La réponse n’a pas tardé. Ce 4 juillet à Cochabamba (Bolivie), lors de la réunion d’urgence de l’UNASUR accompagnée d’une mobilisation des mouvements sociaux, le président équatorien Rafael Correa résume la position de ses homologues latino-américains au sujet de l’atteinte à la souveraineté de la Bolivie et à l’immunité de son président Evo Morales (1) : “nous n’acceptons pas qu’on nous traite comme une colonie, le monde entier doit réfléchir à la gravité de ce qui s’est passé : on a empêché un président jouissant d’une absolue légalité de traverser un espace aérien. Si cela s’était produit contre les États-Unis ou un pays européen cela aurait constitué un casus belli. On a détruit la Charte des Nations Unies et l’amitié entre États. (..) Que Edward Snowden fût ou non dans l’avion n’entre pas en ligne de compte. Un président a le droit de transporter qui il veut dans son avion. Le problème est que certains se sont perdus dans l’Histoire il y a 500 ans et que le droit international qu’ils invoquent si souvent ne vaut que quand il leur convient”.
La présidente argentine Cristina Fernandez qui avait dès les premiers instants, depuis son compte Twitter, dénoncé "la violation de l’immunité absolue conférée par le droit international, garantie par la convention de 2004 et le Tribunal de la Haye", souligne qu’ "il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un problème technique, ils veulent comme il y a cinq siècles nous soumettre, une fois de plus, à l’humiliation et à l’asservissement."
Le président vénézuélien Nicolas Maduro explique "qu’en quelques secondes nous nous sommes retrouvés dans ce monde unipolaire que nous rejetons tous, où un seul se croît le maître du monde. L’Amérique Latine rebelle et révolutionaire se lève et parle d’une seule voix" et rappelle que le 12 juillet une réunion du Mercosur analysera également cette violation du droit international, déjà condamnée par l’ALBA, l’OEA et les autres nations latino-américaines, du Chili à Cuba et du Mexique au Nicaragua ou au Brésil.
Thierry Deronne
Caracas, le 5 juillet 2013.
(1) Lire également l’article de Maurice Lemoine, ex-rédacteur en chef du Monde Diplomatique et spécialiste de l’Amérique Latine, "France – Espagne – Italie – Portugal, les petits chiens de l’Oncle Sam", http://www.legrandsoir.info/les-petits-chiens-de-l-oncle-sam.html
(2) Texte intégral (espagnol) de la déclararation du somment de l’UNASUR, Cochabamba, 4 juillet 2013 : DECLARACIÓN DE COCHABAMBA
Nous publions le point de vue de Patrick Bèle, journaliste au Figaro. Si Le Monde ou Libération restent enlisés dans des règlements de compte idéologiques franco-français sur ce qui bouge en Amérique Latine, en revanche le Figaro, lu par des entrepreneurs en quête de marchés, se doit à une certaine empathie avec le réel, du moins dans ses pages "internationales".
Avion de Morales : la France et l’Europe ridicules
Par Patrick Bèle (Le Figaro) le 4 juillet 2013
Ainsi donc, François Hollande, président de la République française, a expliqué depuis Berlin, que dès lors que « j’ai su que c’était l’avion du président bolivien, j’ai donné immédiatement l’autorisation de survol » de la France. Voilà donc l’hôte de l’Elysée transformé en aiguilleur du ciel. Consternant.
Tout aussi consternant que la déclaration alambiquée du Quai d’Orsay qui exprime « les regrets de la France suite au contretemps occasionné pour le président Morales par les retards dans la confirmation de l’autorisation du survol du territoire par l’avion du président ».
Rappel des faits : le président bolivien, Evo Morales, rentrait de Moscou dans son avion présidentiel quand la France et l’Italie ont refusé le survol de leur territoire après que le Portugal a interdit une escale technique indispensable avant la traversée de l’Atlantique, au motif que Edward Snowden, l’informaticien à l’origine des révélations sur l’espionnage massif organisé par les Etats-Unis (programme PRISM) principalement contre l’Europe était dans l’avion. Information qui s’est révélée fausse.
Le président Evo Morales a dû faire escale à Vienne où l’ambassadeur espagnol, sous prétexte de boire un café avec le président bolivien, aurait tenté de monter dans l’avion présidentiel pour vérifier si Edward Snowden était à bord ou non. Mais quand bien même la présence de Snowden aurait été avérée, comment la France, qui vient de protester vigoureusement contre l’espionnage massif dont elle est victime, peut-elle se permettre de refuser le survol d’un avion présidentiel à ce motif ?
Les circonlocutions du Quai d’Orsay invoquant « un retard dans la confirmation de l’autorisation » sont stupides : quand un avion présidentiel doit survoler le territoire national, les demandes de survol sont déposées très en amont et, en l’espèce, l’autorisation avait été obtenue le 27 juin.
Cette affaire révèle au grand jour la soumission de l’Europe en général et de la France en particulier aux diktats de Washington. Alors que, comme Reporters sans Frontières le demande, l’Europe devrait protéger Edward Snowden, trois de ses membres (Italie, France et Portugal) se sont comportés comme les simples supplétifs de Washington dans sa volonté de poursuivre devant la justice ce lanceur d’alerte.
Elle révèle aussi l’incroyable comportement néocolonial de l’Europe qui, au mépris de toutes les règles internationales, se permet d’interdire à un chef d’Etat le survol de son territoire l’obligeant à une humiliante escale de 13 heures à Vienne. Déjà il y a un an, la menace de Londres de donner l’assaut contre l’ambassade équatorienne pour récupérer Julian Assange, créateur de Wikileaks, avait été un exemple de ce mépris européen pour les pays latino-américains et le droit international.
Mais dans cette affaire, ce n’est pas le président bolivien qui a été humilié mais bien l’Europe, qui s’apprête, comme si de rien n’était, à entamer les négociations sur l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis à partir de lundi prochain (sous la surveillance des micros de la NSA ?).
Les pays sud-américains n’ont pas manqué de réagir. Un Sommet de l’Unasur s’est tenu à Cochabamba ce jeudi 4 juillet. La présidente argentine Cristina Kirchner a estimé qu’un avion « disposant d’une immunité absolue a été illégalement détenu dans la Vieille Europe, ce qui constitue un vestige du colonialisme que nous pensions totalement dépassé. Cela n’a pas été seulement une humiliation pour la Bolivie, mais pour toute l’Amérique du Sud ».
De son coté, le gouvernement chilien « regrette et refuse le traitement auquel a été soumis le président de la Bolivie… et lance un appel à éclaircir ce qui s’est passé ». Rappelons que le Chili est présidé par Sebastian Pinera, qui n’est pas exactement un dangereux gauchiste anti-états-unien.
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