Dans un Parlement de type britannique, un tel camouflet aurait immédiatement provoqué la dissolution de l’Assemblée et déclenché des élections. Sous la Ve République, le président peut demeurer au-dessus de la mêlée, mais le choc n’en est pas moins frontal. Tout cela le jour où quelques centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues contre le projet de réforme du Code du travail. Pour une fois, la gauche et la droite sont d’accord : Le Figaro (droite) parle d’« abdication constitutionnelle » alors que Le Monde (gauche) n’hésite pas à évoquer « un désastre politique majeur ».
Comment en est-on arrivé là ? Trois jours après les attentats, unanimement applaudi à Versailles par les députés et les sénateurs, François Hollande était pourtant convaincu d’avoir trouvé la réforme capable de symboliser l’unité du pays. Il pensait probablement faire un coup de maître en déterrant et en constitutionnalisant cette vieille mesure de gauche, depuis longtemps inscrite dans les lois, mais qui ne subsistait que dans les programmes de la droite. Le raisonnement était imparable : si on prend les armes contre la France, on n’est plus Français. À part les réticences à gauche, qu’il croyait pouvoir vaincre facilement, tous les sondages semblaient donner raison au président. Sa propre cote de popularité n’était-elle pas à la hausse pour la première fois depuis son élection ?
Et pourtant ! Le symbole qui devait unir le peuple, consolider la solidarité nationale contre le terrorisme islamiste et unir la gauche et la droite après les terribles attentats du 13 novembre sera vite devenu un instrument de division. Il aura au contraire cristallisé l’opposition à droite, fait exploser la gauche et sera finalement devenu le dernier grand échec de François Hollande à un peu plus d’un an de l’élection présidentielle.
Fiasco politique
À droite, d’abord, cette mesure qui aurait dû passer comme du beurre dans la poêle n’a pas suscité l’adhésion prévue. À un an de l’élection présidentielle, pas question d’offrir une victoire morale au président. C’est François Fillon, candidat à la primaire à droite, qui a lancé la fronde suivie par Alain Juppé. Dans un livre paru en janvier, mais écrit bien avant, ce dernier avait pourtant souhaité « davantage de déchéances de nationalité pour les binationaux auteurs d’actes terroristes ». Début janvier, il a visiblement pris le train en marche. Trois jours avant la sortie du livre, il dénonçait donc « un coup politique de François Hollande » qui « ne permettra pas de prévenir de nouveaux actes terroristes ». Le seul, à droite, prêt à soutenir la proposition présidentielle fut donc Nicolas Sarkozy. Mais l’ancien président aura été pris de court et rattrapé par une primaire déjà en marche où rien ne pouvait lui être concédé. Ce qui fit dire au groupe de hauts fonctionnaires nommé Plessis que la droite avait « esquivé un débat stratégique en se contentant d’une feinte tactique ».
À gauche, de nombreux élus avaient oublié que la déchéance de nationalité était une invention de la Révolution française et qu’elle avait été appliquée par tous les gouvernements de gauche et notamment celui de Lionel Jospin. Un grand nombre de députés socialistes ont buté sur une mesure qui, en ne s’appliquant qu’aux binationaux (pour ne pas créer d’apatrides), symbolisait mal l’unité nationale tant recherchée.
Même s’il pouvait compter sur l’adhésion de 80 % des Français en faveur de la déchéance de la nationalité, Hollande aura sous-estimé le rejet que suscite aujourd’hui dans les élites françaises toute mesure évoquant l’identité nationale. Comme chez la mairesse de Lille, Martine Aubry, l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault devenu ministre des Affaires étrangères et même le candidat à la primaire Alain Juppé.
Au terme d’un débat de quatre mois truffé de revirements et de réécritures du projet initial, une majorité d’élus a probablement conclu que cette mesure était surtout destinée à préparer la présidentielle, à piéger la droite et à sortir François Hollande du bourbier dans lequel il se trouvait à un an et demi de l’élection. À force de calculs et de faire la « synthèse », le président se sera mis tout le monde à dos. Dans l’hebdomadaire Marianne, l’écrivain et journaliste Joseph Macé-Scaron comparaît François Hollande à ce personnage de dessin animé qui pose un seau d’eau en équilibre au-dessus d’une porte pour attraper ses adversaires. Alors que l’un d’eux passe sans problème, il va vérifier ce qui cloche et se prend le seau sur la tête.
FRANCE
Hollande frappe un mur
Quand la déchéance de nationalité se transforme en déchéance présidentielle
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