Qui connaît Les Simpson connaît le personnage d’Apu Nahasapeemapetilon, le malin propriétaire d’origine indienne du Kwik-E-Mart. Depuis quelques mois, il était au cœur d’une controverse, Hari Kondabolu, un humoriste américain d’origine indienne soutenant qu’il était trop caricatural et qu’il serait en cela culturellement vexant.
Dans notre époque qui donne une prime médiatique à ceux qui se griment en victimes, une telle attaque risquait bien d’être fatale. Aurait-on droit à des excuses ? Mieux ! Apparemment, le personnage sera gommé de la série, tout simplement. On se croirait aux belles époques de l’URSS : quand un personnage n’avait plus les faveurs du régime, on l’effaçait des livres officiels.
On nous dira peut-être que cette censure est regrettable, mais nécessaire, pour créer une culture inclusive. Sauf qu’il faut dès maintenant stopper ce délire et poser quelques questions.
Censure
Ceux qui s’indignent du traitement réservé à ce cher Apu ont-ils déjà jeté un œil sur la série dans son ensemble, et sur son principal personnage, Homer Simpson ? Savent-ils que ce gros lourdaud à la bedaine d’exception, inélégant au possible et toujours à la recherche d’une boîte de beignets, représente dans cette série culte l’Américain blanc moyen ?
Savent-ils aussi que cette représentation parodique de l’Amérique a fait rire depuis sa création l’Amérique au grand complet ? Faudrait-il aussi l’effacer de la série pour ne pas vexer les hommes blancs de classe moyenne ?
Halte-là ! Ne traitons pas toutes les caricatures « également » ! Il est non seulement permis, mais même encouragé, de se moquer de l’homme blanc, de l’insulter, de l’attaquer ! C’est qu’il aurait fait tant de mal dans l’histoire qu’il serait temps pour lui de connaître un mauvais sort.
Soyons sérieux. Notre époque, pour se plier aux ordres des lobbies identitaires, semble céder comme jamais à la tentation de la censure. Le commandement est le suivant : effaçons tout ce qui peut écorcher les chastes oreilles de ceux qui se vautrent dans leur identité victimaire. Fabriquons un monde sur mesure pour les hypersensibles qui inondent l’espace public de leurs larmes dès qu’ils sont contrariés.
Rappelons-nous la double annulation, cet été, des pièges SLAV et Kanata de Robert Lepage, parce que des militants racialistes accusèrent le dramaturge d’appropriation culturelle. Rappelons-nous les appels à interdire Tintin au Congo ou à le classer parmi les bédés pour adultes, à cause de l’image que cet album propose de la colonisation.
Normand Brathwaite avait bien raison, lundi, de se désoler de l’empire du politiquement correct qui nous paralyse mentalement et nous transforme en petites créatures fragiles insignifiantes.
Orwell
Abolissons Les Simpson ! Interdisons Tintin au Congo ! Fermons le clapet à Normand Brathwaite ! Déprogrammons toutes les pièces de Robert Lepage ! Et tous ensemble, rassemblons-nous autour d’une piñata géante représentant un homme blanc hétérosexuel et bedonnant. Alors là, nous la frapperons ensemble, dans une belle séance de défoulement. Pendant deux minutes, nous ferons tout pour crever la grosse baudruche ! Nous appellerons ça les deux minutes de la haine.
George Orwell y avait déjà pensé, d’ailleurs, dans un roman nommé 1984. Soit dit en passant.