Interculturalisme 2011 - Détournement d'inquiétude à Montréal

IDÉES - la polis


Les études sur Montréal et les autres villes canadiennes concluent toutes à l’inexistence de ghettos.


Photo : Jacques Grenier - Le Devoir


L'opinion publique québécoise semble s'être inquiétée récemment d'un possible processus de «ghettoïsation» dans les villes du Québec, et en particulier dans la métropole montréalaise. Cette inquiétude aura été nourrie par plusieurs événements, dont l'affaire du port du kirpan à l'école, les violences urbaines ayant suivi le décès d'un jeune dans le cadre d'une intervention policière ou la controverse entourant le «givrage» des vitres d'un YMCA à la demande de la communauté juive hassidique.
Cette inquiétude s'est exprimée ouvertement lors des audiences publiques de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, ainsi que dans les réactions qu'elle a pu susciter.
S'il est justifié et normal de nourrir de l'inquiétude quant à l'avenir de la métropole — s'il y a crise actuellement, il semble cependant qu'elle soit plutôt liée à la gouvernance de la ville, mais laissons ça de côté —, encore faut-il que celle-ci porte sur le bon objet. Mon objectif est donc de retourner une inquiétude détournée.

Y a-t-il des ghettos à Montréal?

Trois conditions définissent la formation d'un ghetto au sens moderne du terme:

- il faut qu'il y ait une forte concentration d'un groupe dans un espace qu'il est le seul à partager;
- il faut que cette concentration soit involontaire (c'est-à-dire le produit de dispositions formelles favorisant une séparation stricte entre groupes ou d'un ensemble structuré de discriminations);
- il faut que le groupe concentré dans l'espace soit largement défavorisé.

Au regard de ces trois critères, les études menées à répétition sur Montréal et les autres villes canadiennes concluent toutes à l'inexistence de ghettos. Il y a certes des groupes plus concentrés dans l'espace, comme les Italiens, les Chinois, les Juifs ou les Haïtiens. Ils partagent toutefois les quartiers où ils résident avec d'autres groupes, issus de l'immigration ou non. Si l'inverse était vrai, c'est-à-dire si chaque groupe vivait sur son territoire, avec ses écoles et ses institutions sociales et de loisir, il n'y aurait pas de controverses sur le partage de l'espace commun, comme dans le cas récent du «givrage» des vitres d'un YMCA ou, pour celles et ceux qui s'en souviennent, sur l'usage du français à Saint-Léonard à la fin des années 1960.
Le défi permanent auquel les Montréalais sont confrontés n'est pas de gérer la séparation et l'évitement, mais bien plutôt le mélange et la coexistence. Ce défi est d'autant plus pressant dans les quartiers centraux historiquement marqués par la diversité ethnoculturelle, mais il se transporte aussi vers les banlieues où l'immigration a tendance à s'installer plus rapidement que par le passé.
De quoi faut-il alors s'inquiéter?
Il faut s'inquiéter d'une réalité moins visible que la concentration de quelques groupes dans des quartiers diversifiés, à savoir les inégalités sociales qui se manifestent à différentes échelles de la métropole et qui touchent des populations diverses.
Le cadre bâti montréalais présente une grande diversité. Qui se balade un peu dans ses quartiers centraux ou en banlieue se rend vite compte que les valeurs immobilières et les qualités de bâti varient grandement d'une rue, voire d'une section de rue à l'autre. Le promeneur attentif observera qu'il y a rarement continuité entre les bâtiments voisins. Il observera aussi des paysages diversifiés, avec de grandes artères richement bâties ou au contraire dégradées, des parcs bordés par des formes architecturales variées, des quartiers où l'usage résidentiel prédomine et d'autres où les usages de l'espace sont mixtes.
Cette diversité se traduit par le fait que la région de Montréal est celle qui produit le plus de richesse au Québec, alors même qu'elle compte aussi une des plus fortes proportions de ménages sous le seuil de faible revenu (environ un ménage sur cinq au recensement de 2006). Elle est donc fondamentalement marquée par les inégalités sociales. Des trois métropoles canadiennes, Montréal est celle qui compte le plus grand nombre de quartiers défavorisés, c'est-à-dire où l'on compte plus de 40 % de ménages sous le seuil de faible revenu. Et de ces quartiers, 80 % sont occupés principalement par des personnes n'appartenant pas à une minorité visible. Il n'est donc pas justifié d'ethniciser le problème de la pauvreté à Montréal.
Pour une ville juste!
Montréal n'est donc pas aux prises avec la formation de larges ghettos ethnoculturels, mais plutôt avec de microterritoires marqués par une précarité économique et sociale qui s'inscrit dans des inégalités de qualité du parc résidentiel. Plutôt que d'être inquiet du caractère pluriel de la ville, ce sont les processus qui reproduisent les inégalités et les injustices qui devraient occuper les esprits.
Les énergies devraient aussi s'orienter vers la recherche de solutions pour intervenir sur des espaces fragmentés et de petite dimension. Avant de répondre à de grands questionnements sur l'intégration des nouveaux arrivants, il serait bon de tenter de trouver des solutions aux questions pratiques que nous impose la ville: comment éliminer les taudis, ou, plutôt, comment mieux loger les pauvres? Comment garantir que toutes les populations bénéficient de la même accessibilité aux services et équipements collectifs? Comment produire du logement abordable dans un marché dont les prix sont en croissance? Comment maintenir des quartiers centraux animés devant les développements de pôles secondaires de banlieue? Comment offrir à toutes et tous un accès équitable aux services de transport?
Cette liste est loin d'être exhaustive, mais les questions soulevées se rapportent toutes à notre capacité à penser et à développer une ville juste, pour toutes et tous. Plusieurs acteurs travaillent déjà à y apporter des réponses; espérons que leurs voix seront plus écoutées et entendues à l'avenir.
Ce texte a été rédigé à l'invitation d'Interculturalisme 2011, en préalable au symposium international qui se tiendra du 25 au 27 mai prochain à Montréal ([www.symposium-interculturalisme.com->www.symposium-interculturalisme.com]).
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Xavier Leloup - Chercheur à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), Centre - Urbanisation Culture Société


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