La première règle : ne jamais sous-estimer son adversaire. Les Européens auraient pourtant dû se méfier et méditer l’Histoire récente. Ces dernières années, de la Libye à la Syrie, les Occidentaux se sont engagés dans de multiples conflits avec, à chaque fois, un résultat opposé à leurs objectifs et générant de graves crises sur le continent européen. La Russie en a alors profité pour avancer ses pions de l’Afrique au Moyen-Orient.
Parmi les derniers exemples en date, le Mali, où les paramilitaires du groupe Wagner ont pris la relève des Français comme ils l’avaient déjà fait en République centrafricaine. À l’inverse de la realpolitik russe, les croisades morales de l’Occident finissent mal en général. Les Européens auraient donc dû faire preuve de plus d’humilité dans leur approche de la Russie et ne pas la sous-estimer.
Deuxième règle : ne pas se précipiter et commencer par bien évaluer la situation. Lorsque les Américains, en mars dernier, ont décrété un embargo sur les hydrocarbures, ils étaient convaincus, en frappant le cœur de l’économie russe, de très rapidement assister à son effondrement et de provoquer ainsi la colère de la population à l’encontre du régime de Vladimir Poutine.
À l’inverse des États-Unis, l’Europe est très fragile du fait de sa forte dépendance au pétrole et au gaz russes. Un embargo européen présentait alors un très grand danger, sauf à penser - ce qui se révélera une grosse erreur d’appréciation - que l’économie russe allait très vite s’écrouler.
Vladimir Poutine, de son côté, a su très vite repérer le potentiel de la situation afin d’en tirer profit. Les hydrocarbures constituant la zone de vulnérabilité des Européens, il a alors, en bon judoka, utilisé la force de ses adversaires pour la retourner contre eux. Aujourd’hui, la situation s’est totalement inversée : ce sont les Occidentaux qui reprochent à la Russie d’utiliser l’arme du gaz et de leur faire du chantage ! N’ayant pas d’alternative à court terme, les Européens sont pris à un piège qu’ils ont eux-mêmes tendu à Vladimir Poutine.
Du fait d’une mauvaise évaluation des forces et faiblesses en présence, les Occidentaux ont ainsi renforcé bien involontairement le potentiel de leur adversaire et affaibli le leur. Complet renversement, ici encore : ce sont les économies occidentales qui sont touchées en plein cœur. Et ce sont leurs populations dont on craint des mouvements d’humeur qui pourraient, à terme, conduire à des renversements politiques. Ce n’est donc plus Poutine mais les dirigeants européens qui se demandent peut-être si, face à la crise à venir, ils parviendront à se maintenir au pouvoir dans les mois qui viennent. Une bien belle application des conseils du stratège chinois Sun Tzu : « Je fais en sorte que l’ennemi prenne mes points forts pour des points faibles, mes points faibles pour des points forts, tandis que je transforme en points faibles ses points forts et que je découvre ses failles. »
Alors que la Russie profite des hausses vertigineuses du prix du gaz, le facteur énergétique devient désormais, pour Vladimir Poutine, le meilleur levier pour semer le chaos dans le camp adverse. Il exploite ainsi le potentiel de la situation en cherchant à affaiblir le moral des Européens, à perturber leurs plans et surtout à faire exploser leur cohésion qu’il sait fragile du fait d’une exposition au risque énergétique extrêmement variable d’un pays à l’autre. L’Allemagne constituant l’un des principaux maillons faibles du dispositif. Elle semble alors bien lointaine, la promesse faite au début du conflit d’une Europe qui devait renaître plus déterminée, plus unie et plus puissante. C’est un risque d’implosion politique, économique et social qui se dessine plutôt à l’horizon.
Perspective qui permettrait à Vladimir Poutine d’atteindre alors l’objectif stratégique de « vaincre sans affronter » en laissant son adversaire perdre toujours plus son potentiel afin que la victoire découle de la situation elle-même et non d’une confrontation directe bien trop dangereuse.
Ce qui suppose une qualité stratégique majeure : savoir s’adapter en continu à l’évolution du contexte. Devenir comme l’eau car, comme le note Sun Tzu, « de même que l’eau n’a pas de forme stable, il n’existe pas, dans la guerre, de conditions permanentes ».
À l’inverse, les Européens semblent figés dans leur plan initial, incapables de s’ajuster au changement de configuration qui se présente à eux. Un modèle d’inefficience stratégique que nous allons payer au prix fort.