J'avais pourtant pris mes précautions. Lorsque j’ai proposé, le 1er juin, de remplacer l’interculturalisme par le concept de concordance culturelle, j’ai pris la peine d’indiquer qu’il y avait deux visions de l’interculturalisme. Celle, officielle, défendue et promue par le gouvernement québécois, qui ignore l’existence d’une majorité historique francophone. Celle, officieuse, de Gérard Bouchard, qui en tient davantage compte.
Dans son texte de jeudi (« Le faux procès de l’interculturalisme », 15 septembre), M. Bouchard semble penser que sa version a force de loi et qu’en la critiquant, Jacques Beauchemin et moi trompons l’opinion. Ce serait oublier que le rapport que M. Bouchard a produit avec Charles Taylor a été immédiatement relégué aux oubliettes par Jean Charest.
Ajoutons que l’interprétation généreuse que fait M. Bouchard du concept dont il a accouché dans son rapport n’est pas partagée par son coauteur. Le jour de la publication, Charles Taylor déclarait à la CBC que « interculturalism is multiculturalism with a twist ». Donc, c’est la même chose que la proposition trudeauiste, avec une petite différence, précisait-il : c’est en français.
Constatons simplement que Gérard Bouchard et nous sommes en désaccord, entre gens raisonnables et de bonne foi, membres de la même famille indépendantiste. Qu’il appuie Alexandre Cloutier dans la course est légitime, et M. Bouchard a été généreux et constructif dans ses conseils lorsque je l’ai consulté pour l’élaboration de ma propre plate-forme sur la laïcité.
La concordance culturelle
Le principe que je propose veut établir une fois pour toutes qu’il existe un tronc commun qui définit ce que René Lévesque appelait dès 1968 la « différence vitale » du Québec :
Le Québec forme une nation ; a une langue officielle et commune, le français ; s’est incarné dans une production culturelle principalement francophone riche et multiforme ; a produit un récit historique singulier ; se définit par son attachement à des valeurs universelles notamment l’égalité entre femmes et hommes ; l’entraide et la concertation ; un État laïque ; la justice sociale ; l’engagement pour la démocratie.
Je souhaite enchâsser ces éléments dans une Constitution québécoise, débattue au préalable par une commission parlementaire élargie, qui aurait statut d’Assemblée constituante. Je propose aussi de remplacer les dix années consacrées au primaire et secondaire au cours Éthique et culture religieuse (ECR) par un cours de Citoyenneté québécoise, où l’on préparerait nos jeunes à l’ensemble des défis qu’ils auront à relever comme citoyens : sexualité, économie personnelle, démocratie, droits et devoirs, coexistence religieuse, raciale, liberté de conscience et liberté d’expression, prévention de l’intimidation, du proxénétisme, du tabagisme, de la radicalisation, saines habitudes de vie. Enseignons la religion dans les cours d’histoire du monde, là où elle a sa place comme objet d’étude. (Le candidat de M. Bouchard, Alexandre Cloutier, tient à garder le cours ECR, mais avec quelques changements.)
Accommodements religieux
M. Bouchard réitère qu’il n’a « jamais été prouvé » que la pratique des accommodements raisonnables a « dérapé » de quelque façon que ce soit au Québec depuis 15 ans.
Il est en cela cohérent, car il estimait il y a huit ans que les Québécois manifestaient envers ces accommodements une « peur irraisonnée » fondée sur des « faits exagérés » devenus « fausses perceptions ». Il n’y avait donc aucun problème, sauf la réaction des Québécois eux-mêmes et ce qu’il appelait leur « braquage identitaire ».
Que les services carcéraux québécois offrent des hidjabs avec velcro à ses gardiennes de prison au mépris de la recommandation de son propre rapport semble lui avoir échappé, entre autres bagatelles.
Je propose de prendre au contraire la mesure du réel et du désarroi dans lequel se trouvent nos administrations publiques, en particulier scolaires, face au phénomène, en balisant clairement les accommodements religieux. Un an après la publication du rapport Bouchard-Taylor, la Cour suprême a d’ailleurs été prise d’un soudain sursaut de bon sens à ce sujet en écrivant : « il est inévitable que certaines pratiques religieuses soient incompatibles avec les lois et la réglementation d’application générale. […] La Charte garantit la liberté de religion, mais ne protège pas les fidèles contre tous les coûts accessoires à la pratique religieuse. »
IDENTITÉ
Incarner enfin la «différence vitale» du Québec
Il y a au Québec une langue et un tronc culturel commun
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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