Brigitte de Margerie - Vendredi matin dernier, j'accompagnais dix jeunes dans leurs derniers préparatifs. Dix jeunes qui rêvent d'un monde meilleur. Pendant des semaines, ils ont préparé leur périple vers Toronto. Ils savaient beaucoup sur ce qui les attendait, beaucoup et peu à la fois. Ils savaient qu'en allant à Toronto, ils s'exposaient. Cependant, avaient-ils le choix?
Ces dix jeunes croient intensément que les forces politiques et économiques qui gouvernent actuellement la planète nous mènent vers un mur. Ils ont compris il y a longtemps que le capitalisme sauvage ne sauvera pas de leur sort les populations affamées, et ce, malgré les grands discours de nos chefs d'État. Ils ont compris que les géants économiques, avec leur insatiable soif de pétrole, n'auront jamais d'égard pour les réserves d'eau qui déjà diminuent et qui devraient donner à boire à leurs enfants et petits-enfants, un jour.
Ils ont compris aussi que tout pouvoir politique peut, par un discours contrôlé à saveur propagandiste, imposer une idéologie et influencer l'opinion publique. Ainsi, sous le sacro-saint prétexte de la sécurité publique, un gouvernement s'autorisera à déployer des mesures de sécurité disproportionnées et brutales pour contrôler des manifestations de désaccord à l'endroit de son autocratie. Et cette prétendue sécurité en sécurisera plusieurs... Elle vise à maintenir l'ordre. L'ordre de quoi? L'ordre du contrôle. Le contrôle de quoi? Le contrôle économique. Le contrôle idéologique. Le contrôle politique.
Ils partaient donc ce matin-là, sourire aux lèvres, conscients de faire partie d'un mouvement solidaire mondial de protestation. Ils partaient, à 5 h 30, alors que Montréal dormait encore, conscients qu'une vaste majorité de concitoyens demeurent indolents sans voir le péril de notre consommation frénétique. La veille, c'était la Saint-Jean, non? Dix jeunes, les mains chargées d'espoir, n'avaient rien à faire d'un party de la Saint-Jean bien arrosé. Pour eux, la vraie cause n'est plus de débattre, en ce 24 juin, du sort du Québec dans l'échiquier canadien.
Ces dix jeunes, et d'innombrables autres personnes à travers le pays, ont compris que nos frontières sont désormais beaucoup plus vastes, sur le plan géographique, mais beaucoup plus restreintes sur le plan des idéaux. Ils ont une pensée planétaire qui les rend sensibles à l'urgence de la souveraineté alimentaire des peuples, à l'oppression des femmes par les hommes, à l'esprit colonialiste des exploitants économiques de ce monde, à l'hégémonie du pétrole, à la dilapidation des ressources naturelles que sont l'eau, le sol et l'air au profit d'une poignée d'individus assoiffés de pouvoir, aux idéologies conservatrices anti-avortement, à la destruction de nos océans par l'industrie sauvage de la pêche, aux semences stériles imposées aux agriculteurs qui nourrissent la planète, à l'invasion incontrôlée de produits toxiques dans l'environnement, aux manigances commerciales qui convainquent tout un chacun de rester jeune, d'avoir des dents plus blanches et de la nécessité de s'offrir une cuvette de toilette plus confortable... et j'en passe. Aller toujours plus vite, plus loin, vers le mur.
Allez-y, courez! Consommez. Si vous vous retournez, vous verrez derrière vous une poignée d'individus qui tentent de ralentir la marche vers ce mur que vous ne voulez pas voir.
Ils sont 10, ils sont 100, ils sont 1000. Ils venaient de partout sur la planète, de tous genres et toutes origines. Ils convergeaient cette fin de semaine à Toronto se jeter avec beaucoup de courage dans un vis-à-vis avec l'ordre étatique qui les attendait avec canons et balles, prison et appréhension. Tel est l'accueil que réservent ceux qui ne veulent pas entendre mais garder le pouvoir, aux tenants de la justice sociale.
L'heure est maintenant aux bilans de cette désormais célèbre réunion, et je vous prends à témoin sur la couverture médiatique... Qu'apprendrez-vous du message de ces 10 ou 1000 individus partis en croisade? Rien. On vous servira plutôt une déclinaison statistique du désordre qu'aura connu Toronto: quelques arrestations, car il fallait justifier la prison temporaire installée au coeur même de la ville, et des fauteurs de troubles parmi les groupes organisés... comme prévu. Conséquemment, un grand silence sur les intentions de tous ces gens qui se mobilisent. Ni les OGM ni les contestataires de la rue n'auront pu se faire entendre.
Ne vous fiez pas au discours officiel. Ces jeunes et moins jeunes qui ont marché sur Toronto ne sont pas des délurés. Ce ne sont pas des anarchistes enragés. Ce ne sont pas des extrémistes. Ce ne sont pas des terroristes. Ce ne sont pas des fanatiques ni même des alarmistes. Ils ont simplement une longueur d'avance sur certains d'entre nous qui n'ont pas encore compris que de se rendre soir et matin seul dans son 4X4, banlieue-boulot-dodo, est un modèle dépassé de surconsommation. Ils souhaitent, pour nos descendants à tous, une vie empreinte d'égalité et de justice, même si cela signifie ralentir...
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Brigitte de Margerie - Montréal
L'espoir seul face aux risques
Ainsi, sous le sacro-saint prétexte de la sécurité publique, un gouvernement s'autorisera à déployer des mesures de sécurité disproportionnées et brutales pour contrôler des manifestations de désaccord à l'endroit de son autocratie.
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