On ne s’y trompait pas. À l’été 1968, était chose du passé le temps des accommodements avec le Québec si chers à Lester B. Pearson. C’est une autre attitude qui prévaut quand Trudeau prend la barre de l’État. Son envie d’affronter les nationalistes québécois, on le perçoit très tôt, de fait, la veille même des élections du 25 juin quand, malgré les projectiles qui lui sont lancés, il refuse de quitter son siège à la tribune d’honneur du défilé de la Saint-Jean.
On savait que cet intellectuel indépendant de fortune et issu d’un mariage mixte, avait une sainte horreur du nationalisme québécois, lequel si on le laissait évoluer, avait-il écrit dans Cité libre, aurait de plus en plus tendance à ressembler aux idéologies fascisantes des Franco, Salazar et Mussolini en Europe. Pour Trudeau, il importait peu que les Lévesque, Gérin-Lajoie et Parizeau, tous trois imprégnées de la philosophie personnaliste, soient d’authentiques socio-démocrates.
À son avis, il valait mieux que de telles compétences viennent enrichir le Canada à Ottawa plutôt que de stagner à Québec. Et qu’ainsi, elles soient en compétition avec leurs homologues anglo-saxons, choix que lui-même et ses amis, Marchand et Pelletier, avaient fait. Cette façon de se voir comme faisant partie d’un « French power » à Ottawa mènera Trudeau a opter pour un bilinguisme “from coast to coast“, et pour un multiculturalisme rangeant la majorité francophone du Québec à n’être rien d’autres que la plus grosse minorité au Canada. Terminée toute idée de statut particulier pour le Québec.
Une telle intransigeance nous mène tout droit vers la crise d’octobre avec sa loi des mesures de guerre, l’occupation du Québec par l’armée et l’arrestation de plus de quatre-cents personnes dont l’immense totalité de ces gens n’avaient rien à voir avec le FLQ. Par son “ Just watch me“, ce que Trudeau cherchait était de démontrer qu’il était l’homme de la situation, l’homme capable d’éradiquer le nationalisme québécois, qu’il soit de nature « séparatiste », ou simplement autonomiste.
Mais Trudeau savait trop bien qu’une telle répression n’arriverait à rien, et ne ferait qu’empirer les choses. À son avis, il fallait davantage s’atteler à freiner ce qui, depuis la perte d’influence des curés, a le plus favorisé la propagation d’idées nouvelles au Québec et qu’il avait lui-même bénéficié par ses fréquentes apparitions au petit écran en tant qu’opposant à Duplessis.
Qui, en effet, connaissait Trudeau avant qu’il n’apparaisse à la télé? À son avis, on ne pourra stopper l’engouement pour le nationalisme au Québec sans que le Fédéral tienne la bride serrée sur tout ce qui se voit et se dit à la télé. C’est à partir de cette préoccupation qu’on a ironisé sur le fait qu’il ait placé ses trois Pierre à la tête de deux organes d’État hautement stratégiques : Juneau au CRTC, Desroches et O’Neil, à Radio-Canada, ce dernier devant avoir l’œil ouvert sur tout ce qui sortait de la salle des nouvelles. Autocensure obligée. Sinon « gare aux vases chinois ».
Il reste que ces deux institutions se devaient tout de même de montrer une certaine façade de neutralité, une obligation que, parce qu’entreprises privées, les journaux n’avaient aucunement. C’est ce qu’a compris Paul Desmarais.
(À suivre)
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