Et si on luttait vraiment contre les paradis fiscaux ?

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L'évasion fiscale légalisée pour les riches

Les « Panama Papers » mettent des visages humains sur le système scandaleux de l'évasion fiscale et de l'évitement, qui était déjà très bien documenté par des Québécois, tels Brigitte Alepin et Alain Deneault.

Ce système permet aux multinationales et à la « classe 1 % » d'éviter de verser leur juste part pour le financement des services publics. Pour engranger des profits, ces entreprises et leurs actionnaires bénéficient d'une main-d'œuvre formée par l'État, soignée par l'État, d'un système routier pour transporter leurs marchandises, de ports pour leurs importations et leurs exportations, d'un cadre normatif, d'aéroports pour leurs voyages... Tout ceci vaut son pesant d'or.

Cependant, la part de l'impôt des entreprises dans l’assiette fiscale canadienne a chuté, entre 1981 et 2016, de 38 % à 15 %. La part des citoyens dans les recettes fiscales du budget canadien est maintenant de trois fois et demie celle des entreprises. Selon Statistique Canada, les entreprises canadiennes avaient placé, en date de 2014, au moins 199 milliards $ dans les dix principaux paradis fiscaux.

Dans le cas du Québec, l’estimé très conservateur produit par Alain Deneault et son équipe pour 2013 s’élève à 34 milliards $. Selon l'organisme « Canadiens pour une fiscalité équitable », l'évasion et l'évitement privent le Canada et les provinces d'au moins 8 milliards $ par année.

Les multinationales utilisent tous les stratagèmes possibles et imaginables pour éviter de contribuer leur juste part à l'assiette fiscale.

Le Laboratoire d'études socio-économiques de l'UQAM a calculé le taux effectif d'impôt de compagnies canadiennes rentables pour les exercices financiers compris entre 2009 et 2011. Nous retrouvons dans cette liste TransCanada Corporation, cette compagnie qui tente désespérément de nous imposer l'oléoduc Énergie Est pour l’exportation du pétrole des sables bitumineux.

Ce pipeline représente l'un des pires projets économiques, dans un contexte de réchauffement climatique, avec des risques énormes pour l'eau potable de 3,2 millions de Québécois. De 2009 à 2011, le bénéfice avant impôt de TransCanada a été de 5,9 milliards $, avec un taux effectif d'impôt de seulement 1,7 % !

Au niveau mondial, selon OXFAM, l'évasion fiscale des multinationales coûte 111 milliards $US aux finances publiques américaines et elle prive les pays pauvres de 100 milliards $US.

Les entreprises, qui ont produit et vendu l'ordinateur ou le téléphone que vous utilisez, risquent d'avoir bénéficié des paradis fiscaux. Une cinquantaine de multinationales américaines, dont Apple, Walmart et General Electric ont stocké environ 1 400 milliards $US entre 2008 et 2014 dans des paradis fiscaux.

Qui a brisé le contrat social ?

Au Canada, les gouvernements successifs du Parti libéral et du Parti conservateur ont encouragé l'usage de paradis fiscaux. Selon Alain Deneault, le gouvernement conservateur de Stephen Harper n’a fait qu’accentuer le phénomène, en légalisant des pratiques qui étaient autrefois considérées comme illégales.

« Il est devenu clair que la politique fédérale canadienne consiste à lutter contre la fraude fiscale en la légalisant », a-t-il déclaré en 2014. L'évitement fiscal, ce n'est pas illégal, mais c'est immoral.

En 1995, Paul Martin, alors ministre des Finances du Canada (1993-2002), a lui-même enregistré sa compagnie Canada Steamship Lines à la Barbade. Si le ministre des Finances le fait, pourquoi les autres s'en priveraient-ils ? Ils ne s'en sont d’ailleurs pas privés.

Est-ce que l'évitement fiscal serait devenu un critère de sélection, au Parti libéral, pour être nommé ministre des Finances ? Morneau Shepell, la compagnie dirigée pendant près de 20 ans par l'actuel ministre des Finances, Bill Morneau, possède une filiale aux Bahamas.

Le jeune Trudeau, qui s’est fait accompagner de Paul Martin durant sa campagne de 2015, a bien suivi le petit guide canadien du parfait libéral. Nous venons de découvrir qu'il avait quatre compagnies à numéro. En général, les Canadiens recourent à cet évitement fiscal pour pouvoir bénéficier du taux d'imposition des petites entreprises... qui est près de deux fois moins élevé que celui des individus.

En campagne électorale, Justin Trudeau dénonçait les riches Canadiens, qui créent des petites entreprises pour payer moins d’impôt. Au même moment, il a omis de mentionner au moins deux de ses compagnies à numéro, lors de sa déclaration, au journal La Presse, de ses divers intérêts financiers.

Bill Morneau et Justin Trudeau affirment maintenant qu'ils vont lutter contre les paradis fiscaux ici et à l'étranger. Nous constatons qu'ils savent de quoi ils parlent !

Au Bloc Québécois, l'économiste Gabriel Ste-Marie a déposé une motion à la Chambre des communes pour mettre fin à l’usage du paradis fiscal qu'est la Barbade. Le député a souligné que le PIB de la Barbade est comparable à celui du Grand Joliette, qu'il représente. Mais, sur papier, la Barbade est le deuxième destinataire des investissements canadiens à l’étranger. La motion sera votée au mois de juin, espérons que les bottines du Parti libéral vont suivre ses babines.

Le Québec dans tout ça ?

Notre statut de simple province diminue grandement notre capacité à lutter contre l'évasion et l'évitement, puisque l'essentiel des mesures législatives nécessaires sont du ressort du palier fédéral. Ceci dit, ce ne sont pas les Québécois qui, au cours des dix années du gouvernement de Stephen Harper, lui ont permis d'empirer le bilan fiscal, tout comme le bilan environnemental. Nous ne lui avons jamais donné plus de onze députés. Subir les décisions d'un autre peuple, c'est le coût d'être une simple province canadienne !

Les solutions globales viendront ultimement des pays, mais nous pouvons déjà agir avec les outils que le Québec possède. Nous pouvons nous attaquer aux reports d'impôts sans intérêt à répétition des grandes entreprises.

Du côté des individus, une mesure rapide et évidente serait de mettre fin à la pratique en pleine croissance de l'incorporation des médecins, qui fait actuellement perdre 150 millions $ par année à l'État.

Michel Girard du Journal de Montréal a calculé que la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) détient plus de 7 milliards $ de placements dans des sociétés et des fonds d’investissement enregistrés dans plusieurs paradis fiscaux.

La direction de la CDPQ se défend en affirmant que c'est au bénéfice de tous les Québécois, puisqu'elle évite de payer des impôts sur les revenus de placement encaissés à l’extérieur du Canada et des États-Unis.

Il est plutôt absurde que l'État québécois alimente un système qui, ultimement, diminue la capacité des États de pouvoir offrir des services à la population. Pensons, chez nous, aux coupes dans les CPE, dans les hôpitaux, dans les écoles...

À l'instar de Michel Girard, j'invite la CDPQ à délaisser ses placements dans les paradis fiscaux. J'ajouterais même que je suis favorable à un désinvestissement dans les énergies fossiles. Ils sont devenus des placements risqués, qui contribuent à empirer la catastrophe climatique annoncée, si nous ne décarbonisons pas notre économie au plus vite.

Le virage vert est commencé et les premiers à l'entreprendre seront les gagnants de l'économie de demain. Le fond souverain norvégien vient de bannir 52 sociétés liées au charbon, grâce à une décision du parlement norvégien, et la famille Rockefeller, qui a pourtant fait fortune avec le pétrole, tout comme la Norvège, vient d'annoncer son retrait des énergies fossiles.

Ayons de l'audace ! Regagnons la fierté d'être Québécois ! Montrons l'exemple ! Et qui sait, cela pourrait faire boule de neige. Imaginez le jour où la Caisse de dépôt et placement du Québec pourrait être enviée, partout dans le monde, pour ses investissements responsables, loin des paradis fiscaux et des énergies fossiles.

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Martine Ouellet29 articles

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Députée de Vachon à l'Assemblée nationale du Québec depuis 2010. Elle est la cheffe du Bloc québécois depuis 2017. Elle est ingénieure mécanicienne. Elle a été Ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement de Pauline Marois de 2012 et 2014.





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