Pilote militaire au caractère trempé, elle était devenue une héroïne en Ukraine pour avoir été emprisonnée en Russie. Désormais députée, Nadia Savtchenko a été arrêtée jeudi dans son pays, accusée d’avoir préparé une attaque contre le Parlement pour renverser le pouvoir.
Moins de deux ans après son retour triomphal à Kiev en avion présidentiel dans le cadre d’un échange de prisonniers avec la Russie, la vie de cette femme de 36 ans a pris un nouveau tournant au terme d’une journée rocambolesque pendant laquelle elle a perdu son immunité parlementaire, a été inculpée puis placée en détention.
«Elle a été placée en détention, le procureur général ayant prononcé son inculpation», a indique à l’AFP un porte-parole du parquet général, Andriï Lyssenko.
Son sort, qui tient l’Ukraine en alerte depuis des semaines, avait peu avant été réglé lors d’une séance au Parlement.
Plus de 260 députés pour un minimum requis de 226 ont approuvé la levée de l’immunité parlementaire de Mme Savtchenko, sa détention provisoire et son arrestation lors de trois votes.
Les charges sont en elles-mêmes extraordinaires. Mme Savtchenko et un complice, récemment arrêté, sont accusés d’avoir ourdi «un attentat terroriste à grande échelle» visant à «exterminer les dirigeants du pays» dont le président Petro Porochenko, a affirmé devant les députés le procureur général Iouri Loutsenko.
Ils prévoyaient également de procéder à des «tirs de mortiers» dans le centre-ville de Kiev pour tuer des civils afin de «créer le chaos et s’accaparer le pouvoir», a poursuivi M. Loutsenko.
Il a fait visionner aux députés des enregistrements vidéo et audio sur lesquels des personnes ressemblant à Mme Savtchenko et son complice discutent de l’organisation d’un attentat au Parlement le jour où le président doit y prononcer un discours en présence de tous les membres du gouvernement.
Grenades et mitraillette
«Je propose un coup d’État. Il faut les liquider physiquement. Tous et en un seul moment», déclare une personne ressemblant à la députée dans cette vidéo avant de dessiner un plan du Parlement pour expliquer où il faut lancer des grenades pour faire exploser l’hémicycle et faire «tomber sa coupole».
«Une seule personne peut le faire en une minute et demi (...) Je vais moi-même certainement pouvoir jeter six grenades», poursuit cette personne. «On peut ensuite prendre une mitraillette et achever» les survivants, ajoute-elle.
Mme Savtchenko, présente au Parlement lors de la diffusion de cette vidéo, a regardé les images sourire aux lèvres mais n’a pas fourni d’explication.
Après le vote des députés, un juge d’instruction s’est présenté devant Mme Savtchenko, dans le Parlement, pour lui lire l’acte d’inculpation et lui demander de le suivre dans les locaux des services de sécurité, ce qu’elle a accepté.
Nadia Savtchenko avait été condamnée en 2016 à 22 ans de prison en Russie pour avoir, selon des accusations qu’elle rejette, fourni à l’armée ukrainienne la position de deux journalistes de la télévision publique russe tués par un tir de mortier en juin 2014 pendant le conflit dans l’est de l’Ukraine.
Cette guerre oppose l’armée ukrainienne à des séparatistes prorusses soutenus militairement selon Kiev et les Occidentaux par la Russie, qui dément. Elle a fait plus de 10 000 morts depuis le printemps 2014.
Échangée quelques mois plus tard contre deux Russes emprisonnés en Ukraine, elle a été accueillie en héroïne à Kiev. Connue pour sa forte personnalité, elle a ensuite défendu des positions controversées, blâmant Kiev pour le conflit armé avec les rebelles prorusses ou rencontrant les dirigeants séparatistes pour des pourparlers visant à la libération de prisonniers ukrainiens.
Ces rencontres lui ont valu d’être exclue du groupe parlementaire de l’ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, dont elle était symboliquement tête des listes aux législatives en 2014, lorsqu’elle se trouvait encore en prison en Russie.
Son complice présumé est Volodymyr Rouban, un homme qui a négocié de nombreux échanges de prisonniers entre Kiev et les séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine avant d’être écroué le 9 mars et accusé d’avoir voulu assassiner le président Porochenko.
M. Rouban avait été arrêté près de la ligne de front en possession d’un arsenal comprenant des obus et des lance-grenades caché dans son fourgon.