le capitalisme avancé, l’amusement est le prolongement du travail. Il est recherché par celui qui veut échapper au processus du travail automatisé pour être de nouveau en mesure de l’affronter. Mais l’automatisation a pris un tel pouvoir sur l’homme durant son temps libre, elle détermine si profondément la fabrication des produits servant au divertissement que cet homme ne peut plus appréhender autre chose que la copie, la reproduction du processus du travail lui-même ».
L’arrivée du monde numérique a poussé cette logique de la répétition et de la copie jusque dans ses derniers retranchements. Les créateurs ont cédé le pas aux producteurs et autres diffuseurs de produits culturels dont la valeur ajoutée diminue au fur et à mesure qu’ils sont dupliqués. L’univers de l’intégrité se résorbe au sein de celui de la duplicité. La consommation est réellement un marché de dupe, alors qu’un nombre croissant d’artefacts ne sont ni beaux, ni utiles. Il s’agit de s’adapter aux effets de mode qui ont remplacé les modes de vie d’antan.
Jouir sans entraves
Le consommateur a, depuis belle lurette, remplacé le citoyen et la démocratie se résume à un pouvoir d’achat qu’il convient de capter par tous les moyens. La culture devient affaire de divertissement si l’on retient les hypothèses émises par l’école de Francfort et la consommation effrénée finit par induire un effet hypnotique, un effet de fascination qui interdit toute forme de pensée réfléchie. La rationalité technique a fait place à un art de la séduction qui se décline par le biais des médias de masse.
Les Punk des années 1975-1980 se moquaient de la prétendue révolution des soixante-huitards et autres hippies dans un contexte où cette frange de la petite bourgeoisie ne faisait qu’épouser les nouvelles façons de consommer d’une culture parfaitement adaptée au néolibéralisme qui allait suivre à partir des années 1980. Michel Clouscard dans son ouvrage intitulé «Critique du libéralisme libertaire» nous rappelle que la liberté de conscience n’est possible qu’à travers ce processus de médiation des intérêts humains qui avaient été esquissé par les thèses de Jean-Jacques Rousseau. Le «contrat social» aurait été rompu depuis près de deux siècles par les tenants d’un libéralisme qui tablerait sur des préceptes darwiniens qui les arrangent bien.
La prétendue révolution «libertaire» ne serait que l’intégration de la logique libérale par des «avant-gardes» issues directement des classes dominantes. L’injonction du «jouir sans entraves» menacerait l’altérité ou rapport aux autres, dans un contexte où le bien commun est écarté au bénéfice de la liberté triomphante … de ceux qui en ont les moyens.
La grande désillusion
«Dans nos ébauches il était question de culture de masse. Nous avons abandonné cette dernière expression pour la remplacer par « industrie culturelle » afin d’exclure de prime abord l’interprétation qui plaît aux avocats de la chose ; ceux-ci prétendent en effet qu’il s’agit de quelque chose comme une culture jaillissant spontanément des masses mêmes, en somme de la forme actuelle de l’art populaire. Or, de cet art, l’industrie culturelle se distingue par principe. Dans toutes ses branches on confectionne, plus ou moins selon un plan, des produits qui sont étudiés pour la consommation des masses et qui déterminent par eux-mêmes, dans une large mesure, cette consommation.»
Theodor W. Adorno
Les industries culturelles, toujours selon les penseurs de l’école de Francfort, agissent, telles des forces d’occupation, sur l’inconscient collectif et ses modes de représentation. La grande débauche, faussement festive, du Festival Woodstock aura permis de tester les effets du LSD et autres drogues dures sur une foule manipulée comme du bétail humain. En fait, ce festival représente le prototype d’une nouvelle déclinaison de l’industrie du spectacle. Un festival populaire qui devenait le porte-étendard des nouvelles industries culturelles.
Les folklores céderont la place à la culture POP, nouvel agrégat de pratiques éphémères mises en scène par les MAJORS ou ténors des industries culturelles. Le culte de la consommation atteindra son apogée au tournant de l’an 2000, avec la multiplication d’événements à «portée culturelle» qui permettent de disséminer de nouvelles tendances en matière de consommation et d’attitudes comportementales. La culture contemporaine, chapeauté par la dénomination POP, touche tout le monde et personne en même temps.
La culture de la nouveauté
La culture est, de l’avis des gurus de l’industrie culturelle, devenue numérique et elle se décline par l’entremise d’Internet, nouveau support d’une communication virtuelle qui maximise l’ubiquité de produits culturels qui servent de relais idéologique avant toutes choses. L’agit-prop des avant-gardes prétendument gauchistes a pulvérisé la culture traditionnelle, au sens où l’entendaient les philosophes de l’antiquité. La culture de l’événementiel remplaçant celle de la transmission des savoirs et techniques qui constituaient le lit du génie artistique. L’événementiel agit comme modus operandi d’une industrie culturelle qui gagne des parts de marché en écoulant des produits et des concepts qui sont caducs dès qu’ils sont consommés.
La culture est devenue une matrice de consommation qui permet de relayer de «nouveaux modes de vie» qui sont mis en scène afin d’enrégimenter les foules tout en conditionnant leurs affects. Les suprématistes russes, les futuristes italiens, les émules du Bauhaus, les égéries de la peinture POP des années 1950-1960 et le No-futur du début des années 1980, autant de prétendues «écoles de pensée» qui ont pavé la voie à cette culture du vide (après un siècle de TABULA RASA) au service des nouvelles élites dirigeantes.
Une culture au service du mondialisme
La néo-culture inoculée par le biais des nouveaux médias virtuels et des «événements culturels», jouant le rôle d’agoras consensuelles, sert les intérêts d’une nouvelle élite supranationale : l’HYPERCLASSE. Nouvelle méta-bourgeoisie, aristocratie numérique, cette élite utilise les flux financiers comme des vecteurs de pouvoir qui permettent d’interrompre ou de relancer des processus de reprise économique qui s’apparentent à de véritables actes de sabotage des économies nationales mises en coupe.
L’HYPERCLASSE met en scène ses penseurs et ses idéologues, tels un Zygmunt Bauman, véritable chantre d’un «éthos cosmopolite» refusant toute forme d’unité constitutive à une Europe qui serait, désormais, la matrice idéale d’une «société liquide» qu’il appelle de tous ses vœux. Le changement perpétuel est devenu la nouvelle norme, faisant en sorte que la tradition soit laissée pour compte. La tradition est caduc, la nouvelle société de l’égalité libérale-libertaire commande la TRANGRESSION des anciens codes socioculturels, pour que naisse un éthos libéré de toutes traces d’une civilisation qu’il convient de dissoudre une fois pour toute.
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les expositions universelles, à l’instar de l’EXPO 67 de Montréal, aient été conçues comme autant de «moments charnières» d’une mémoire collective détournée de ses finalités réelles. Le récit de cette fiction, mis en scène par certaines avant-gardes commanditées par les oligarchies aux commandes, clame que le Québec s’est «enfin» ouvert au monde lors de ce grand happening mondialiste. Si l’EXPO 67 constitue un temps fort de notre prétendue «émancipation collective», ce fut certainement par le fait que le peuple québécois – canadien français pour parler plus précisément – prenait conscience des «cultures du monde» en conformité avec un agenda politique parfaitement structuré.
C’est à partir de l’EXPO 67 que la divers-cité culturelle est devenue l’antienne obligée d’une ouverture sur les autres. Véritable sas de décontamination, ce passage obligé multiculturel consistait à dissoudre les sédiments de la culture locale en tablant sur la culpabilité et le complexe d’infériorité des autochtones québécois (toutes catégories anthropologiques confondues, ici). On comprendra que, par la suite, d’autres nations seront invitées à s’«ouvrir» de la même manière aux «cultures du monde».
Ce n’est pas un hasard si le thème de TERRE DES HOMMES fut mis en exergue pour cette exposition universelle. La «terre des hommes» signifiant une nouvelle humanité prétendument «libérée» des frontières et n’ayant de compte à rendre qu’à elle-même une fois débarrassée des anciennes divinités tutélaires qui régnaient sur la cité. La cité sera internationale ou ne sera pas. Point barre. Il s’agit d’un programme idéologique qui ne tolérera plus aucune exception dans les décennies qui suivront la tenue d’EXPO 67.
Cet article constitue le synopsis d’un essai qui devrait être publié dans le courant de l’année 2015.
Si vous désirez poursuivre l'article sur le site de l'auteur:
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
1 commentaire
François Fournier Répondre
22 novembre 2014Excellent texte !
À mon avis, vous mettez le doigt sur ce que Clouscard appel le libéralisme/libertaire.
La libération de toutes les structures traditionnelles au profit du mondialisme, au nom de la pensée libertaire.