Par Johan Hardoy ♦ Docteur en histoire et diplômé de l’Institut d’études politiques de Lyon, Jean Étèvenaux a mené une carrière de journaliste et d’enseignant universitaire tout en écrivant une trentaine d’ouvrages. Dans son dernier livre, L’expansion chinoise, il décrit d’une façon fluide et documentée la manière dont la puissance chinoise, forte de plus de 1,4 milliards d’habitants, avance dans le monde comme un « rouleau compresseur qui prend son temps ».
Une croissance économique impressionnante
Dans sa longue histoire, l’Empire du Milieu a oscillé entre un développement auto-centré et une ouverture commerciale vers le monde extérieur. D’un côté, la Grande Muraille ; de l’autre, les routes de la soie dont la première date du début du deuxième siècle de notre ère.
Par ailleurs, les Chinois n’ont pas oublié l’humiliation « coloniale » infligée au XIXe siècle par les pays occidentaux, la Russie et le Japon, à l’occasion des traités inégaux qui entraînaient une obligation d’ouverture commerciale (il serait pourtant possible de leur faire remarquer que le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie intérieure peuvent également être définis comme des colonies !).
Aujourd’hui, du fait d’une impressionnante croissance moyenne de près de 10 % sur 25 ans, la Chine est devenue le premier exportateur mondial et la deuxième puissance économique, tandis que son PIB a dépassé celui des États-Unis depuis 2017. Cependant, le PIB par habitant est classé au 85e rang mondial et la Chine rurale, qui représente la moitié de la population, demeure dans la pauvreté. C’est pour cette raison qu’en 2020, la France a encore versé 140 millions d’euros à la Chine dans le cadre de l’aide publique au développement !
Dans un proche avenir, les nouvelles routes de la soie seront formées d’un ensemble de liaisons routières, maritimes et ferroviaires concernant 68 pays asiatiques et européens, dont la France.
Une pensée géopolitique concentrique
La mentalité chinoise affectionne les cercles, à commencer par celui qui enserre le yin et le yang, ce qui la conduit à appréhender le monde extérieur sous la forme de cercles concentriques, étant entendu que Taïwan et Hong Kong n’appartiennent pas à l’étranger. Le premier cercle est donc la mer de Chine, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée (une position riche de contentieux avec les puissances occidentales et les pays asiatiques de la région), puis vient la région du Pacifique sud et enfin le reste du monde.
Pendant que le régime chinois veille à ce que la diaspora demeure très connectée à son pays d’origine, Pékin pousse ses hommes à occuper des postes de direction dans les instances internationales tout en investissant dans les pays africains pour peser à l’ONU.
Une République populaire officiellement marxiste
Dans un État mêlant capitalisme étatique et socialisme autoritaire, le marxisme fournit toujours l’armature intellectuelle, morale et politique du régime. Xi Jinping, qui préside le pays depuis 2013, considère ainsi que « Marx et Engels ont révélé scientifiquement la loi historique selon laquelle le socialisme remplacera inévitablement le capitalisme ». L’un des axes majeurs de sa politique réside dans l’autorité absolue du Parti communiste chinois (PCC) sur l’armée et la nation.
Les moyens de contrôle de la population sont multiples – le « crédit social » qui évalue et sanctionne le respect des règles gouvernementales par les citoyens, la reconnaissance faciale, les dénonciations, les humiliations publiques et les détentions secrètes, entre autres – mais Xi Jinping a récemment exprimé son mécontentement sur l’insuffisance du contrôle du cyberespace et des médias sociaux par le PCC. Les « mauvais citoyens » sont considérés comme les responsables des restrictions de liberté.
Pendant la récente pandémie, la population a dû supporter des contrôles extrêmement draconiens du fait de l’idéologie du zéro Covid voulue par le PCC.
Par ailleurs, l’État, dont l’athéisme est consubstantiel à l’idéologie fondatrice, ne reconnaît que cinq religions dont il encadre étroitement le culte tout en le persécutant régulièrement : le taoïsme, le bouddhisme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme (il existe également une tolérance de fait pour les quelques orthodoxes dépendant du patriarcat de Moscou), les autres spiritualités constituant des « activités religieuses illégales ». Des milliers d’adeptes de la discipline spirituelle du mouvement Falun Gong, qui combine gymnastique et contrôle de soi, ont été emprisonnés quand les autorités ont constaté que le nombre de ses pratiquants était comparable à celui du PCC. Emprisonnements, tortures et prélèvements non consentis d’organes se sont abattus sur ses adeptes. Les loagai, les « camps de rééducation par le travail » officiellement supprimés en 2013, accueillent toujours plusieurs millions de prisonniers…
« L’économie socialiste de marché » chinoise ne peut pourtant pas être qualifiée de marxiste. Dès 1956, le régime a eu recours à des méthodes capitalistes pour devenir un pays industrialisé. Certains observateurs le qualifient même « d’ultra-libéral » en raison d’inégalités sociales qui sont parmi les plus fortes du monde et du désengagement de l’État dans certaines activités économiques, ce qui ne signifie pas que le PCC n’en garde pas le contrôle en dernier ressort. En outre, la Chine accueille les investissements étrangers et favorise les transferts de technologies occidentales liés aux coentreprises.
Dans le domaine militaire, l’Armée populaire de libération, qui a succédé à l’Armée rouge, augmente régulièrement ses capacités, notamment dans le domaine nucléaire, tout en étant présente dans le sous-continent indien et à Djibouti, dans des opérations de paix en Afrique et même, via sa marine, en Méditerranée. La conquête de l’espace constitue également un volet important de ses ambitions de grande puissance.
Sinophiles et agents d’influence
La propagande chinoise s’efforce d’étendre partout son influence, y compris d’une manière dissimulée ou insidieuse. Deux millions de personnes seraient payées à temps plein pour la relayer, assistées de vingt millions à temps partiel. Le régime vise les médias et les journalistes étrangers, tout en cherchant à s’attacher la bienveillance d’hommes politiques et de chercheurs.
Les 548 Instituts Confucius, répartis dans le monde et certains départements d’universités occidentales, participent de ce « soft power ». 17 d’entre eux sont présents sur le territoire français alors que la Suède a fermé les siens en raison de leur financement étatique.
Jean-Pierre Raffarin, le représentant spécial du ministère des Affaires étrangères pour la Chine, joue un rôle majeur dans les relations franco-chinoises et ne tarit pas d’éloge sur Xi Jinping. Dans le même ordre d’idées, des liens profonds avec l’administration américaine de Joe Biden sont observés.
« Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », écrivait Alain Peyrefitte en 1973. Aujourd’hui, la deuxième puissance mondiale entend bien devenir la première devant les États-Unis.
Johan Hardoy
24/06/2022