TOPONYMIE

Et si on passait par Champlain...

Le seul fait qui explique que nous soyons pris dans ce genre de débat (inimaginable n’importe où ailleurs), c’est que nous ne soyons pas chez nous. Transport Canada agit de façon grotesque et attaque directement nos symboles.

Tribune libre

J’ai grandi et vécu dans le Vieux Saint-Laurent jusqu’à 30 ans. J’en ai 34 aujourd’hui.
Chaque vendredi, j’allais voir les matchs des Patriotes de Saint-Laurent, l’équipe collégiale de hockey du Cégep Saint-Laurent. Je jouais au hockey-bottine dans les rues Ouimet, Saint-Germain et Filiatrault rêvant de devenir Patriotes et peut-être même Canadien. J’ai été voir Daniel Lemire, mon premier spectacle d’humour à la salle Émile-Legault. J’ai mangé je ne sais combien de cornets au parc Beaudet. Je faisais mes mauvais coups à la Crèche d’Youville et à la Gurney Stove, toutes deux à l’abandon. Quand je prenais mon vélo, je partais à la découverte de ma ville en prenant la rue Du Collège jusqu’à la rue Gohier. Je tournais à droite et poursuivait ma route jusqu’à De l’Église. Je tournais maintenant à gauche jusqu’à Alexis-Nihon pour me diriger vers le parc Marcel-Laurin. Pourquoi ? Parce qu’à partir de là, derrière le parc, ma ville finissait et c’était les derniers champs de Saint-Laurent qui cultivait du blé d’Inde à vache et ensuite le bois, le Bois-de-Liesse jusqu’à la rivière, la rivière des Prairies.
J’aimais m’y rendre pour aller profiter des chemins dans le bois, pour y faire des sauts à vélo, profiter de la fraîcheur qu’amenait la rivière. Je revenais ensuite par la majestueuse Gouin, traversant la rue Jasmin et poursuivant ma route. Juste avant l’hôpital du Sacré-Cœur, je bifurquais sur la rue Cousineau par laquelle je retournais vers chez moi. Ce segment de rue particulier vous fait passer dans un ancien village linéaire, l’Abord-à-Plouffe coté montréalais. Je passais ensuite sous le viaduc de la gare Val-Royal, traversant Henri-Bourassa et passait dans le Vieux Bois-Franc où la plupart des rues portent des noms de vieilles et réputées universités : Laval, De la Sorbonne, Cambridge, Oxford… Je prenais ensuite la rue Décarie direction sud, passait devant le Norgate, croisait Côte-Vertu, MacDonald, Decelles, Morin, De l’Église, Beaudet et tournais à gauche sur Lafontaine devant le parc Beaudet à coté des cornets Leclerc. Une petite rue qui mène à Ouimet et j’étais rendu chez moi, tout près de l’avenue Sainte-Croix. Belle randonnée. 25 km environ pour des petites jambes de 12 ans.
Plus je me promenais, plus ces noms de rues, ces odonymes me parlait. Plus je me demandais qui ils étaient. Pourquoi le parc Beaudet et la rue du même nom, en plus de l’école qu’on avait jadis détruite ? Pourquoi Côte-Vertu sans « E » ? Pour les champs verts d’autrefois me disais-je, accompagné d’une faute d’orthographe. Pourquoi Décarie ? Parce qu’il y a une panoplie de cliniques dentaires sur cette rue ? Non, évidemment. Mais cette question « QUI » ou « QUOI » me rongeait face à ces odonymes. Je demandais alors aux gens qui ne savaient quoi trop me répondre ou au mieux me disait que c’était sûrement le gars qui habitat le premier sur cette rue…Ah bon. Je trouvais ça simpliste, mais j’ai constaté plus tard que c’était parfois vrai.
Comme pour la rue Filiatrault, par exemple. Cette rue, la première rue secondaire du village de Saint-Laurent fut ouverte sur la terre de Flavien Filiatrault, médecin et cousin éloigné contemporain d’Elphège Filiatrault, curé de Saint-Jude qui hissa le premier fleurdelysé dans sa paroisse en 1902. Un fleurdelysé marqué du sacré Cœur, symbole d’une victoire importante de Montcalm.
Pour sa part, Ouimet, de son prénom Joseph-Aldéric, est un grand propriétaire foncier de Saint-Laurent. Originaire de Sainte-Rose, il est aussi le petit-cousin du patriote André Ouimet. Lorsque ce dernier décède, Joseph-Aldéric a 5 ans. À sa façon, il deviendra aussi un patriote canadiens-français en défendant son collègue de la Chambre des communes, Louis Riel.
Maintenant que nous avons parler du médecin Filiatrault et du journaliste et député Ouimet, parlons de celui qui se trouve entre les deux : Saint-Germain, le boulevard. Jean-Baptiste Saint-Germain était curé de la paroisse Saint-Laurent de 1829 à 1863. Alors que Louis-Joseph Papineau faisait la tournée des églises pour informer le peuple des injustices antidémocratiques qui pesaient sur eux, Saint-Germain se posa en travers de son chemin, refusant l’accès à son église au chef du Parti patriote. Comprenons ici que contrairement à la base cléricale canadienne-française, l’élite cléricale était contre le mouvement patriote. Lorgnant un poste auprès de l’élite du clergé, Saint-Germain s’opposa aux 92 résolutions des Patriotes, ce qui lui valu le poste d’aumônier militaire. Mais en contre partie, malgré qu’il fut repoussé, Papineau prononça son discours à l’extérieur de l’église de Saint-Laurent, la foule étant trop nombreuse pour ne rien dire. Ce fut son discours le plus mémorable.
On pourrait continuer ainsi longtemps…
Alors continuons, pour l’histoire…
…le Père Émile Legault est le père du théâtre moderne québécois. C’est lui qui laïcisa le théâtre et donna naissance à la troupe des Compagnons de Saint-Laurent au Collège du même nom et qui forma les Jean Duceppe, Félix Leclerc, Jean-Gascon et Guy Provost entre autres.
…Beaudet est un prêtre de la Congrégation de Sainte-Croix qui fut curé de la paroisse après des études à Nicolet et Saint-Laurent.
…Youville c’est notre marguerite nationale, la première sainte québécoise avant le Frère André. D’ailleurs, ce dernier décéda à l’hôpital Notre-Dame-de-l’Espérance au coin de la côte Notre-Dame-des-Vertus et du Chemin Principal qui deviendra l’Avenue Sainte-Croix.
…Gurney, la shop de four que Bélanger réussira à acquérir. Une fierté québécoise.
…Gohier, grand maire de Saint-Laurent qui propulsa la ville dans l’ère industrielle avec la Gurney, la Mitchell et la Continental Can, ce qui explique la présence d’un quartier ouvrier près de la voie ferrée.
…Alexis Nihon, un représentant des multiples familles belges de Saint-Laurent de l’époque (Vanden Abeele, Werbrouck, De Baene, …) et important acheteur et propriétaire foncier des terres cultivables de Saint-Laurent pour en faire des zones industrielles prospères.
…Marcel Laurin, maire de Saint-Laurent de 1959 à 1990, il consolide le développement industriel de la ville.
…Bois-de-Liesse, pourquoi de Liesse ? Pour commémorer Notre-Dame-de-Liesse, lieu de pèlerinage en Picardie, France, près de la Belgique ; nos origines parmi d’autres.
…Gouin, Premier ministre du Québec de 1905 à 1920.
…Jasmin, grande famille colonisatrice laurentienne. Ces familles d’origine on les appelait et les appelle toujours les « Dos blancs » car de la côte Notre-Dame-des-Neiges, où le Frère André fera des miracles dira-t-on, on voyait au loin les cultivateurs de Saint-Laurent labourer la terre, vêtus de peau de mouton sur le dos.
…Cousineau, d’autres Dos blancs importants.
…Val-Royal, par opposition au mont Royal.
…Henri Bourassa, petit-fils de Louis-Joseph Papineau, maire de Montebello et fondateur du journal Le Devoir.
…De la Sorbonne, Laval, Oxford, Cambridge dans le quartier Vieux Bois-Franc, un quartier ouvrier de la Vickers, usine de guerre pour la Deuxième Guerre mondiale, qui deviendra Canadair et Bombardier aéronautique. Quartier dans lequel on voulait faire rêver les moins riches avec leurs mini-unifamiliales sur des rues aux noms nobles en français comme en anglais.
…Décarie ; Paul, Michel et Louis sont les premiers concessionnaires de terres à Saint-Laurent. Ils sont les fils de Jean Descarries à qui Maisonneuve octroya les dites terres.
…Norgate, premier centre commercial de banlieue du Québec.
…MacDonald, Premier ministre du Canada de 1867-1873 et 1878-1891
…Decelles, Eugénie de son prénom, femme de Flavien Filiatrault, le médecin. Une des rares femmes à être reconnue par un odonyme aussitôt. Un parc portant son nom se trouve à la jonction des rues des deux amoureux. Cette rue s’appelait auparavant Papineau.
…Morin, Augustin-Norbert de son prénom. Il vécut de 1803 à 1865. Ce fut lui qui rédigea les 92 résolutions des Patriotes. Doyen à la faculté de droit de l’Université Laval, il fut aussi le fondateur du journal La Minerve.
…Lafontaine, Louis-Hippolyte de son prénom. Partisan des réformes de Papineau, il ne prend pas part aux rebellions, mais exige que le français soit reconnu comme langue officielle du Canada-Uni. Les anglophones de Montréal sont révoltés et brûlent le Parlement de Montréal, alors capitale du Canada-Uni. Ottawa deviendra la nouvelle capitale.
Bref, est-ce qu’on prend mon vélo pour faire un petit détour par le pont Champlain, question d’en connaître davantage sur notre histoire, sur NOUS ? Par un seul tour de vélo, vous connaissez maintenant beaucoup de l’histoire de ma ville d’origine.
Il faut comprendre ici que la toponymie et l'odonymie sont des éléments qui ont toute leur importance dans les constructions identitaires individuelles, collectives et surtout nationales. La seule idée de vouloir changer le nom du pont Champlain, même par Maurice Richard, est un autre exemple qui témoigne des désagréments d'être gouverné par une nation qui n'est pas la nôtre. Il faut tout faire pour préserver le nom de ce pont qui commémore le fondateur de notre peuple. Pensez-vous vraiment que les Américains songeraient un instant à donner le nom de Babe Ruth au pont Washington à New York? Change-t-on le nom d’une rue lorsqu’on change son asphalte, ses trottoirs et ses égouts ? Le seul fait qui explique que nous soyons pris dans ce genre de débat (inimaginable n'importe où ailleurs), c'est que nous ne soyons pas chez nous. Transport Canada agit de façon grotesque et attaque directement nos symboles. C'est grave et cela me choque. Les Québécois doivent se lever pour protéger leur culture, leur histoire, leur patrimoine. Je n'ai rien contre Maurice, mais Maurice, ce n'est pas Samuel...
Jonathan Godin
Îles-de-la-Madeleine


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1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    23 juin 2012

    "Pourquoi Côte-Vertu sans « E » ? Pour les champs verts d’autrefois me disais-je, accompagné d’une faute d’orthographe."...
    Que voulez-vous dire "vertu sans E, faute d'othographe?
    Les vertus théologales seraient-elles changées? La foie, l'espérance(e) et la charitée ??