L'amour vache

Sarko décore Charest - février 2009

Il n'y a pas que les Québécois qui sont outrés ces jours-ci des propos de Nicolas Sarkozy. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a eu raison de qualifier le président de «querelleur». Il ne se passe guère une semaine sans qu'il mette le feu quelque part. Depuis la semaine dernière, le président français a trouvé le moyen de se choquer aussi avec les Britanniques, comme il l'avait fait plus tôt avec les Polonais.
Trois jours après avoir accusé les souverainistes de pratiquer la «détestation» de l'autre, Nicolas Sarkozy se livrait à une de ces messes télévisées dont il a l'habitude. Répondant aux questions de deux journalistes (qu'il avait lui-même désignés), il ridiculisa la politique de relance économique de Gordon Brown. La réduction de la TVA n'a entraîné «absolument aucun progrès», disait-il. Au passage, il reprocha à ses voisins d'outre-Manche d'avoir liquidé leur industrie, «à la différence de la France».
Ces affirmations ont soulevé un tollé dans la presse londonienne. Manque de chance, l'industrie pèse plus lourd là-bas qu'en France (16,6 % du PIB contre seulement 14,1 %). Gordon Brown ayant le bras plus long que Pauline Marois, Nicolas Sarkozy a dû faire amende honorable en adressant une lettre au premier ministre. Lettre dans laquelle il accuse tout de même la presse d'avoir déformé ses paroles pourtant entendues par plus de 15 millions de téléspectateurs.
La seule fois où j'ai eu la chance d'interviewer Nicolas Sarkozy, je lui avais posé une question sur la police communautaire, qui a fait ses preuves depuis plus de 20 ans dans toutes les grandes villes nord-américaines. L'ancien ministre de l'Intérieur ne semblait rien connaître des expériences de Montréal et de Los Angeles. Comme le disait poliment cette semaine le philosophe Pierre Manent, il lui arrive souvent de «manquer d'épaisseur».
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Il faut tout de même un certain talent pour réussir à s'attirer en même temps les foudres de toute la presse québécoise et les félicitations des éditorialistes du Canada anglais. Le plus surprenant n'est pas tant l'ignorance du président que l'absence de réactions dans la classe politique française.
Beaucoup y verront un recul des souverainistes en France, ce qui n'est probablement pas faux. Précisons cependant que peu de responsables politiques de droite sont en position de réagir. Soit qu'ils occupent un poste qui dépend du président, soit que leurs ambitions politiques les obligent au mutisme. Depuis le limogeage du responsable de la sécurité en Corse et la mutation du préfet de la Manche pour cause de lèse-majesté, on sait que le président a le congédiement facile.
La chose est moins compréhensible à gauche. Un leader socialiste comme Pierre Moscovici n'avait-il pas trouvé le temps de publier une lettre dans Le Monde lorsque Sarkozy, alors président de l'Union européenne, avait mis en furie les Polonais en prenant position sans aucun mandat contre le bouclier spatial antimissile?
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Fait encore plus inexplicable, il s'est trouvé quelques Québécois et même des souverainistes pour se féliciter de la nouvelle formule qui réglera dorénavant les rapports entre la France et le Québec. Le remplacement de la «non-ingérence et non-indifférence» par «les Québécois sont nos frères et les Canadiens nos amis» ne devrait pourtant réjouir personne. J'y vois quant à moi une sorte de provincialisation du Québec, une façon de nous reléguer dans le folklore.
Certains auront probablement succombé aux oeillades de Nicolas Sarkozy, qui a eu l'intelligence de nous dire qu'il nous aimait. Rien de tel pour désarmer la critique chez un peuple qui aime tant se «laisser parler d'amour». La semaine dernière, le président n'a-t-il pas utilisé le mot «amour» sous le regard envoûté de Jean Charest? J'ai cherché le mot dans la table des matières de mon manuel de sciences politiques. Je n'ai rien trouvé!
Le président Sarkozy ne s'y serait pas pris autrement s'il avait voulu dire aux Québécois qu'il réservait désormais à Ottawa ses relations politiques. Que dira la France si, un jour, un premier ministre québécois lui propose la création d'un groupe de travail sur la diversité culturelle comme celui que Lucien Bouchard avait obtenu de Lionel Jospin en décembre 1998? À l'époque, Ottawa refusait toute participation autonome du Québec dans les rencontres internationales. La France l'avait alors aidé à sortir de l'isolement. Loin de nuire à l'avancement des choses, cette saine émulation entre Ottawa et Québec a finalement mené à l'adoption de la charte sur la diversité culturelle par l'UNESCO.
Les Québécois n'attendent pas d'«amour» de la France, mais un soutien politique dont ils ont un besoin vital et essentiel chaque fois qu'Ottawa tente de leur faire de l'ombre dans le monde. Or cela se produit beaucoup plus souvent qu'on ne le croit.
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crioux@ledevoir.com
Rectificatif: comme quelques collègues, la semaine dernière, j'ai eu la faiblesse de me fier à une transcription erronée des propos de Nicolas Sarkozy. J'ai donc faussement prêté au président le mot «imbécile» alors qu'il avait plutôt qualifié les souverainistes d'«agressifs». La formule a l'avantage d'être plus polie. Mes excuses.


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