C’est une voix d’outre-tombe qui jette le pavé dans la mare. Le témoignage posthume de l’ex-reporter Roger Auque nourrit et entretient la suspicion fort répandue que les journalistes de guerre seraient en fait des espions déguisés. À tort...
À Peshawar, c’était un lieu de passage obligé de tous les expatriés en mission au Pakistan. Et pour cause, le Club américain était l’un des rares endroits où on pouvait retrouver une vie occidentale quasi normale, les femmes dévoilées, l’alcool disponible.
Du coup, c’est une faune disparate qui se côtoyait: humanitaires passionnés, reporters faussement blasés, agents de la DEA (Drug Enforcement Agency) observant de loin la circulation de la drogue afghane, faux et vrais agents de renseignements, etc. Les échanges étaient naturels. À l’occasion aussi, le partage des informations.
Naïveté et prétention
De là à prétendre que les journalistes participaient sciemment au recueil des renseignements par les agents secrets est un pas qu’il serait injuste de franchir. Le partage d’informations procède alors plus d’un mélange d’innocente naïveté et d’une puérile prétention (oui, les reporters de guerre aiment bien vivre dans l’illusion de jouer dans un film d’action) que d’une vraie conscience de contribution à des opérations secrètes.
Cela n’empêche pourtant pas plusieurs de les fantasmer main dans la main avec la CIA, le Mossad et toutes les autres agences de renseignements. Sur les réseaux sociaux, peu compatissants avec nos collègues décapités, des internautes se demandaient à haute voix si certains otages ne seraient pas en fait de «faux journalistes et des vrais espions».
J’ai personnellement souvent goûté à cette désagréable médecine de la suspicion. Sur la toile, des articles m’accusent d’avoir collaboré avec la CIA pour nuire à l’image de Cuba, d’être un agent du Mossad pour mousser «la propagande sioniste» ou d’agir pour le régime rwandais pour dissimuler aux yeux des Canadiens «sa campagne génocidaire au Congo». Je suis bien souvent tenté de sourire, flatté qu’on me prête autant de pouvoir.
Seulement voilà, je ris moins en craignant que le livre de Roger Auque ne nourrisse les amateurs de scénarios de complot. Dans Au service secret de la République (éditions Fayard), l’ex-journaliste qui fut otage au Liban raconte qu’il a versé dans l’espionnage pour une raison bien vénale: l’argent. Ni par patriotisme enflammé, ni par adhésion idéologique, simplement pour l’argent, le métier de reporter ne nourrissant pas suffisamment son homme. Ce qui choque encore plus, c’est qu’il reconnaît qu’à l’occasion il maquillait des missions de recueil de renseignements en reportages tout ce qu’il y a de plus professionnel.
Admission facile quand elle est faite au crépuscule de la vie (Roger Auque est mort en septembre 2014 des suites d’un cancer), mais qui va désormais mettre en grand danger les journalistes en zone de guerre (comme si leur métier n’était pas déjà assez périlleux). Roger Auque aura donc encore réussi un autre coup d’éclat, mais je crains que plusieurs après ne le payent cher. Trop cher.
Et ça, c’est une faute grave.
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