À Nis, des étudiants ont agité le drapeau serbe hier, manifestant contre la décision de Pristina de déclarer unilatéralement l'indépendance du Kosovo. (Photo AFP)
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Certains prétendent que l'accès à l'indépendance du Kosovo, ces jours derniers, ou celle du Monténégro, en 2006, constitue des précédents qui seraient favorables au Québec. Erreur ou tromperie qui frise la malhonnêteté ou la démagogie.
L'indépendance du Kosovo vient d'être acquise par la voie d'une déclaration unilatérale du Parlement de cette province administrative de la Serbie. Cette déclaration n'est pas le fruit d'un accord ou d'un arrangement entre la Serbie et le Kosovo, comme c'était le cas au Monténégro, en 2006, où la Serbie avait accepté qu'à la suite d'un référendum sur une question claire et d'une réponse claire à 55%, la sécession serait possible. Comme le droit constitutionnel serbe ne reconnaît pas le droit à l'autodétermination à l'interne et comme les pourparlers ont été un échec, il ne restait pour les Kosovars que le recours aux principes du droit international. Ces principes ont clairement été rappelés par la Cour suprême du Canada, en 1998, dans le célèbre renvoi sur la sécession du Québec, l'un des grands arrêts du droit constitutionnel comparé. La cour précise ce que signifie le «droit à l'autodétermination des peuples», qui n'existe que dans trois cas précis:
«En résumé, le droit à l'autodétermination en droit international donne tout au plus ouverture au droit à l'autodétermination externe dans le cas des anciennes colonies; dans le cas des peuples opprimés, comme les peuples soumis à une occupation militaire étrangère; ou encore dans le cas où un groupe défini se voit refuser un accès réel au gouvernement pour assurer son développement politique, économique, social et culturel. Dans ces trois situations, le peuple en cause jouit du droit à l'autodétermination externe parce qu'on lui refuse la faculté d'exercer, à l'interne, son droit à l'autodétermination.» (Renvoi relatif à la sécession du Québec, «1998» 2 R.C.S. 217, par.138)
La cour a ajouté que «ces circonstances exceptionnelles» ne s'appliquent manifestement pas au cas du Québec dans les conditions actuelles. Par conséquent, ni la population du Québec, même si elle est qualifiée de «peuple» ou de «peuples», ni ses institutions représentatives, l'Assemblée nationale ou le gouvernement du Québec ne possèdent, en vertu du droit international, le droit de faire sécession unilatéralement du Canada. Même l'amicus curiae, un souverainiste notoire, l'a admis devant la cour.
La situation est certes différente dans le cas du Kosovo. En effet, la population du Kosovo, qui a apparemment toutes les caractéristiques d'un «peuple», a pu être considérée à l'époque contemporaine comme opprimée. Il s'est passé depuis 1987 dans ce coin des Balkans des événements d'une cruauté inénarrable. Finalement, les Nations unies et l'OTAN ont décidé d'intervenir. Depuis 1999, ces deux institutions accompagnent le Kosovo dans sa marche vers un statut satisfaisant. Par sa résolution 1244 du 10 juin 1999, le Conseil de sécurité autorisait l'établissement d'une autorité «administrative internationale civile»; Bernard Kouchner est nommé haut représentant de l'ONU de juillet 1999 à janvier 2001. De son côté, l'OTAN (KFOR) veillait à assurer la sécurité du territoire et à protéger la minorité serbe. L'ONU devait aussi superviser les négociations entre la Serbie et le Kosovo qui se sont terminées en novembre 2007 par un échec.
Certains ont écrit que les Québécois sont aussi un peuple opprimé, surtout depuis une trentaine d'années. À preuve, selon eux, le FLQ, la crise d'octobre, la trudeaumanie, la «nuit des longs couteaux», le rapatriement de la Constitution, l'étapisme, le référendum de 1980, le «renérendum», la loi 101 devant la Cour suprême, le «beau risque», l'échec du lac Meech, le référendum (volé?) de 1995, la vente des Nordiques, le scandale des commandites, le départ des Expos, celui de la Bourse de Montréal, la péréquation, le pouvoir fédéral de dépenser, et j'en passe. À l'échelle du malheur des peuples, que nous sommes à plaindre! Mais cela n'a rien à voir avec la notion d'oppression en droit international. Par ailleurs, faut-il être assez naïf pour situer le Québec quelque part dans les Balkans ou comparer les difficultés constitutionnelles du Canada avec l'échec du fédéralisme dans l'ex-Yougoslavie!
Malgré des différences importantes, la situation du Québec comporte plutôt des analogies avec celle du Monténégro. Le droit constitutionnel canadien prévoit maintenant un processus de sécession pour une province canadienne: un référendum démocratique, une question claire, une réponse claire, l'obligation constitutionnelle de négocier imposée au fédéral et aux autres membres de la fédération, le respect des droits des minorités. Ces règles du droit constitutionnel interne empêchent le recours aux principes du droit international dont nous avons parlé ci-haut, en ce sens que le droit international présuppose que les règles du droit constitutionnel seront respectées. La reconnaissance par les autres États de la communauté internationale sera largement conditionnée par le respect du droit constitutionnel de l'État canadien dont une province veut faire sécession.
Si le Canada doit reconnaître le Kosovo, cela n'a rien à voir avec la situation du Québec et la menace séparatiste; il s'agit pour notre pays de reconnaître que les principes du droit international sont respectés dans cette région des Balkans; il s'agit aussi d'être solidaires avec les actions de l'ONU et de l'OTAN au Kosovo depuis 1999.
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L'auteur est professeur émérite à la faculté de droit de l'Université Laval.
Erreur ou tromperie?
DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)
Patrice Garant17 articles
L'auteur est professeur émérite à la faculté de droit de l'Université Laval.
L'auteur est historien amateur.
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