L'importance des mots

La nation québécoise vue du Canada



Les mots sont importants au Proche-Orient. L'ancien secrétaire d'État américain George Schultz l'a répété presque quotidiennement alors qu'il tentait d'obtenir une reconnaissance de l'État d'Israël auprès de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à titre de condition préalable aux négociations de paix. Et quoique notre situation au Canada soit infiniment plus paisible, les mots sont tout aussi importants lorsqu'il s'agit d'aborder les relations entre les anglophones et les francophones, dont une majorité habite le Québec.
Sous l'entrée «nation» dans mon Petit Larousse, je trouve deux définitions. Fort à propos, la première comprend carrément des exemples canadiens: «Grande communauté humaine, le plus souvent installée sur un même territoire et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle, économique plus ou moins forte. - Les Premières Nations: au Canada, les Amérindiens et les Inuits.» La deuxième définition, d'ordre juridique et politique, décrit plutôt la nation comme une «communauté politique distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté».
La semaine dernière, après que le premier ministre Stephen Harper eut modifié la résolution du Bloc québécois visant à reconnaître la nation québécoise, la plupart des commentateurs ont porté leur attention sur les quatre mots précisant que cette reconnaissance devait se faire «au sein d'un Canada uni». Personne ne doutait que M. Harper voulait ainsi souligner le fait que, comme le suggère la deuxième définition du Petit Larousse, le terme «nation» décrit la réalité du Canada mais pas celle du Québec et qu'une résolution parlementaire ne changerait rien à cette réalité. Personne non plus ne doutait que par ce tour de passe-passe, Gilles Duceppe s'était fait déjouer par le premier ministre.
Cependant, plus tard dans la semaine, après que le Bloc eut décidé de soutenir la résolution telle qu'amendée par les conservateurs, plusieurs observateurs ont remarqué que les mots choisis par M. Harper étaient beaucoup plus significatifs. Autrefois, les politiciens canadiens avaient l'habitude de dire une chose en français et une autre en anglais. La semaine dernière, les conservateurs ont dit la même chose dans les deux versions de leur résolution.
Le choix du terme «Québécois» au lieu de «Quebeckers» dans la version anglaise de la résolution a semé une confusion appréciable un peu partout, même dans les rangs des conservateurs. Par exemple, le ministre des Relations intergouvernementales, Michael Chong, a expliqué sa démission en disant qu'il ne pouvait pas accepter une définition ethnique de la nation, ce qui suggère qu'au moins quelques conservateurs ont interprété la résolution de leur gouvernement dans le sens suggéré par la première définition de mon Petit Larousse. Cette perspective a été vivement critiquée par M. Duceppe et d'autres personnes. L'été dernier, quand M. Harper avait refusé d'employer le mot «nation» à l'occasion de la Fête nationale, M. Duceppe avait publiquement réclamé de savoir pourquoi le gouvernement canadien était prêt à reconnaître les autochtones comme membres d'une nation mais pas les Québécois.
Au début du dernier débat, le lieutenant québécois de M. Harper, Lawrence Cannon, a semblé s'inspirer de la définition de M. Chong. Mais il s'est par la suite rallié à l'opinion exprimée par le premier ministre Jean Charest et par le chef de l'opposition à Québec, André Boisclair, selon laquelle tous les résidants du Québec sont des Québécois. Avant de partir pour le sommet de l'OTAN à Riga, le premier ministre Harper a déclaré que les Québécois savent qui ils sont, ce qui suggère que c'est à chaque résidant du Québec de décider comment il veut être identifié.
Quel drôle de pays que le nôtre! Tandis que le débat sur la nation se déroulait au Québec, le premier ministre de la Colombie-Britannique, Gordon Campbell, arguait, dans le quotidien torontois National Post, que le Parlement canadien avait le devoir d'accorder aux autochtones la même reconnaissance que celle obtenue par les Québécois. M. Campbell a écrit son article à bord d'un avion qui le ramenait de Chine, et peut-être n'a-t-il pas compris qu'il ne s'agissait pas d'un amendement constitutionnel. Son absence pourrait également expliquer pourquoi il est le seul chef à penser que la reconnaissance des Québécois pourrait avoir un impact sur les droits des autochtones, ainsi que le prétendent certaines de leurs organisations.
On peut comprendre que M. Campbell n'ait pas eu le texte de la Constitution canadienne avec lui lorsqu'il a rédigé son texte. Cela lui a peut-être fait oublier que les droits des peuples autochtones avaient déjà été stipulés à la section 35 de ce document. Par contre, c'est dans cette même section qu'a été enchâssé l'accord conclu par son prédécesseur avec la nation nisga'a, un geste auquel M. Campbell s'était farouchement opposé en prétendant que cet accord ouvrait la porte à une forme de gouvernement racial. On comprend toutefois moins que M. Campbell, l'instigateur de la réunion de Kelowna avant les élections de 2005, ait oublié qu'il a fait partie de ceux qui, sous le gouvernement de Paul Martin, ont désigné les autochtones du nom de Premières Nations.
Même si ce n'est pas nécessaire, je doute que beaucoup de Canadiens s'opposeraient à voir le Parlement reconnaître formellement les autochtones comme Premières Nations au sein d'un Canada uni. Même s'il a soigneusement choisi ses mots, M. Campbell a fait une intervention inutile au milieu d'un débat déjà surchargé et émotif. Ceci nous rappelle qu'il y a un temps pour tout.
Norman Spector est chroniqueur au Globe and Mail.


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