Allons-y d’abord d’une évidence: le consensus national du printemps à propos de la gestion de la pandémie n’est plus qu’un lointain souvenir, même si le gouvernement Legault conserve un appui très majoritaire dans la population, ce qui n’est pas négligeable et doit demeurer à l’esprit. Le commun des mortels accepte les mesures sanitaires, quelquefois en grommelant, mais en acceptant naturellement qu’on ne traverse pas une pandémie sans sacrifier un peu de son confort. Il n’aime pas porter le masque mais refuse d’en faire un drame et s’y soumet de bonne foi. Il juge assurément certaines mesures excessives mais ne doute pas de la légitimité et des intentions honorables du gouvernement Legault.
Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne n’est pas laissé entrainer dans quelques dérives, comme en témoigne l’opération Oscar qui transformera en fin de semaine la police en brigade sanitaire dans les restaurants et les bars ou lorsqu’il évoque l’idée d’entrer dans les maisons où se tiendraient des rencontres privées ne respectant pas exactement les règles sanitaires indiquées. Cette dernière idée avait beau relever de la maladresse, on veut bien le croire, elle n’en a pas moins contribué à alimenter un climat de plus en plus tendu. Qu’il faille sévir contre les établissements qui ne respectent pas les règles sanitaires est une chose aussi compréhensible que nécessaire. Mais on ne saurait, à partir de là, légitimer une entreprise de surveillance de la population doublée d’un appel à la délation.
Il y a donc une critique raisonnable à faire de certaines mesures gouvernementales et il ne sert à rien de traiter de covidiots tous ceux qui les formulent. Mais il n’en demeure pas moins qu’un segment de la population a fait sécession mentalement et se sent de plus en plus aliéné par la gestion de la crise sanitaire, au point de nier l’épidémie et d’expliquer la situation présente par des théories de plus en plus farfelues en plus de brandir des drapeaux étrangers lors des manifestations. Elle se réfugie dans un monde idéologique parallèle et semble vouloir voir à tout prix un immense complot derrière la crise sanitaire. On en trouve dans cette mouvance qui en appellent à la violence en exprimant ouvertement un fantasme de coup d’État pour arrêter un gouvernement qu’ils jugent criminel. On trouve là la base d’un mouvement protestataire avec un vrai potentiel de croissance surtout si la situation continue de se décomposer comme on peut le redouter.
Une chose est certaine: le Québec est entré dans une dynamique d’extrême polarisation. La radicalisation en direct d’une frange de la mouvance anti-masque entraine la multiplication des déclarations les plus agressives sur les médias sociaux. Les propos orduriers se banalisent. Certains vont même jusqu’à menacer de mort les politiciens. Peut-on espérer que le climat s’apaise. Rien n’est moins certain. La crise libère des passions toxiques et normalise sur le plan rhétorique la violence politique, qui devrait pourtant demeurer un tabou en démocratie libérale. La classe politique, de ce point de vue, doit dès maintenant savoir qu’elle devra travailler à souder à nouveau la société québécoise. Nul ne sait vraiment comment s’y prendre en ce moment. Une chose semble certaine toutefois: ce n’est pas en normalisant le mépris ou la haine du «camp d’en face», quel qu’il soit, qu’elle y parviendra.