François Delorme connaît le style et les manœuvres des agences de notation comme Moody’s et Standard & Poor’s. Pendant 20 ans, il a croisé le fer avec elles pendant qu’il travaillait au ministère fédéral des Finances. Les discussions qu’il a eues avec elles, derrière des portes closes, l’amènent à poser un regard critique sur le plan de rigueur budgétaire que maintient le gouvernement Couillard. L’économiste milite pour la création d’un observateur économique indépendant.
Vous remettez en question la pertinence de la rigueur du plan budgétaire du gouvernement. Expliquez-nous ce qui vous déplaît?
«Je crois à l’assainissement des finances publiques, mais on ne coupe pas de façon aveugle et dogmatique quand l’économie est en récession. Pour avoir vu, chaque année, comment travaillent les agences de notation de crédit, je sais qu’elles ne demandent pas la cible zéro. Ce qui les intéresse, c’est de voir un plan de redressement crédible, qui se tient. C’est pourquoi je dis que les objectifs du gouvernement sont louables, mais pas la vitesse de leur application. Ce n’est pas le temps de resserrer la vis.»
Vous lui reprochez de fragiliser nos choix de société. Pourquoi?
«Avec les coupures qu’il applique, on commence à en voir les dommages collatéraux qui fragilisent notre système social. Oui, on est plus taxés qu’ailleurs pour offrir des garderies, un système public de santé et encourager une politique familiale. Mais la société a choisi depuis 45 ans de se doter d’un filet social plus élevé pour accueillir les gens qui sont malmenés par la vie. C’est le rôle du gouvernement de se préoccuper de préserver l’intérêt collectif, malgré les impératifs d’arbitrage qu’il a à faire.»
Vous déplorez aussi l’incohérence du gouvernement en matière environnementale. Expliquez-nous.
«La question environnementale est le seul problème économique où on ne peut pas faire de la procrastination. Par exemple, le Québec compte la population la plus vieillissante après le Japon, et on sait qu’on a un régime de retraite public qui sera en manque dans 15 ans pour assurer les revenus des vieux. Je ne doute pas que les climatologues aient raison et que 2050 soit la date butoir, c’est le seul problème économique caractérisé par l’irréversibilité. On ne peut pas botter la balle en avant trop longtemps. On ne peut pas attendre le 31 décembre 2049 pour agir. Pour cela, il faut décourager les activités économiques nuisibles.»
Le gouvernement Couillard est-il prêt à changer les règles économiques au Québec pour y arriver?
«Le gouvernement envoie des signaux ambivalents. Il dit que la politique d’électrification des transports est un pilier majeur de notre stratégie climatique et, en même temps, il dit que l’oléoduc Énergie Est est important. À un moment donné, c’est plus qu’une question de prix, c’est une affaire d’avoir le courage de prendre position.»
Pourquoi réclamez-vous un observateur économique indépendant?
«Il en existe un à Ottawa, qu’on appelle le Directeur parlementaire du budget, et j’ai vu comment le gouvernement le respecte. C’est important d’avoir un organisme capable d’évaluer les décisions du gouvernement et d’accompagner les élus dans la compréhension des documents qui leur sont remis. Il aide les députés à se positionner, en dehors des aléas de la politique partisane.
C’est à l’avantage d’un gouvernement qui veut être transparent. Ce n’est pas un contre-pouvoir.
L’observateur indépendant voit si une décision a du sens au niveau économique et au niveau social. Il évalue la vision globale du gouvernement, ce qui est bien différent du rôle du Vérificateur général, qui, lui, est un comptable.
On est rendu dans un contexte planétaire où il faut que nos élus aient le choix de leur camp et trouvent leurs propres réponses.»
Qui est-il ?
François Delorme
Professeur d’économie à l’Université de Sherbrooke, François Delorme se définit comme un agent double qui croit à l’économie de marché, tout en intégrant de profondes préoccupations sociales et environnementales à ses recherches. Il a travaillé avec plusieurs ministres fédéraux des Finances et cinq ans et demi à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
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