«Speak white
de Westminster à Washington relayez-vous
speak white comme à Wall Street
white comme à Watts
be civilized
et comprenez notre parler de circonstance
quand vous nous demandez poliment
how do you do
et nous entendez vous répondre
we're doing all right
we're doing fine
we
are not alone
nous savons
que nous ne sommes pas seuls»
Cette finale du célèbre poème «Speak White», écrit par Michèle Lalonde en pleine Révolution tranquille, en dit long sur l’épineuse question linguistique au Québec.
Le titre, «Speak White», a un impact particulier. Il s'agit d'une formule stéréotypée et francophobe, employée par les Canadiens anglais pour répondre aux francophones qui se permettaient de leur parler autrement qu’en anglais. Mais l'auteure, en présentant son texte pour la première fois au public, l’avait livré dans une diction nuancée, avec des élans de tendresse envers la langue anglaise, qui était, aussi, sa langue.
Depuis l’automne 2006, tous les élèves francophones du Québec apprennent l’anglais dès la première année du primaire. Plus qu’une question pédagogique, cette nouveauté revêt une dimension politique, qui réfère plus que jamais à la perpétuelle quête identitaire du peuple québécois.
Qu’on le veuille ou non, à cause de l’Histoire caractéristique du Québec, l’anglais fera toujours partie du paysage linguistique. Mais il est loin, le temps de la Conquête. Derrière nous, l’époque des contremaîtres anglophones qui dictaient leurs ordres aux petits ouvriers francophones.
L'Histoire au pas
Frenchies. Pea soup. Frogs. Qui, parmi vous, s’est déjà fait traiter ainsi ? Il faut savoir laisser l’histoire prendre la couleur du passé. L’anglais est aussi notre langue.
Des informations contradictoires circulent à propos de l’enseignement de l’anglais au primaire. D’un côté, certains pédagogues affirment que l’apprentissage est facilité si l’élève est en bas âge. La capacité d’absorption de nouvelles informations, comme l’apprentissage des langues, serait plus élevée chez les jeunes enfants et tendrait à se perdre en vieillissant. Mythe ou réalité ? La véritable question ne doit pas résider là, au risque d’appauvrir un débat essentiel. Ce n’est pas une question pédagogique; c’en est une idéologique et politique.
C’est une évidence de dire que l’anglais prédomine dans le monde des affaires. Le parler et le comprendre est nécessaire pour quiconque souhaite voyager ou gravir les échelons d’une grande entreprise. L’apprentissage des langues étrangères est important, et il faut qu’il soit fait de façon responsable. Il ne s'agit pas de nier le contexte mondial dans lequel la langue anglaise prend tant d'espace.
Soyons conscient que les Nord-Américains de langue maternelle française représentent un maigre 2% de la population totale du continent. Un bilinguisme «mur à mur» comporte par conséquent le risque non négligeable que l'une des deux langues puisse, à long terme, menacer la survie et le développement de l'autre. D’où la criante nécessité de ne pas de replier sur soi-même, de s’isoler, voire de se ghettoïser en tant que francophones.
Nous ne sommes pas seuls. Mais disons-le ! Et en anglais, s’il le faut pour être compris ! Il faut cesser de voir l’apprentissage de l’anglais comme une tentative d’assimilation par la majorité anglophone. Assimiler signifie «rendre semblables». Et c’est ce que nous risquons de devenir à l’échelle nord-américaine si nous nous enfermons dans un français unique : tous semblables dans notre silence, dans notre mutisme apparent dans la sphère anglophone majoritaire, isolés.
Oui, ça parle français icitte ! Il faut être fier de notre parlure riche, colorée, personnelle, profondément humaine ! «C’est une langue belle à qui sait la défendre», chantait Duteil à Félix. Mais pour bien la défendre, créer une barrière linguistique avec le reste du Canada, que dis-je, le reste de l’Amérique du Nord, n’est pas la solution.
Nombreux sont ceux qui craignent que les décisions gouvernementales des dernières années pour promouvoir l'apprentissage de plus en plus hâtif de l’anglais langue seconde puissent avoir de graves répercussions sur la qualité et l'utilisation de la langue française au Québec. Je tiens à rappeler que les élèves québécois font actuellement en moyenne une vingtaine de minutes d’anglais par jour, par opposition à un minimum de deux heures de français. On est loin de la disparition de l’enseignement de notre langue maternelle, historique et culturelle qui est, et restera toujours, le français.
La situation nord-américaine étant ce qu’elle est, s’ouvrir aux autres via l’anglais, bien maîtrisé puisqu’enseigné dès le primaire, représente un pas de plus dans la promotion et la préservation de la langue et de la culture française, pas le contraire. Il ne faut pas s’isoler dans notre langue, il faut se faire entendre ! Parler plus d’une langue est une richesse, une arme de plus pour pouvoir dire au reste du monde, à l’instar d’Albert Camus : «Ma patrie, c’est la langue française», «My homeland, it’s the french language».
Valérie Blanchet-Guillot
Montréal
20 MARS, JOURNÉE INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE
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