Est-ce une bonne idée de construire les hôpitaux CHUM et McGill en PPP? Québec annoncera sa décision au début de 2007, après avoir pris connaissance des recommandations de l'Agence des partenariats public-privé. Le gouvernement Charest, cependant, n'a jamais caché sa préférence. Tout le monde s'attend à ce qu'il aille en PPP. Mais comme l'a constaté notre éditorialiste, plusieurs des hôpitaux qui ont été construits sur ce modèle au Royaume-Uni ont connu des problèmes inquiétants. Et on n'est même pas sûr qu'ils coûtent moins cher aux contribuables.
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En 1999, le vérificateur général de la Grande-Bretagne publie un rapport accablant. Les travaux de l'hôpital Guy's de Londres, achevés deux ans plus tôt, ont coûté quatre fois plus cher que le budget original et accumulé presque trois ans de retard. «C'est une honte que le devis original ait été aussi inadéquat. (...) L'estimation de départ irréaliste a peut-être donné à Guy's une place dans la file d'attente des rares investissements du NHS, au détriment d'autres projets», écrit le National Audit Office (NAO).
La table était mise pour les partenariats public privé (PPP), un modèle de financement et de réalisation des contrats publics dans lequel c'est l'entreprise privée, et non l'État, qui assume les conséquences des retards et des dépassements de coûts.
De ce point de vue, ça semble marcher plutôt bien. Selon une étude réalisée par le NAO, les PPP respectent trois fois plus souvent leur budget et leur échéancier que les projets réalisés en mode conventionnel. Et lorsqu'un partenariat accuse un dépassement de coûts, c'est souvent parce que les fonctionnaires ont modifié le devis en cours de route.
Le premier hôpital en PPP, le Cumberland Infirmary, a même été livré six semaines avant la date prévue. Mais à quel prix? Autrement dit, est-ce que les projets financés par le privé (PFI) coûtent plus cher aux contribuables? Le gouvernement britannique jure que non. «Nous utilisons les PFI seulement lorsqu'ils sont abordables, répondent aux besoins et permettent l'optimisation des ressources du NHS», nous a indiqué par courriel le ministre responsable des PPP dans le secteur de la santé, Andy Burnham.
Cette profession de foi doit cependant être nuancée.
«Pour ce qui est de livrer les projets, les PFI ont prouvé qu'ils étaient meilleurs que les autres formes d'approvisionnement. Mais ensuite, durant la phase d'exploitation, c'est moins clair. C'est un peu tôt pour en juger», souligne le directeur du développement des PFI au NAO, David Finlay.
La construction, ne l'oublions pas, ne représente qu'une fraction du contrat. Pour déterminer si les PPP sont avantageux, il ne faut pas seulement regarder si le privé livre le bâtiment à temps et au prix convenu, mais analyser sa performance sur les 30 ans que dure le partenariat. Or, même l'expérience du Royaume-Uni est trop récente pour nous permettre de le savoir. Les vérifications faites jusqu'ici par le NAO, sur la qualité des prisons par exemple, n'ont pas fourni de réponse claire. «La meilleure prison au pays a été construite en PFI, tout comme certaines des prisons les moins performantes», résume David Finlay.
Revenons maintenant à cette histoire de dépassement de coûts. Contrairement aux chantiers publics traditionnels, les PPP sont généralement livrés au prix convenu. Mais ça ne veut pas dire qu'ils coûtent moins cher.
Des chercheurs du University College London ont analysé cinq projets réalisés en PPP dans le secteur de la santé au début des années 2000. Ils ont constaté qu'entre les deux premières versions du dossier d'affaires, les coûts prévus avaient bondi de 75 à 172%.
Ils ont aussi comparé la deuxième et la troisième version (la version finale) du dossier d'affaires de 11 hôpitaux en PPP. La facture prévue avait grimpé de 33 à 229%!
Ces hôpitaux ont peut-être été livrés à la date et au prix indiqués au contrat, mais ils ont coûté beaucoup plus cher que ce qu'on avait pensé au départ. Que s'est-il passé?
Entre le dossier d'affaires initial et sa version finale, le projet se précise et l'évaluation se raffine. Il est donc normal que l'estimation des coûts augmente. Et franchement, mieux vaut le savoir avant de signer le contrat avec l'entrepreneur qu'en cours de construction. Mais il faut être bien conscient de cette mécanique lorsqu'on parle de dépassements de coûts.
On ne compte plus les grands chantiers québécois qui ont défoncé leur budget. Est-ce qu'ils auraient coûté moins cher si on les avait réalisés en PPP? Pas forcément. Par contre, les contribuables auraient su à quoi s'attendre.
Prenez le métro de Laval. Au final, il coûtera au moins 809 millions de dollars, soit quatre fois et demi ce qui avait été annoncé en 1998. Mais comme l'a découvert le Vérificateur général du Québec, le budget original de l'Agence métropolitaine des transports (179 millions) n'était absolument pas réaliste.
«Cette négation de la réalité et le manque de transparence ont créé une mauvaise perception du coût global du projet et des dépassements de coûts», souligne le rapport du VG.
Ça ne veut pas nécessairement dire qu'il y a eu gaspillage de fonds publics, précise le vérificateur général adjoint, Gilles Bédard. «Les besoins avaient été mal identifiés et les contingences avaient été mal évaluées, de sorte que ce budget-là était sous-estimé dès le départ. Il était impossible, même impensable, de pouvoir réaliser un tel projet avec 179 millions de dollars».
Ce qu'il faut retenir du métro de Laval, ce n'est pas que le modèle traditionnel est bon à jeter au panier, mais que sans une bonne gestion de projet, il faut s'attendre au pire.
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Le département anglais de la Santé le reconnaît lui-même: dans son secteur, les économies réalisées grâce au modèle PPP sont marginales. Pourtant, c'est le ministère qui l'a le plus utilisé. Pourquoi?
Lorsque Tony Blair est arrivé au pouvoir en 1997, le Royaume-Uni avait d'énormes besoins en infrastructures. En moins de dix ans, Londres a autorisé plus de 700 projets en PPP, dont 83 hôpitaux. Sans cette nouvelle forme de partenariat qui donne un rôle accru au privé, le gouvernement n'aurait probablement jamais pu mener autant de chantiers de front en si peu de temps. Le fait que ce soit le privé qui fournit le financement a aussi pesé dans la balance. Les ministres ont pu multiplier les annonces sans alourdir la dette publique.
Dans le système de santé, beaucoup de gestionnaires disent qu'ils n'avaient pas le choix. Pour que leur projet d'hôpital soit accepté, il fallait qu'il soit financé par le privé. C'était, comme on dit là-bas, the only game in town. «Ils savaient que pour avoir l'argent, il fallait que leur dossier montre que le PFI était la meilleure option. Alors c'est ce qu'ils ont fait», résume l'économiste Jon Sussex, directeur général adjoint de l'Office of Health Economics et auteur de The Economics of the Private Finance Initiative in the NHS.
Martin Blaiklock gagne sa vie avec les PPP. Après avoir été banquier d'affaires, il travaille aujourd'hui comme consultant auprès d'entreprises et de gouvernements étrangers qui veulent créer de tels partenariats. Pourtant, il est formel : cette formule ne doit pas être employée à toutes les sauces.
«Il y a des gouvernements plus pauvres, en Europe centrale et ailleurs, qui ont un énorme besoin de services publics, mais qui n'ont pas l'argent. Avec les PPP, ils peuvent se le permettre et garder ça hors bilan. Mais si vous êtes un gouvernement riche, franchement, pourquoi faire ça? C'est plus cher et ça prend deux fois plus de temps.»
Il peut concevoir que son pays construise des prisons, des écoles ou des édifices à bureau en PPP, mais pas des hôpitaux. La technologie et la façon de soigner changent trop. «Le PPP est une autre façon de financer les dépenses du gouvernement, mais ça ne devrait pas être une fin en soi. Vous devez choisir soigneusement les projets pour lesquels vous l'utilisez.»
CITATION
«Le gouvernement n'a jamais nié que, jusqu'ici, les économies réalisées sur les projets du secteur de la santé ont été relativement marginales par rapport aux autres secteurs.» - Questions et réponses sur les PFI, site Internet du département anglais de la Santé.
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