Les sondages sont dévastateurs. De 40% à 50% des Québécois se disent désormais «défavorables» au développement des gaz de schiste. Non au schiste, nous disent un nombre de plus en plus grand d'intervenants. Trop dommageable pour l'environnement, des redevances trop faibles, laissons la ressource là où elle est. Il appartiendra aux générations futures d'en faire bon usage, au besoin.
D'un simple débat de sémantique sur «comment appeler la période de réflexion», la situation a tourné en faveur d'une guerre sans merci contre l'industrie des gaz de schiste. Sans une intervention musclée de décideurs influents, cette filière ne s'en relèvera pas.
Jamais une option intéressante pour le Québec n'aura subi une décote aussi rapide. Ça soulève des soupçons. Ça sent le lynchage public. À qui la faute? Aux sociétés gazières? Un peu court. Ces entrepreneurs se sont conformés au système établi en toute légalité et en toute honnêteté. Ils ont bien tenté d'informer la population, mais on a diabolisé leur porte-parole.
Le gouvernement n'a pas été prudent? Soit, mais qui est prêt à lancer la première pierre? Il faut savoir que cette explosion d'intérêt a été enflammée cet été par les médias. Les écologistes y ont vu un magnifique flambeau pour leur campagne d'automne. Les partis de l'opposition en ont profité pour tirer à bout portant sur un gouvernement déjà au plancher. Mais au global, tous ces bien-pensants dormaient au gaz près de leur barbecue. Qui avait vu venir le phénomène?
En axant l'attention sur les droits de la personne, a-t-on oublié le bien commun? Et si le développement des gaz de schiste n'était pas une si mauvaise affaire? Et si, pour l'environnement planétaire, la production au Québec de ces gaz était une mesure écologique? Est-ce raisonnable de penser qu'à terme le gaz soit remplacé par d'autres formes d'énergie, dont l'électricité? Malheureusement non. Dans le secteur industriel en particulier, la diffusion massive des électrotechnologies pour les procédés n'est pas pour demain. À terme, le Québec devra donc assumer une facture minimum de 2 milliards de dollars de gaz naturel. Encore ici, on note un biais dans l'information, le débat se limite aux redevances et au contrôle étranger. Pourtant, quel que soit le scénario, une grande partie de ces 2 milliards restera au Québec avec tout ce que ça engendra en idées. Ce n'est pas rien.
Deuxième point d'importance, en environnement, il y a une règle de base: à impact égal selon les sites, il vaut mieux produire près de la consommation. Autrement dit, importer des gaz de schiste d'ailleurs, ou encore pire, des ports méthaniers auront plus d'impact pour la planète que de le produire chez nous. Le scénario du pire est toujours de ne rien faire.
La production des gaz de schiste s'apparente à de la haute plomberie. L'emploi sera local. En encadrant correctement l'industrie, les impacts seront minimums. Mais le débat public est tellement mal engagé qu'il faut un électrochoc pour ramener un peu de logique au processus en cours. La sémantique et la politicaillerie ont pris trop de place. Il est facile de séparer le monde entre méchants industriels et bons écologistes. Mais il faut aussi voir que derrière le programme de certains lobbys puissants, la finalité n'est plus d'aider à comprendre, mais bien de tout arrêter. C'est le processus démocratique qui écope.
Pour finir, permettez-moi d'être cynique. Sans le mot «moratoire», le Québec prendra-t-il des décisions précipitées? Compte tenu de notre lenteur légendaire à faire débloquer les projets, n'est-ce pas un revirement de situation extraordinaire? À l'inverse, le moratoire est-il garant de qualité? Nos élus en feraient-ils plus? Non. D'abord, espérer produire une loi-cadre parfaite, en arrêtant tout, relève de la pensée magique. C'est en travaillant que l'on apprend à travailler. La responsabilité citoyenne de tous les Québécois est donc de bonifier l'effort de compréhension qui est en cours. Pas de le saboter.
Encore ici, le détournement d'attention est futile. Selon la définition, le moratoire est une façon d'éviter de décider en repoussant le moment du choix, éventuellement indéfiniment. De plus, cette action est péjorative pour les institutions en place et indique leur impuissance pour régler un problème complexe. Pourquoi faire aujourd'hui ce que l'on peut faire demain?
En sommes-nous vraiment rendus là? Pourquoi ne pas attendre le projet de loi d'encadrement? N'empêche que pour tous ceux qui ne sont pas affectés par cette peur maladive du nouveau, ce manque de recul et de rigueur avant de fermer boutique dépasse l'entendement.
***
Gaëtan Lafrance
L'auteur est professeur honoraire à l'INRS.*
* L'auteur a rédigé l'ouvrage Vivre après le pétrole: Mission impossible? (2007) et Quel avenir pour la recherche? (2009).
Gaz de schiste: comprendre sans saboter
Gaz de schiste
Gaëtan Lafrance5 articles
Gaëtan Lafrance L'auteur est professeur honoraire INRS-EMT et auteur de «Quel avenir pour la recherche?» (2009) et «Vivre après le pétrole, mission impossible?» (2007), aux Éditions Multimondes.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé