Le maire démissionnaire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, ne ferme pas la porte à un retour en politique, dans un horizon de 10 ans. Dans l'immédiat, il veut contrebalancer « la pression de droite » qui, selon lui, s'exerce sur la mairesse de Montréal. Radio-Canada a appris que Luc Ferrandez tentait, sans succès, depuis des mois, d'imposer un projet radical qui inquiétait le cabinet de Valérie Plante.
Luc Ferrandez avait proposé un pacte à Valérie Plante lors de l'accession au pouvoir de Projet Montréal, fin 2017 : « Tu as le droit de ne pas être aussi dogmatique qu'auparavant, mais laisse-moi le rester. »
« C'est ce deal-là qui n'a pas marché », nous a confié l'ex-politicien. Il juge que la mairesse de Montréal a beaucoup trop cédé « à la pression de droite », en essayant de « répondre à tous les Montréalais ». De l'autre côté, il estime qu'on ne l'a pas laissé être ce qu'il voulait être.
Ce n'est pas la mairesse qui décide. C'est la somme des pressions d'un côté et de l'autre.
Luc Ferrandez avait de plus en plus de mal à accepter les compromis de l'administration Plante, que ce soit pour le projet de centre commercial Royalmount ou pour le deuxième stade de baseball.
« Je comprends que quand tu rencontres [Stephen] Bronfman, c'est impressionnant », dit-il, au sujet de l'homme d'affaires qui pousse le retour des Expos, mais « il faut s'attaquer de front à la société de consommation et dénoncer ses excès ».
Pas de chicanes, mais deux visions de la politique
Sommé par le cabinet de la mairesse de retirer une récente prise de position controversée sur Facebook à propos des changements climatiques, il a trouvé le geste « indélicat ». En fait, Luc Ferrandez n'en pouvait plus de ravaler sa salive. Avec cette démission, il « déclare forfait dans sa capacité à influencer » l'hôtel de ville de l'intérieur.
Selon nos sources, la rupture devenait inévitable. Le cabinet de Valérie Plante et le comité exécutif, présidé par Benoit Dorais, s'agaçaient de plus en plus des prises de position privées et publiques du maire du Plateau-Mont-Royal.
Il assure qu'il n'y a aucun conflit de personnes et qu'il part en bons termes avec tout le monde. L'enjeu n'est pas humain, mais politique et stratégique : « On a reconnu qu'on avait juste deux visions différentes du plan d'action. »
À travers la démission du célèbre maire d'arrondissement, c'est une division à l'intérieur de Projet Montréal qui se dessine, entre ceux qui veulent réaliser coûte que coûte ce qui les a amenés en politique et ceux qui pensent déjà aux élections de 2021.
Luc Ferrandez songeait à partir depuis des mois
Nommé responsable du dossier des grands parcs au comité exécutif en novembre 2017, Luc Ferrandez a rapidement compris qu'il ne parviendrait pas à respecter son « serment du jardinier ». Dans un message poétique publié sur Facebook au lendemain de l'élection, il promettait une révolution verte à Montréal.
Malgré des sommes records pour les parcs dans le dernier budget, il estimait que le compte n'y était pas pour lutter efficacement contre les changements climatiques. Il voulait créer et agrandir des parcs, planter 500 000 arbres, redonner l'accès aux berges, acquérir et démolir les maisons en terrains inondables.
Un projet au potentiel explosif qui inquiète le cabinet de la mairesse
Selon nos sources, le maire du Plateau-Mont-Royal tentait depuis des mois, en vain, d'imposer un projet radical pour financer le verdissement de Montréal.
Avec le maire de l'arrondissement d'Outremont, il proposait de rendre payantes toutes les places de stationnement sur rue et d'augmenter les tarifs. Les arrondissements de Rosemont–La Petite-Patrie et de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce étaient prêts à emboîter le pas sans aller jusqu'à 100 %.
Une sortie publique des quatre maires devait avoir lieu dès octobre 2018, mais le cabinet de la mairesse et le comité exécutif ont fait part de leurs inquiétudes, craignant un tollé dans les médias et la population. L'annonce a été reportée à novembre, puis à février 2019, puis juin, sans assurance que cela se fasse.
J'étais très surpris. Je m'attendais à ce qu'on le fasse immédiatement, dès la première année [...] Même s'il faut le faire mal, il faut le faire vite.
Selon un rapport produit par la Ville en 2016, 41 % des places de stationnement sur rue au centre-ville sont gratuites. Et à l'échelle de tous les arrondissements, ce sont 90 % des places sur rue qui ne sont pas tarifées.
Il se voit revenir en politique
Celui qui se qualifie d'« impatient » annonce qu'il « ne ferme pas la porte » à un retour en politique. Et c'est toujours le palier municipal qui l'intéresse. « Je n'irai pas ailleurs qu'à Montréal [...] C'est dans les villes que ça se passe », a-t-il dit.
Mais certainement pas à court ni à moyen terme et pas pour nuire à son parti politique.
C'est l'époque de Valérie Plante. Elle va se faire réélire en 2021 et je veux qu'elle soit réélue.
« Si la tournure des événements ressemble à ce que je pense qu’elle va ressembler, explique Luc Ferrandez, sans doute que dans 10 ans, il y aura un grand besoin de leader du style autoritaire progressiste. Et ça me fera plaisir à ce moment-là de répondre à l’appel. »
Si ça va vraiment mal, si vraiment le climat nous amène dans le cul-de-sac où je pense qu’on s’en va, à ce moment-là je lèverai la main.
Dans l'immédiat, il souhaite fouetter les troupes de Projet Montréal avec son départ, « envoyer un message, créer un choc » et « contrebalancer » ce qu'il appelle « la pression de droite » sur l'administration Plante.
Où s'exercera cette « pression contraire »? Comme chroniqueur, à l'instar de plusieurs ex-politiciens? « Ça se pourrait que je fasse de la télévision, de la radio, de l'écriture, précise Luc Ferrandez. Ma carrière reste à définir. »
Avec la collaboration de Daniel Boily, Valérie Micaela-Bain et Romain Schué