Voulu par le chef de l'Etat, le Grand débat national est imminent. Après huit semaines de mobilisation des Gilets jaunes, où en sont les perspectives d'un projet qui entend «permettre à toutes et tous de débattre de questions essentielles» ?
Après avoir privilégié la sourde oreille dans les premiers temps du mouvement citoyen ou encore avoir alerté sur le rôle de la «peste brune» dans celui-ci, l'exécutif n'a pas réussi à endiguer le mouvement des Gilets jaunes, encore largement populaire auprès des Français. De fait, selon un récent sondage en amont de leur dernier acte de mobilisation, les Gilets jaunes bénéficiaient encore du soutien de 62% de la population, 74% des sondés estimant le mouvement justifié. Et ce, malgré la décision du gouvernement, le 5 décembre, de renoncer à la taxe écologique qui avait mis le feu aux poudres. Nouvelle tentative du gouvernement pour jouer l'apaisement, lors de ses vœux de Nouvel an, Emmanuel Macron soulignait la nécessité d'organiser un «Grand débat national». Toutefois, s'il est attendu par une partie des Français, l'événement ne parvient pas à contenir la défiance d'autres citoyens ; «défiance transformée en sécession» relevait ainsi l'ancien chargé de communication de la présidence, Sylvain Fort.
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Ce 13 janvier, Emmanuel Macron a enfin dévoilé sa lettre aux Français, dans laquelle il a communiqué ses ambitions quant au déroulement de l'événement.
Reprenant, entre autres, certaines thématiques développées par les Gilets jaunes (dont il s'est pour l'heure toujours défendu de prononcer le nom), le chef de l'Etat entend aujourd'hui «transformer avec [les Français] les colères en solutions».
«Et en même temps», Emmanuel Macron rappelle qu'il n'a «pas oublié [avoir] été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles [il entend] demeurer fidèle», se montrant notamment catégorique au sujet des réformes fiscales déjà effectuées. Une précision qui a été interprétée par de nombreux politiques de gauche comme un refus de réintroduire l'impôt sur les grandes fortunes (ISF).
D'un côté, un président qui dispose de la légitimité des urnes ; de l'autre, un mouvement citoyen bénéficiant d'une popularité massive : où en sont les perspectives de dialogue ?
Faux départ...
Présidente de la Commission nationale du débat public, Chantal Jouanno était chargée d'organiser l'événement pour apaiser la crise des Gilets jaunes. Mais, à la suite de l'indignation suscitée par son salaire, l'ancienne ministre des Sports a décidé de renoncer à piloter ce débat, laissant la question de son successeur en suspens...
Une épine dans le pied des organisateurs pour qui le moment était peu propice aux dissensions. Qu'à cela ne tienne, après avoir essuyé les critiques du gouvernement, Chantal Jouanno n'a pas tardé à dénoncer «une remise en question étonnante de l'indépendance de la [Commission nationale du débat public (CNDP)].» L'imbroglio n'a pas échappé à certains commentateurs, dont Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du JDD, qui a pour sa part imaginé ce 13 janvier, deux profils à même de remplir la tâche : Jean-Louis Borloo et François Hollande...
Le 14 janvier, soit la veille du lancement débat, aucune annonce n'avait été faite officiellement quant au successeur de Chantal Jouanno. Selon l'AFP qui cite plusieurs sources gouvernementales, l'exécutif aurait toutefois désigné le ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, ainsi que le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique, Emmanuelle Wargon, pour chapeauter cet exercice inédit sous la Ve République. Des «personnalités indépendantes» choisies par l'exécutif pour se porter garant du débat devraient également être désignées. Mais là encore, moins de 24 heures avant le début de l'initiative gouvernementale, le flou règne quant à leur identité. Le ministre de l'Environnement François de Rugy avait annoncé les noms de Nicole Notat, ancienne patronne du syndicat CFDT, ainsi que Jean-Paul Bailly, ancien patron de la RATP puis de La Poste... avant que son entourage ne démente.
Un malentendu ?
En ce qui concerne les questions évoquées, le «en même temps» macronien est également de mise. «Le grand débat ce n'est pas le grand déballage», prévenait le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, à l’issue du conseil des ministres du 9 janvier 2019. Il expliquait ainsi que seraient exclus du débat les thèmes de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), de la peine de mort ou encore du mariage pour tous, affirmant qu’«il n'é[tait] pas question de revenir sur des avancées conquises de haute lutte».
Anxiété face à la potentielle émergence de thématiques pourtant éloignées des revendications principales des Gilets jaunes ? Ou volonté de présenter un exécutif encore à même de définir le cadre permettant «à toutes et tous de débattre de questions essentielles» ?
La question semble aujourd'hui ne plus se poser, l'actuel locataire de l'Elysée ayant, dans sa lettre adressée aux Français, quelque peu contredit les propos de Benjamin Griveaux, affirmant de son côté : «Pour moi, il n’y a pas de questions interdites.»
Enthousiasme mitigé chez les Français
Affirmant vouloir transformer, avec les Français, «les colères en solutions», la proposition d'Emmanuel Macron est souvent accueillie avec retenue par les principaux concernés, ceux-là même vêtus du jaune. En effet, tandis que la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC) en toute matière s'est imposée comme l'une des revendications majeures du mouvement afin que les Français «reprennent la main» sur tous les domaines de la politique, de nombreux Gilets jaunes se montrent incrédules à l'approche de l'événement. Et pour cause, alors que de nombreux manifestants réclament davantage de démocratie directe, Emmanuel Macron a bien précisé dans son courrier que son initiative n'était «ni une élection, ni un référendum».
«Le grand débat, c'est du gaz soporifique» affirmait pour sa part Alain, Gilet jaune rencontré à Paris par les équipes de RT France, lors de l'acte 9 du mouvement le 12 janvier.
Certains n'ont pas attendu «le Grand débat»
En outre, à l'image des Gilets jaunes qui refusaient de se cantonner aux périmètres fixés par l'Etat lors de leurs premières mobilisations, dans plusieurs endroits en France, des citoyens n'entendent pas accepter le cadre proposé par Emmanuel Macron pour débattre des questions qu'ils jugent essentielles.
Le 3 janvier par exemple, des Gilets jaunes de Montpellier se réunissaient pour rédiger ensemble les champs d'action du RIC. A l'issue d'un atelier d'écriture de plusieurs heures, un texte a ainsi été envoyé à des députés insoumis qui, de leur côté, avaient prévu de faire une proposition écrite dans ce sens, dans la même période.
A Saint-Clair-du-Rhône, village situé dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, les habitants ont quant à eux été invités à se prononcer pour ou contre le RIC en toutes matières. Et les Gilets jaunes du coin espèrent bien inspirer d'autres initiatives similaires, ailleurs en France.
En Bretagne, des Gilets jaunes organisaient de leur côté le 8 janvier leur premier débat en public à la salle des fêtes de Paimpol. Si certains ont déploré l'absence, en raison d’un voyage prévu à Las Vegas, du député LREM de la circonscription, Eric Bothorel, le ton général était à l'anticipation des actions, après plusieurs semaines d'occupation des ronds-points.
Liens rompus entre le gouvernement et des citoyens engagés
Au delà des principales revendications du mouvement des Gilets jaunes, portant sur la démocratie directe, le pouvoir d'achat ou encore la fin des «privilèges d'Etat», un slogan n'a pu échapper à aucun observateur durant ces huit dernières semaines : le «Macron démission», tantôt affiché sur les installations de citoyens aux abords des ronds points de France, tantôt retentissant dans les rues des métropoles qui ont accueilli les actes successifs de la mobilisation.
De son côté, malgré son intention affichée de réconcilier les Français, le chef de l'Etat n'a pas toujours joué l'apaisement et a parfois suscité des tollés, à l'image de celui qu'il a provoqué en mentionnant «les foules haineuses» lors de ses vœux du 31 décembre. Autre exemple de moment inopportun, le chef de l'Etat avait estimé, à la veille de l'acte 9, que beaucoup de Français oubliaient le «sens de l'effort».
En outre, dans ses efforts pour tenter de contenir un mouvement devenu imprévisible, la veille de l'acte 9, le gouvernement n'a pas hésité, par la voix de Christophe Castaner, à assimiler l'ensemble des Gilets jaunes aux auteurs d'actes de violence en marge des actes précédents.
Fabien Rives
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