Qui l’aurait cru? Alors que certains craignaient l’ingérence chinoise ou russe dans la campagne électorale canadienne, voilà que c’est Barack Obama qui en est accusé. Loin de faire l’unanimité, l’appui de l’ex-Président américain à Justin Trudeau est très mal perçu par de nombreux Canadiens. Le compte-rendu de Sputnik.
La surprise est totale, ou presque, au pays de l’érable.
À peine cinq jours avant le scrutin du 21 octobre prochain, l’ex-Président américain, Barack Obama, a exprimé sur Twitter son soutien au Premier ministre canadien sortant, Justin Trudeau. Un coup de main remarqué, alors que les Libéraux de Trudeau se retrouvent au coude à coude avec les Conservateurs. D’après les plus récents sondages, il suffira d’une poignée de sièges à l’un des deux partis pour qu’il parvienne à former un prochain gouvernement minoritaire.
I was proud to work with Justin Trudeau as President. He's a hard-working, effective leader who takes on big issues like climate change. The world needs his progressive leadership now, and I hope our neighbors to the north support him for another term.
— Barack Obama (@BarackObama) 16 octobre 2019
«J’ai été fier de travailler avec Justin Trudeau comme Président. C’est un leader travailleur et efficace, qui s’attaque à des enjeux majeurs comme les changements climatiques. Le monde a besoin de son leadership progressiste en ce moment, et j’espère que nos voisins du Nord l’appuieront pour un autre mandat», a laissé tomber Barack Obama le 16 octobre dernier.
Il n’a fallu que quelques secondes pour que cette intervention soit massivement relayée sur les réseaux sociaux. Si les partisans de Trudeau s’en sont réjouis, de nombreux internautes et chroniqueurs y ont vu un cas d’ingérence dans la campagne électorale. Organisme chargé d’encadrer le processus électoral, Élections Canada a dû intervenir pour préciser que l’ex-Président avait le droit de se prononcer pour un candidat au poste de Premier ministre.
«Tous les individus, qu’ils soient Canadiens ou non, sont libres d’exprimer leurs opinions et leurs points de vue sur n’importe quel sujet pendant une élection. Un citoyen étranger qui tweete ou même qui prend la parole lors d’un événement organisé au Canada ne constitue pas en soi un exemple d’influence étrangère indue au sens de la Loi électorale du Canada», a fait savoir la porte-parole d’Élections Canada, Natasha Gauthier, par communiqué.
Les explications d’Élections Canada n’ont toutefois pas suffi à freiner la vague de réactions négatives. Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’ex-Président démocrate appuie publiquement la candidature d’un futur ou actuel chef d’État. En 2017, Obama a soutenu la candidature de Macron à la Présidentielle française et celle de Merkel en 2016 à la chancellerie allemande, alors qu’il était encore à la Maison-Blanche.
J’ai beaucoup de respect pour le président Obama, mais cette intervention n’est rien de moins que de l’ingérence dans les affaires politiques du Canada. Ce «coup de pouce» n’est pas le bienvenu. Ça sent la panique chez Trudeau et le #PLC ! #polcan #elxn43 https://t.co/ak6htTXIWQ
— Michel-Rémi Lafond (@mrlafond) 16 octobre 2019
S’il s’agit pour certains d’une simple marque de soutien, d’autres sont beaucoup plus sévères. Carl Vallée, ancien porte-parole du Premier ministre conservateur, Stephen Harper (2006-2015), a écrit qu’il s’agissait d’un cas d’«ingérence étrangère dans l’élection canadienne». Un refrain repris en chœur tant au Québec qu’au Canada anglais.
Ingérence d’une puissance étrangère dans notre élection. Parions que ça ne sera pas couvert sous cet angle par contre. #polcan https://t.co/xs74DFIpiD
— Carl Vallée (@carlvallee) 16 octobre 2019
Elizabeth May, chef des Verts fédéraux, s’est aussi dite surprise de voir Barack Obama agir de la sorte. L’intervention d’Obama ne peut que nuire aux Verts canadiens, car il insiste sur le rôle que peut jouer Trudeau dans la lutte contre les changements climatiques. D’importants groupes écologistes canadiens– tels que le Pacte pour la transition– appellent d’ailleurs à voter libéral et non Vert à des fins stratégiques.
«Évidemment, on se souvient de la “bromance”, mais je crois qu’il est important que ce soient les Canadiens qui décident qui formera le gouvernement», a indiqué Élisabeth May aux journalistes durant une conférence de presse.
De fait, le mot anglais «bromance» –qui désigne une relation amicale hors du commun entre deux hommes– a souvent été utilisé pour décrire la complicité des deux politiciens qui s’est nouée après la victoire de Trudeau en 2015. Lors d’un dîner officiel à la Maison-Blanche en mars 2016, ils avaient insisté sur leurs atomes crochus et déclaré que la relation entre les deux pays n’avait jamais été aussi bonne. Selon plusieurs sources, Trudeau et Obama entretiendraient encore aujourd’hui une amitié solide. En juin 2017, les deux hommes ont d’ailleurs dîné ensemble dans un restaurant montréalais.
The Obama intrusion, unprecedented even for a former president, constitutes unjustified meddling https://t.co/3NiAbtyjPF
— sophie durocher (@sophiedurocher) 17 octobre 2019
Ironiquement, la nouvelle survient alors que les autorités canadiennes disent surveiller des cas d’ingérence russe et surtout chinoise dans la campagne en cours. Certains observateurs estiment que Pékin pourrait toujours s’ingérer afin de reconduire les Libéraux au pouvoir. Des soupçons qui contredisent par le fait même la perception d’une crise diplomatique entre Pékin et Ottawa.
Justin Trudeau n’a toujours pas désavoué John McCallum qui a invité le gouvernement chinois à s’ingérer dans les prochaines élections. La seule conclusion que l’on peut en tirer est qu’élire Justin Trudeau serait bon pour la Chine, mais catastrophique pour le Canada. https://t.co/yoQnEcLhq5
— Andrew Scheer (@AndrewScheer) 11 juillet 2019
Le 16 juillet 2019, dans le célèbre magazine Maclean’s, le journaliste Terry Galvin rappelait que l’ancien ministre libéral, John McCallum, avait conseillé la Chine sur les meilleures manières de faire réélire les Libéraux. Les démarches de John McCallum auprès de Pékin ont été vues par les Conservateurs comme une grave atteinte à la souveraineté canadienne.
Le 6 avril dernier, Justin Trudeau avait lui-même mis en garde contre une éventuelle ingérence russe dans la campagne, un avertissement qui semble de moins en moins convaincant dans les circonstances actuelles.