Enbridge peut aller de l’avant avec l’inversion du pipeline

L’Office national de l’énergie autorise le renversement du flot de pétrole vers Montréal

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Mauvaise nouvelle !

Chez Suncor, l’idée d’avoir accès à du pétrole canadien plus abordable pour alimenter sa raffinerie de Montréal et en réduire les coûts circulait depuis au moins l’automne 2009, à l’époque où Shell tentait elle-même de se débarrasser de la sienne, à quelques centaines de mètres. Mais l’Office national de l’énergie (ONE) n’avait pas encore été saisi du dossier.
Cinq ans plus tard, ce rêve — ou cauchemar, scandent les groupes environnementaux — est devenu réalité. Près de 15 mois après le dépôt d’une demande officielle, le groupe albertain Enbridge a le feu vert pour inverser le flot d’écoulement de son pipeline Québec-Ontario, appelé communément « Ligne 9 », de manière à transporter vers l’est le pétrole issu des sables bitumineux.
« Il est dans l’intérêt public d’approuver le projet », a indiqué l’ONE, dont la décision est accompagnée d’une trentaine de conditions, comme la transmission de rapports d’étape par Enbridge, de rapports portant sur les consultations avec des villes, des communautés autochtones et des propriétaires fonciers, d’informations financières au sujet du pipeline et d’évaluations techniques. La compagnie doit aussi fournir un plan de « gestion des fissurations » et un autre pour les « franchissements de cours d’eau ».
4000 emplois en jeu
Satisfaite, la société pétrolière Suncor a estimé que sa raffinerie montréalaise — une des deux seules au Québec — sera plus compétitive, un argument partagé par Enbridge, qui chiffre à 4000 le nombre d’emplois québécois « protégés » par la décision. De son côté, le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, a affirmé que cela va ouvrir « des perspectives commerciales aux producteurs de pétrole de l’Ouest canadien ».
Le directeur de la raffinerie montréalaise de Suncor, Jean Côté, avait affirmé au Devoir l’an dernier que l’établissement s’approvisionnerait uniquement en pétrole canadien si le flot était inversé et que cela en assurait la survie. C’était en marge d’une conférence de presse organisée par une coalition pro-inversion à laquelle avait aussi participé un représentant du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier.
Deuxième inversion
À l’origine, le pipeline coulait de l’Ontario jusqu’à Montréal. Il a été inversé une première fois en 1998 quand le pétrole étranger est devenu moins cher que celui de l’Ouest canadien. Au fil du temps, les prix se sont croisés. En juillet 2012, l’Office national de l’énergie a approuvé l’inversion de la section 9A, qui va de Sarnia jusqu’à North Westover, près de Hamilton.
Le projet 9B, qui s’étend sur 639 kilomètres, est la deuxième phase du projet d’Enbridge, qui l’exploite depuis 1976. L’objectif est aussi d’accroître la capacité d’écoulement afin de la faire passer de 240 000 à 300 000 barils par jour. (La raffinerie de Suncor à Montréal, par exemple, a une capacité quotidienne de 137 000 barils par jour.)
« La décision d’aujourd’hui va rétablir le rôle que ce pipeline devait jouer à l’origine », a affirmé l’Association canadienne des producteurs pétroliers, « c’est-à-dire établir un lien entre le pétrole brut de l’Ouest canadien et les marchés de l’est du Canada ». Les raffineries du Québec et des Maritimes « importent actuellement 86 % du pétrole dont elles ont besoin », a-t-elle ajouté.
Contestation
Le responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace, Patrick Bonin, a affirmé que la décision « n’est pas surprenante considérant que le fédéral et l’industrie pétrolière ont réécrit les lois environnementales pour approuver plus rapidement les projets de pipelines de sables bitumineux ».
À Ottawa, le NPD s’est dit « très préoccupé par les changements imposés par les conservateurs, qui ont vidé la procédure d’examen et d’approbation de la canalisation 9 de sa substance » tout en « imposant des limites arbitraires concernant le nombre de personnes pouvant participer aux consultations ».
Dans les motifs de sa décision, qui découle du dépôt de plusieurs mémoires et d’audiences tenues en octobre 2013, l’ONE insiste. « Les conditions que l’Office a rattachées à l’approbation de la demande d’Enbridge renforceront les mesures actuelles et futures liées à l’intégrité et à la sécurité du pipeline, ainsi qu’à la protection de l’environnement auxquelles la canalisation 9 est déjà soumise », écrit-il. Selon lui, Enbridge peut maintenant « réagir aux forces du marché » et le projet pourra se faire « d’une manière sécuritaire et écologique ».
Outre la raffinerie de Suncor, le Québec compte aussi celle d’Ultramar à Lévis, de même qu’une ribambelle de sociétés pétrochimiques qui consomment les sous-produits de la raffinerie de Suncor. C’est dans l’est de Montréal, fait valoir l’industrie, qu’on retrouve la seule « chaîne de polyester » en Amérique du Nord. Présentement, les deux raffineries sont alimentées par du pétrole étranger, dont le cours peut être supérieur de 10 $ le baril, quand ce n’est pas plus.
Lors d’une commission parlementaire à l’automne, les élus de l’Assemblée nationale ont donné leur appui au projet en balisant toutefois l’opération. Entre autres, le rapport de la commission parlementaire a suggéré la création d’une unité de surveillance, d’un « plan de garantie financière » en cas de désastre et indiqué que la compagnie devrait transmettre au ministère de l’Environnement « ses données d’inspection afin qu’un expert indépendant évalue l’intégrité de l’oléoduc 9B et les pratiques d’entretien et d’inspection d’Enbridge ».
En février, les villes de la Communauté métropolitaine de Montréal ont elles aussi appuyé le projet, mais à certaines conditions. Elles ont affirmé qu’Ottawa devrait obliger la compagnie à se soumettre aux recommandations de la commission parlementaire, et précisé que le fonds d’assurance devrait se chiffrer à un milliard.
Au sujet des conditions, Enbridge a dit jeudi qu’elle doit « passer en revue » ces exigences et « établir l’étendue des travaux afin de remplir les conditions énoncées dans la décision de l’ONE, laquelle a été rendue après près de deux ans d’un processus d’engagement ».


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