Pas de moyens, pas de bureau, pas de pouvoir, pas de budget. Et pas d'ordinateur. C'est ce qu'a dit Jacques Duchesneau, hier, lors de son témoignage devant la commission Charbonneau.
C'est à se demander si le gouvernement voulait vraiment qu'il fouille dans les secrets du ministère des Transports et de l'industrie de la construction. Pourtant, c'est la ministre Julie Boulet, responsable du transport, qui a pris contact avec Jacques Duchesneau le 16 février 2010. Cet ex-chef de police avait la réputation d'être un homme intègre, une tête dure qui n'a pas peur des gros bras et des menaces du crime organisé.
Julie Boulet a donc appelé Duchesneau. Trois jours plus tard, il acceptait de diriger une unité anticollusion. Le Ministère s'apprêtait à investir 4 milliards dans la construction d'infrastructures. La ministre avait besoin d'un homme comme lui pour l'aider à prévenir la collusion.
Il faut se rappeler le contexte, le Québec nageait depuis des mois dans des histoires de corruption. Normal que la ministre s'inquiète pour ses milliards.
Mais Jacques Duchesneau ne l'a pas eu facile. Heureusement qu'il a une tête de cochon et qu'il ne doit rien à personne.
Son budget? Rien, ou presque. «J'ai demandé combien j'avais. Je n'ai jamais eu de réponse, a-t-il dit. On était comme un bébé inattendu. On a pris les fonds de tiroirs.»
Il a embauché une équipe d'enquêteurs. Ils n'avaient pas de bureau, ils travaillaient chez eux ou sur le terrain. Jacques Duchesneau? Il «squattait» le bureau d'une adjointe du sous-ministre.
«On n'avait pas de moyens, pas de protection et au début, même pas de véhicules», a-t-il raconté.
Il avait embauché une équipe d'une dizaine d'enquêteurs, des policiers à la retraite. Ils devaient utiliser leurs vieilles cartes d'identité parce que le gouvernement ne leur en fournissait aucune.
Il y avait aussi la méfiance. «On était un corps étranger dans un nouvel organisme, a dit Duchesneau. Au Ministère, ils nous voyaient comme des grosses polices.»
Il devait se battre contre la bureaucratie. Le sous-ministre Michel Boivin contrôlait tout. Les fonctionnaires refusaient de parler avec l'équipe de Duchesneau s'ils n'avaient pas son autorisation. Et comme le sous-ministre était débordé et difficile à joindre, Jacques Duchesneau devait ronger son frein. Sauf que Duchesneau n'est pas un homme patient. Et il déteste s'enfarger dans la bureaucratie.
Drôle d'homme que ce sous-ministre. Un bourreau de travail, un «control freak». Il a dit à Duchesneau: «Tu embarques dans ton sous-marin, tu fermes les écoutilles et tu disparais au milieu de l'Atlantique.»
Le message était clair: Ne parle pas aux journalistes.
Duchesneau a perdu des mois précieux à se battre contre la machine qui l'avait pourtant embauché. «On passait plus de temps à combattre les obstacles internes qu'à enquêter», a-t-il résumé.
Bizarre. D'autant plus bizarre que Duchesneau avait hérité d'un mandat large comme l'univers. Après avoir lu les huit pages qui définissaient son mandat, il a dit: «Si je réussis à tout faire, je vais être capable de marcher sur l'eau.»
Au bout de trois mois, Jacques Duchesneau a pété les plombs. Poliment. Il avait l'impression d'être pris dans un carcan. Le 25 mai, il a rencontré les gens du Ministère. Son message a été clair: «Ou vous me donnez les moyens de travailler ou vous cherchez quelqu'un d'autre!»
Après cette rencontre, les choses se sont tassées. Les hommes de Duchesneau ont obtenu le titre de commissaire-enquêteur, ce qui leur conférait un certain pouvoir, mais le sous-ministre leur a demandé de ne pas l'utiliser à cause d'une «ambiguïté juridique».
Bizarre.
Le témoignage de Jacques Duchesneau a débuté hier après-midi. Un témoignage très attendu qui s'étirera sur plusieurs jours, car la Commission veut examiner son rapport sous toutes les coutures.
Et pour cause. Son rapport, c'est de la dynamite. Jacques Duchesneau a dévoilé les dessous d'un «empire malfaisant» qui gangrène l'industrie de la construction. Il a démonté pièce par pièce un système bien établi, où des entrepreneurs s'entendent avec des firmes d'ingénieurs pour éliminer la concurrence et rafler des contrats qui valent des dizaines de millions.
C'est ce que Duchesneau a qualifié «d'univers clandestin et bien enraciné, d'une ampleur insoupçonnée».
Un rapport dévastateur de 78 pages qui a poussé Jean Charest à créer la commission Charbonneau.
Hier, on a compris avec quels moyens minimalistes Jacques Duchesneau a travaillé. Et comment il a failli claquer la porte. Sans lui, il n'y aurait pas eu de rapport. Et sans rapport, il n'y aurait jamais eu de commission d'enquête. La petite histoire derrière la grande.
Pas de doute, Duchesneau a marché sur l'eau.
michele.ouimet@lapresse.ca
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