À quelques semaines des élections du printemps 2003, j'avais demandé à un ministre péquiste ce qui arriverait au PQ s'il perdait. Il avait répondu: «La vraie question est de savoir ce qui arrivera s'il gagne.»
La victoire de 1998 avait déjà été le prélude à un véritable calvaire pour Lucien Bouchard, qui n'y a mis fin qu'en quittant la politique. Dès l'annonce des résultats, encore plus décevants que ceux de 1994, il avait compris qu'il n'y aurait pas de référendum.
Pendant deux ans, il a dû finasser avec les «purs et durs» qui assimilaient sa recherche des «conditions gagnantes» à de la procrastination. Cinq ans après son départ, les militants péquistes ont encore trouvé le moyen de le huer.
Pendant une brève période, ils ont pu croire que l'arrivée de Bernard Landry allait changer les choses, mais celui-ci a bientôt commencé à conditionner la tenue de l'ultime référendum à un concours de «circonstances favorables». Encore une fois, son sens des responsabilités a été confondu avec de la tiédeur.
Le grand avantage de se retrouver dans l'opposition est qu'on n'a pas à distinguer le possible du souhaitable. Le congrès de juin 2005 et la course à la succession de Bernard Landry se sont déroulés dans la certitude qu'une victoire écrasante ouvrirait la voie à un référendum éclair.
Même un homme aussi expérimenté que Louis Bernard, qui a vécu tous les hauts et les bas du mouvement souverainiste depuis 35 ans, avait bâti sa campagne au leadership sur la prémisse qu'une conjoncture aussi extraordinairement favorable allait durer.
M. Bernard avait poussé jusqu'à la caricature le scénario d'un référendum «le plus tôt possible à l'intérieur du prochain mandat», tel que résolu au congrès de juin 2005. Au cours d'une rencontre avec la table éditoriale du Devoir, il avait bien reconnu qu'une autre victoire par la peau des dents ruinerait ses plans, mais l'heure n'était pas au réalisme. À preuve, il a été sincèrement surpris de sa déconfiture le soir du 15 novembre 2005.
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Des élections générales dont les résultats seraient semblables à ceux du dernier sondage CROP-La Presse plongeraient le PQ et son chef dans l'embarras le plus profond. Avec un petit point d'avance (37-36) sur les libéraux, il obtiendrait une majorité de sièges à l'Assemblée nationale en raison de sa confortable avance parmi l'électorat francophone, mais risquer un référendum après une victoire remportée avec moins de 40 % des voix serait pour le moins hasardeux.
Surtout s'il faut poser une question «portant directement sur l'accession du Québec au statut de pays», comme le prévoit le programme. Même avec la question «molle» sur la souveraineté-partenariat, le OUI tire déjà de l'arrière par dix points, selon CROP.
Tout se passe comme si le réalignement de l'électorat, consécutif à l'arrivée d'André Boisclair à la tête du PQ et à celle du gouvernement conservateur à Ottawa, était maintenant complété. Depuis la fin de l'été, aussi bien les intentions de vote que le taux de satisfaction à l'endroit du gouvernement Charest sont demeurés stables. Au total, le mouvement de la dernière année a été favorable aux libéraux, mais pas suffisamment pour assurer leur réélection.
En toute justice pour M. Charest, il faut reconnaître que l'affaire du mont Orford a été la dernière gaffe majeure de son gouvernement, mais il en avait beaucoup à se faire pardonner. S'il s'était comporté depuis trois ans comme il l'a fait depuis trois mois, il voguerait allégrement vers un deuxième mandat.
Pour que des élections aient lieu avant les Fêtes, il aurait fallu qu'elles soient déclenchées cette semaine. Même si le printemps demeure bien incertain, aucun chef de gouvernement ne choisit de courir à une défaite probable sous prétexte qu'elle pourrait être plus cuisante dans six mois. Qui sait de quoi l'avenir sera vraiment fait?
L'imminence des élections a permis à André Boisclair de renoncer, sans créer trop de remous au PQ, aux mesures de promotion de la souveraineté dont le congrès de juin 2005 avait prévu la mise en oeuvre avant les élections: projet de constitution initiale, actualisation du «budget de l'an 1», document expliquant la transition vers la souveraineté, etc.
De façon assez divertissante, les protestations sont plutôt venues de l'autre camp. Commentateurs et politiciens fédéralistes se sont indignés de voir le chef du PQ tourner le dos à un programme dont ils avaient tout aussi vigoureusement dénoncé la radicalisation.
Le programme prévoit également une série de mesures à mettre en oeuvre au lendemain de l'élection d'un gouvernement péquiste: multiplication de forums de discussion dans toutes les localités et régions du Québec, nomination d'un ministre responsable de l'accession à la souveraineté, adoption de la constitution initiale, création d'une citoyenneté québécoise, etc.
Cela aurait pour effet de plonger de facto le Québec en pleine campagne référendaire. Une telle effervescence n'aurait de sens que dans la perspective d'un référendum à brève échéance. Pendant cette période, toute initiative du gouvernement serait inévitablement interprétée comme un moyen de promouvoir la souveraineté et le climat deviendrait rapidement invivable.
Si, au lendemain d'une victoire jugée trop serrée, le premier ministre Boisclair refusait d'appliquer ces dispositions du programme, les militants péquistes comprendraient immédiatement que le référendum est de nouveau reporté aux calendes grecques.
Au conseil national de la semaine dernière, la direction du PQ a été complètement dépassée par la réaction des militants à l'anarchie dans le développement de l'énergie éolienne, même si l'autorité du nouveau chef pèse déjà lourd sur les instances du parti. La tempête serait infiniment plus forte s'il fallait revenir au «bon gouvernement». Bien sûr, on traversera le pont une fois rendu à la rivière, mais il vaudrait peut-être mieux prévoir du matériel de secours au cas où il se serait effondré.
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mdavid@ledevoir.com
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1 commentaire
Luc Bertrand Répondre
3 novembre 2006C'est bien simple: si le Parti Québécois ne parvient pas à décoller dans les sondages, c'est parce que le Parti a perdu sa crédibilité auprès de la base sympathisante pour réaliser l'indépendance du Québec. Tout le monde sait que le Parti Libéral est profondément fédéraliste et que l'ADQ est ambivalente. Pour avoir participé à l'élection partielle à Pointe-aux-Trembles pour Québec Solidaire, je peux témoigner que l'ensemble de la population ne connaît pas vraiment la position constitutionnelle de ce nouveau parti qui cherche un peu trop à faire plaisir à tout le monde. Le Parti Vert, c'est encore pire! Même si les sondages illustrent souvent l'incohérence des choix politiques des Québécois(e)s (du genre "la moitié des sympathisant(e)s à la souveraineté du Québec croient qu'il fera encore partie du Canada"), l'équation n'est vraiment pas difficile à comprendre pour un chef soi-disant intelligent: même avec à peu près pas de promotion depuis le vol qualifié du 30 octobre 1995, l'idée d'indépendance reste toujours autour de 45-50%, donc systématiquement plus populaire que le seul parti qui est perçu capable de la réaliser. Si le PQ n'arrive même pas à faire le plein du vote souverainiste, c'est bien parce qu'il a un problème de crédibilité!
À l'opposé, à part l'épisode de fièvre nationaliste de Meech et de la fin de la Commission Bélanger-Campeau entre l'été 1990 (60%) et l'automne 1991 (70%!), la cohérence, la méthode et la détermination de Jacques Parizeau depuis son arrivée à la tête du Parti Québécois en 1988 a pratiquement confondu les appuis au Parti et à la souveraineté entre 40-45%. Pendant toute cette période, à l'exception de l'épisode de "l'effet Bouchard" entre juin et octobre 1995, le projet auquel adhérait celles et ceux voulant voter pour le PQ était un pays d'abord, une association économique souhaitable, mais non indispensable. Donc, l'option "pure et dure".
Depuis le départ malheureux de M. Parizeau, le Parti Québécois est redevenu, comme à l'époque de René Lévesque (1972-1985) et Pierre-Marc Johnson, un parti obnubilé par la prise du pouvoir (on pourrait même ajouter "à tout prix"). Eh bien, je m'excuse, mais, n'en déplaise aux partisans de Lucien Bouchard, de Bernard Landry et d'André Boisclair (qui ont en commun de n'avoir jamais voulu reconnaître les vraies raisons de la défaite d'avril 2003), le Parti Québécois a choisi de "se prostituer" pour s'accrocher au pouvoir, quitte à agir de manière à discréditer le Parti (en acceptant de faire le jeu du gouvernement fédéral en assumant les gestes d'austérité dans la poursuite de l'objectif de déficit zéro) et à réduire l'argumentaire souverainiste au niveau de "hochet financier" (l'indépendance n'était bonne que lorsqu'il fallait "convaincre" les convaincu(e)s de contribuer aux campagnes de financement et renouveler leur carte de membre).
En agissant comme il le fait, le seul message clair qu'André "Voit-clair" envoie aux membres est qu'il n'a besoin d'eux (elles) que pour endosser des décisions déjà prises et pour harceler les gens pour faire rouler son "establishment". À la population en général, il demande carrément un chèque en blanc sans donner aucune garantie qu'il ne prendra pas de mesures discutables ou anti-démocratiques comme l'a fait le gouvernement Charest. J'espère sincèrement me tromper, mais l'impression qu'il me donne c'est qu'il va faire, s'il est élu Premier ministre, ce qu'il reproche actuellement du gouvernement libéral! Quand aux adversaires, ils doivent se retenir pour ne pas se tordre de rire!
Donc, malgré l'extrême gravité de la situation dans laquelle le Québec se trouve, il serait pratiquement mieux que le PQ revienne à la clarté et à la cohérence avec sa mission fondamentale et perde plutôt que de gagner avec un programme flou et une direction erratique.