J'arrivais du bois où j'ai ramassé mes premières chanterelles, deux poignées qui ne couvraient même pas le fond du panier. Je les renversais sur la table de la cuisine quand ma fiancée m'a dit: six autres morts en Afghanistan. Leur véhicule a sauté sur une mine.
Ainsi surgit la mort dans l'inanité d'un après-midi d'été, un après-midi pour aller aux champignons, un après-midi grisouilleux, parfait pour chroniquer la-vie-mon-vieux, mais soudain la mort. La mort mon jeune.
J'ai commencé à nettoyer mes champignons en me demandant pourquoi ces jeunes gens étaient morts. Je ne me le demandais pas comme un chroniqueur qui s'apprête à écrire, je venais de décider de ne pas chroniquer, je me le demandais comme un vieux monsieur qui aura 67 ans bientôt, qui revient des champignons (et de bien d'autres choses), un peu fatigué de sa marche.
Je me demandais pourquoi ces jeunes gens étaient morts et, bien entendu, me sont d'abord venues toutes les mauvaises raisons. La démocratie en Afghanistan. La guerre au terrorisme. La mission civilisatrice, c'est-à-dire pour que les petites Afghanes puissent aller à l'école. Au fait, les petites Afghanes qui ont été tuées sous les bombes «amies» durant le week-end n'iront jamais plus à l'école. Ce genre de bavure, où des dizaines de civils sont tués par erreur, fabrique en deux minutes plus de talibans que l'armée canadienne n'en tuera en un an. En plus de lier inextricablement la population et les combattants contre l'ennemi occidental. Ce sont peut-être même des petites Afghanes, des soeurs de celles qui ont été tuées, qui ont transporté l'engin explosif qui a fait sauter les six soldats canadiens.
Alors ils sont morts pour rien?
Pas du tout. Ils sont morts pour nous. Ils sont morts pour le Canada. Ils sont morts pour M. Stephen Harper, pour le général Roméo Dallaire. Ils sont morts pour que le Canada devienne un vrai pays. Un vrai pays doit avoir une mission civilisatrice et des soldats pour aller mourir dans des guerres justes. Un vrai pays doit avoir des héros à pleurer. Un vrai pays? Les États-Unis par exemple. Ça, c'est un vrai pays. Mais le Canada, franchement, c'était quoi avant l'Afghanistan? Nos derniers héros remontaient à la guerre de 40. Plus de 60 ans que nous n'allions plus en guerre, ou, quand nous y allions, c'était pour observer! Nous n'avions pas de mission, mais des mandats! Nos soldats sans armes étaient des greffiers qui prenaient acte des guerres des autres, comptaient les morts des autres...
La plupart des opposants à la présence des soldats canadiens en Afghanistan ne comprennent pas qu'on aille imposer nos valeurs à des gens qui n'en veulent peut-être pas. Ils n'ont strictement rien compris. Cette guerre en Afghanistan n'a absolument rien à voir avec l'Afghanistan. Cette guerre est pour imposer des valeurs aux Canadiens d'abord.
Cette guerre, c'est pour être pris au sérieux et au tragique, pour avoir des morts à pleurer qui ne remontent pas à la guerre de 40. Bref, pour être enfin un vrai pays.
Ça s'en vient.
Ils sont morts pour nous
Ce genre de bavure, où des dizaines de civils sont tués par erreur, fabrique en deux minutes plus de talibans que l'armée canadienne n'en tuera en un an. En plus de lier inextricablement la population et les combattants contre l'ennemi occidental.
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