L'ami ontarien

Le grand cirque ordinaire des illusions « Canadian »


Le Sommet de la Terre, en 1992, à Rio de Janeiro, a sans doute été le point culminant de la carrière fédérale de Jean Charest, alors ministre de l'Environnement dans le gouvernement Mulroney.
«Ç'a été, pendant deux semaines, une expérience inoubliable et tellement réussie que, par la suite, les gouvernements provinciaux, dans tout le Canada, ont adopté sans rechigner les dispositions du traité sur les changements climatiques et celui sur la diversité», a-t-il écrit dans son autobiographie.
En tournant le dos au protocole de Kyoto, Stephen Harper a en quelque sorte saboté l'oeuvre de M. Charest, qui avait vu dans la collaboration entre Ottawa et les provinces à Rio une expérience significative pour l'avenir du fédéralisme canadien.
En faisant front commun avec son homologue ontarien Dalton McGuinty pour forcer la main du gouvernement Harper, M. Charest est donc parfaitement cohérent. L'entêtement de M. Harper est non seulement irresponsable sur le plan écologique, mais également nuisible à l'harmonie au sein de la fédération.
La vive réaction du ministre fédéral de l'Environnement, John Baird, atteste que le coup a porté. Hier, à la Chambre des communes, M. Harper, dont l'avenir politique dépendra largement de l'humeur des électeurs québécois et ontariens, semblait tout aussi agacé. «Je suis étonné que ce ne soit pas la fête à Ottawa», a déclaré M. Charest, le sourire en coin.
Il avait peut-être une autre raison d'être satisfait. Cette alliance avec l'Ontario tombe plutôt bien. Selon le dernier sondage Crop, une majorité parlementaire est maintenant à sa portée, s'il peut trouver un prétexte pour mettre fin à la «cohabitation» dont il vante continuellement les mérites.
Les libéraux ne peuvent pas se lancer dans une surenchère sur la question de l'identité. En revanche, la lutte contre les changements climatiques est un thème qui va à M. Charest comme un gant. C'est non seulement «l'enjeu de notre génération», mais aussi une magnifique occasion de poser à la fois en défenseur des intérêts du Québec, dont les efforts ne sont pas reconnus à leur juste valeur, et en rénovateur du fédéralisme.
Qu'il s'agisse de faire front commun contre Ottawa pour faire respecter les objectifs du protocole de Kyoto ou de parachever le «marché commun» entre le Québec et l'Ontario, M. Charest peut légitimement prétendre qu'un gouvernement résolument fédéraliste peut mieux collaborer avec les autres provinces qu'un gouvernement souverainiste ou même autonomiste.
Remarquez, la politique provoque souvent des rapprochements qui peuvent sembler contre nature, l'ennemi d'un ennemi devenant tout naturellement un ami. Ainsi, en septembre 2000, Lucien Bouchard avait élevé son homologue ontarien, Mike Harris, au rang de «grand ami du Québec», après que les deux hommes eurent uni leurs efforts pour forcer Jean Chrétien à augmenter la contribution fédérale au financement des services de santé sans imposer des conditions trop contraignantes.
Deux ans plus tôt, M. Bouchard avait dépeint ce même Mike Harris comme une espèce d'ogre réactionnaire qui avait condamné les bénéficiaires de l'aide sociale de sa province à se nourrir au «baloney». Avec le recul, le souvenir de l'ancien premier ministre mettant les Québécois en garde contre le «vent glacial de la droite» est assez divertissant.
Hier, il était presque touchant d'entendre Dalton McGuinty évoquer les alliances d'autrefois entre Louis-Hippolyte Lafontaine et Robert Baldwin, Georges-Étienne Cartier et John A. Macdonald. Il fallait peut-être un premier ministre venu de l'Ouest canadien pour raviver cette belle amitié entre le Bas-Canada et le Haut.
Personne ne peut s'opposer à une plus libre circulation des biens et services, mais il y avait beaucoup de théâtre dans cette réunion conjointe «historique» des deux Conseils des ministres. Le Québec et l'Ontario avaient déjà conclu onze ententes en 2006 et on n'en avait pas fait tout un plat. Quant au TGV...
MM. Charest et McGuinty n'allaient évidemment pas gâcher la fête en faisant étalage de leurs différends, qu'il s'agisse de la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, du calcul de la péréquation ou encore de la création d'une commission des valeurs mobilières nationale.
Certes, même les meilleurs amis du monde ne peuvent pas être d'accord sur tout, mais il ne faut pas sous-estimer l'importance des divergences de vue qui persistent entre les deux plus importantes provinces canadiennes.
En ce qui concerne la péréquation, on peut facilement concevoir que chacune privilégie la formule qui l'avantage. En revanche, malgré la conclusion d'alliances ponctuelles contre le gouvernement fédéral, le débat sur le pouvoir de dépenser traduit une opposition fondamentale entre deux conceptions du fédéralisme. À tel point que M. Charest n'a même pas jugé utile d'aborder le sujet avec son homologue ontarien.
Le ministre responsable des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, assure ne pas avoir vu le projet de loi que le gouvernement Harper aurait déjà rédigé pour donner suite à l'engagement qu'il avait pris en décembre 2005, mais il sait parfaitement à quoi s'en tenir. Il sait aussi que, d'ici à quelques mois, la Cour suprême du Canada se prononcera pour la première fois sur la question. Décidément, il vaudrait peut-être mieux ne pas trop tarder avant de déclencher les élections.


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