En mai 2006, un copain gravitant dans le monde du spectacle envoie à quelques personnes une invitation pour assister dans son bar au match de soccer opposant la France et le Brésil. Je l'appelle pour réserver ma place et, un sourire dans la voix, le pote en question m'annonce que l'humoriste Dieudonné, qui est de passage pour le Festival Juste pour rire, devrait se joindre à la joyeuse équipe. Malaise.
Il faut dire que les quelques membres de cette bande d'adeptes de la non-rectitude, que nous sommes encore aujourd'hui, avions tous jadis craqués pour le mouton noir Dieudonné qui disait tout haut ce que ressentait souvent la majorité aphone.
Or, j'apprends à mon ami que TV5 venait de relayer une information selon laquelle Dieudo s'était rendu dans un congrès du leader de l'extrême droite française, Jean-Marie Le Pen.
Sinistre personnage pour lequel les camps de concentration ne seraient qu'«un détail de l'histoire» et que Dieudo qualifiait lui-même, quelques années plus tôt, de «grand marabout borgne».
Stupéfait, le pote en question ne me croit pas. Je l'invite à consulter le Web et ça s'arrête là.
Machination
Plus tard, je me suis rendu voir le match, et le comique français n'y était pas. Ouf. Il avait plutôt choisi le Barouf, rue Saint-Denis, paraît-il.
Jusque-là, je pouvais à la rigueur accepter, en ma qualité de spectateur, que Dieudonné présente un sketch illustrant un colon israélien esquissant le salut hitlérien. L'analogie était plus que douteuse, mais tout le monde y passait dans son show, alors OK. Mettons.
Or, les déclarations incendiaires se sont multipliées par la suite, et Dieudonné, devenu paranoïaque, est entré dans ce délire qui emprunte au Mein Kampf d'Adolf Hitler et s'est mis à voir des complots partout.
Qu'il remplace le mot juif par sioniste ne change rien à cette crapoteuse machination. D'ailleurs, il en convenait lui-même un jour en entrevue en France, cet écran de fumée langagier était la meilleure façon d'éviter les poursuites pour incitation à la haine.
Sérieux problème
Qu'un mec associé dans le passé à la gauche dérape vers l'extrême droite, ça ne sera pas la première ni la dernière fois. La gauche n'est pas imperméable au culte de l'homme fort, et les bastions lepénistes d'hier étaient souvent d'anciens fiefs communistes. On le sait.
Que Dieudonné critique les politiques du gouvernement israélien, pas de problème non plus. Ils sont d'ailleurs déjà très nombreux à le faire là-bas.
Mais qu'il parle de «pornographie mémorielle» au sujet de la commémoration de la Shoah et accuse, au Québec, Patrick Bruel de se croire issu d'une race supérieure cause un sérieux problème.
D'ailleurs, il n'est pas vain de le rappeler que cette fameuse «élection» de Dieu, à laquelle fait manifestement allusion le comique sinistre, n'a rien à voir avec un quelconque sentiment de supériorité. Cette élection vise plutôt à contraindre le peuple juif de donner l'exemple en se comportant de façon exemplaire, comme en témoigne le prophète Amos: «C'est vous seuls que J'ai distingués entre toutes les familles de la terre, c'est pourquoi Je vous demande compte de toutes vos fautes».
Dieudonné au Québec
Cela dit, le guignol est de retour au Québec.
Je l'ai appris cette semaine par la voie d'un communiqué diffusé par une relationniste, que j'aime pourtant bien et qui se justifiera plus tard ne pas le défendre ni le louanger, mais seulement transmettre de l'information.
Je la laisse à sa conscience, si elle la retrouve un jour. Puis, elle conclut notre échange de courriels par: «Reste à voir l'accueil du public maintenant!» Eh bien, j'espère de tout coeur que le public québécois ne sera pas au rendez-vous!
Les listes
Déjà qu'il était très douteux que le personnage affirme, sur le plateau de Tout le monde en parle version québécoise, qu'il fut agressé en Martinique en mars 2005 par quatre Israéliens, il précisa aux téléspectateurs que ceux-ci l'avaient attaqué dans le dos avant d'ajouter: «Déjà, c'était signé» devant un Guy A. Lepage décontenancé, qui n'eut hélas pour réflexe que de sourire. Comme si le propos de Dieudonné était léger et divertissant.
J'ai vu l'an passé son dernier spectacle en banlieue de Montréal et je puis vous assurer que cet homme est habité par la haine. Qu'il présente aujourd'hui des listes antisionistes pour l'élection européenne du 7 juin n'est guère étonnant.
Nous n'irons pas jusqu'à promouvoir l'interdiction de ces listes, comme l'ont récemment évoqué les partis politiques français. Cela ne ferait que le servir en le gratifiant d'une aura de pseudo martyr et alimenterait sa posture victimaire fumiste qui invente par ailleurs de toutes pièces un débat en opposant les Noirs aux Juifs.
Désormais persona non grata des tribunes médiatiques en France, le personnage revient propager son humour nauséabond chez nous. Que faire?
Dénoncer
Entre le «je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire» de Voltaire et le «pas de liberté pour les ennemis de la liberté» de Saint-Just -- rappelons ici que Dieudonné a demandé à Le Pen d'être le parrain de sa troisième fille --, nous croyons qu'une seule voie soit possible: la dénonciation.
Ce triste sbire possède un certain charisme. Il est rusé -- demandez au chroniqueur Richard Martineau qui s'est fait croquer en essayant de le dénoncer lors d'une émission de télé -- et jouit d'influence auprès de ceux qui croient encore que propager des mensonges haineux relève de l'audace humoristique contestataire.
Dénonçons les humoristes pleutres qui monteront sur la même scène que lui au Québec en faisant mine de ne pas être au courant de la controverse.
Refusons que le Québec serve de roue de secours à un humoriste devenu persona non grata en France, non pas en raison d'un quelconque complot judéo-maçonnique, mais bien parce que l'odeur de la peste brune suscite toujours l'indignation.
À cet homme qui invente des trophées pour les Robert Faurisson de ce monde, célèbre négationniste de la Shoah qu'il invite d'ailleurs sur scène, remettons-lui à notre tour la médaille de notre dignité: le mépris.
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