Recueilli par Quentin Girard - Pour la sociologue Cécile Van de Velde, il ne faut pas «minimiser l'impact potentiel» des manifestations à travers l'Europe.
Cécile Van de Velde est sociologue, maître de conférence à l'EHESS, spécialiste de la jeunesse et des politiques publiques en Europe. Elle estime qu'il ne faut pas «minimiser l'impact potentiel» des manifestations des jeunes à travers l'Europe.
Manifestations en Espagne, mais aussi au Portugal ou en Grèce. Y a-t-il une envie de mobilisation massive chez les jeunes européens ou cela reste-t-il des épiphénomènes?
Il y a eu aussi des manifestations de jeunes étudiants en Angleterre contre l’augmentation des coûts d’inscription à l’université au début de l’année. Le potentiel contestataire est assez fort en Europe. Même s’il est surtout marqué dans les pays latins, le sentiment de déclassement est très partagé.
Dans les pays méditerranéens, il y a une absence de perspective qui crée la colère et qui se retrouve chez toutes les classes d’âge. Chez les jeunes, cela va des étudiants aux chômeurs trentenaires, parfois très diplômés.
Dans les pays du Nord, les jeunes ont pour le moment été beaucoup plus protégés. Les filets étatiques ont été étendus, donc le potentiel contestataire est plus faible. Il se joue plutôt sur la question des valeurs, dans des endroits très localisés, comme l’ancien squat de Christiania au Danemark.
Pour l’instant, cela ne va pas forcément entraîner une traduction politique. Il s'agit surtout des soulèvements ponctuels mais il ne faut pas minimiser l’impact potentiel qu'ils pourraient avoir.
Y a-t-il une volonté d’imiter les jeunes des pays arabes?
De toute évidence, il y a un désir mimétique. Le printemps arabe montre que cela peut réussir, que les manifestations peuvent entraîner le changement. Quand on lit les slogans des Européens, on retrouve les mêmes idées, les mêmes ressorts que ceux des pays arabes. Les idées de pacifisme et d'absence de leader identifié sont très présentes également.
La contestation s’organise aussi via les réseaux sociaux et joue sur l'effet de masse. Grâce à l'instantanéité, les jeunes voient en direct que cela s’amplifie, ils prennent alors conscience de leur puissance contestataire. Les réseaux sociaux permettent également l’internationalisation et le sentiment d’appartenance à une même génération.
Le printemps arabe a réveillé les consciences. Ceci dit, ce n’est pas du tout le même contexte. D’un côté on luttait contre des régimes autoritaires, de l’autre on demande plus de justice sociale.
Que revendiquent les jeunes européens?
Ces mouvements se veulent apolitiques, même s’ils ne sont pas dénués d’idéologie. On observe une grande perte de confiance dans la puissance étatique, un rejet très fort du capitalisme financier, une demande de plus de justice sociale mais aussi de plus de souveraineté. Ils ont l’impression qu’ils ne peuvent plus avoir d’influence sur rien. Ils veulent reprendre en main leur propre destin.
En France, depuis quelques jours, la «french revolution» a débuté: quelques dizaines ou centaines de personnes se rassemblent tous les jours place de la Bastille. Est-ce que cela pourrait prendre de l’ampleur?
La situation est complexe. Il n’y a pas une absence totale de perspective comme dans les pays méditerranéens. Il y a toujours la croyance dans la possibilité de sa réussite personnelle même si on a peu d’espoir pour la société en général. Pour l’instant, d’un côté on a les jeunes qui sont encore dans la course au diplôme et de l’autre ceux qui ont perdu la course, dans certaines banlieues, ou en milieu rural.
L’espoir d’une alternative politique en 2012 peut également jouer dans la canalisation et faire attendre les potentiels contestataires. Les élections présidentielles cristallisent tellement tous les enjeux qu’ils pensent que cela peut faire changer les choses, qu’il peut y avoir un nouvel horizon des possibles. Au contraire, en Espagne par exemple, il y a même aujourd’hui chez les jeunes un refus du vote. Ils considèrent que, de toute façon, la droite ou la gauche, c’est la même chose.
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