La riposte du président turc après le putsch avorté en Turquie est d’une telle envergure qu’elle sème le doute : et si Recep Tayyip Erdogan avait monté un faux coup d’Etat pour faire le ménage parmi ses opposants ?
Depuis le dimanche 17 juillet, à la suite de l’échec du putsch mené par une partie de l’armée en Turquie, Recep Tayyip Erdogan a lancé une vaste opération pour reprendre en main le pays. Selon le quotidien algérien El-Watan, les deux jours qui ont suivi le coup d’Etat ont vu 6 000 arrestations dans l’armée, 104 putschistes tués et 2 745 juges démis de leurs fonctions. Le gouvernement a également annoncé un possible rétablissement de la peine de mort, abolie en 2004.
Pour le site basé à Washington Al-Monitor, ces mesures suscitent le doute. “La rapidité et l’envergure de l’action de l’exécutif sont remarquables. Cela donne l’impression que le gouvernement et Erdogan s’étaient préparés à une tentative de coup d’Etat.” Un soupçon renforcé par l’impression d’impréparation de ce coup d’Etat manqué, souligne de son côté L’Orient Le Jour, à Beyrouth, pour qui c’est un “coup d’Etat au caractère étrangement amateur, qui a éveillé des soupçons au sein de la société civile”.
Le site Al-Monitor revient sur la mise en place du putsch :
Faire un coup d’Etat est assez simple. Tout d’abord, vous vous emparez du chef, puis des médias, puis vous exposez le chef humilié dans les médias. Au lieu de cela, ils ont décidé de faire ce coup d’Etat alors qu’Erdogan était en vacances… Les putschistes ont demandé aux gens de rentrer chez eux, alors qu’Erdogan demandait aux gens de sortir dans les rues. Ceux qui étaient favorables au coup d’Etat sont donc restés chez eux, alors que les soutiens d’Erdogan étaient dans les rues.”
Digne de Machiavel
Pour Kapitalis, cette tentative de putsch pourrait bien être en réalité une “mise en scène soigneusement orchestrée”. Il n’est “pas saugrenu” de penser que “le désordre a été organisé” par le président “pour conforter son pouvoir absolu”, explique le site tunisien. Une stratégie “dans la droite ligne de l’enseignement du Prince” de Machiavel, philosophe italien qui a théorisé l’art de gouverner et qui “conseille la simulation, y compris du complot, pour se débarrasser de ses ennemis”. Machiavel préconise même, si nécessaire, d’utiliser la répression, mais de le faire d’un seul coup, pour ne pas avoir à recommencer, ajoute Kapitalis. Avant de conclure : “Au creux des apparences d’aujourd’hui, le secret du visible [s’offre] à nos yeux.”
Une thèse balayée par plusieurs journaux turcs, à l’image du quotidien Hürriyet, pour qui cette explication “n’est pas convaincante car elle ne tient pas compte des incertitudes inhérentes à une telle opération dans la mesure où la réaction d’officiers qui n’auraient pas été tenus au courant du projet aurait été trop imprévisible”. De son côté, le journal Habertürk estime qu’“il ne faut pas oublier que ce coup d’État ne visait pas seulement le gouvernement AKP et le président Erdogan, mais la classe politique dans son ensemble. Il est donc nécessaire que l’opposition assume son rôle et rappelle cela au gouvernement afin de freiner la vague autoritaire qui se manifestera après cette tentative de putsch.”
Quoi qu’il en soit, reste que ces interrogations sont légitimes, affirme pourtant Al-Monitor : “Tant qu’il y aura plus de questions que de réponses convaincantes, il ne faudra pas s’étonner du grand nombre de théories conspirationnistes.”
Kenza Safi-Eddine
Turquie
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