Les Cahiers du 27 juin - L’ouvrage compte 335 pages. Son sous-titre : Des idées pour donner au Québec les moyens de ses ambitions. Après quelques chapitres, au moment d’aborder son aspect programmatique, son auteur, Alain Dubuc, nous avise qu’il s’agira de « la partie la plus faible du livre ». Il tient parole. Il faut attendre la page 250 avant de trouver une proposition concrète. Pour alléger la réglementation des entreprises, pourquoi le gouvernement québécois n’harmonise-t-il pas l’administration et la comptabilité de la TPS et de la TVQ, puisqu’il les perçoit tous les deux ? Pourquoi pas en effet ? Des milliers d’heures de tracasseries inutiles disparaîtraient.
Le lecteur est-il preneur d’une seconde proposition ? Il n’en trouvera pas. Et c’est l’extraordinaire légèreté de ce livre, écrit par un journaliste/chroniqueur/éditorialiste ayant cumulé des décennies d’observation quotidienne de la société québécoise sous l’angle économique, ayant ingurgité une multitude de budgets, mémoires et rapports, ayant rencontré et interrogé tous les acteurs de notre activité industrielle, commerciale et financière, ayant pu comparer, in situ, les expériences d’autres nations comparables, proches et lointaines, qu’il ne puisse mettre dans la balance plus qu’une idée immédiatement utilisable par un ministre des Finances ou de l’Industrie.
Si Alain Dubuc n’a pas de propositions, il a des opinions. Les frais de scolarité devraient être relevés quitte à mieux financer les étudiants pauvres – mais il ne propose pas de formule pour étayer ce principe connu. Il faut davantage investir en éducation et en innovation, en réduisant les dépenses ailleurs – sans toutefois identifier les victimes des coupes à venir. Il ne faut pas avoir peur du privé et des PPPs, sans toutefois réduire la vigueur d’un État qui doit accompagner la création de richesse – rien de neuf. Les villes sont importantes, il faut les appuyer et, là, Dubuc a le courage d’aviser les régions en difficulté qu’elles doivent se résigner au déclin, comme c’est le cas ailleurs en Occident. Le Québec gagnerait à moins insister sur la défense du français, pour moins effaroucher les investisseurs – malheureusement il ne nous indique pas précisément à quel renoncement il nous convie. Surtout, il faut « faire disparaître » nos politiques économiques « qui ont l’effet d’un repoussoir ». Lesquelles ? Il a bien mentionné l’équité salariale et le 1% pour la formation, la loi anti-scab et les «cycles référendaires» comme des contre signaux envoyés aux investisseurs, mais il s’agit plutôt d’une plainte que d’un plan d’action. Une chose semble nette: lui ministre, les employés de Wal-Mart ou d’ailleurs ne pourraient se syndiquer par simple signature de carte, procédé qu’il juge désastreux et auquel il préfère le vote en bonne et due forme. Cela se défend, mais au global c’est un peu court pour quelqu’un qui nous appelle à une Nouvelle révolution tranquille.
Éloge de la Richesse constitue pour l’essentiel une mise en ordre (mais non une synthèse, le tout est un peu longuet) des opinions émises par le scribe ces dernières années, pour ceux qui auraient pu vivre au Québec sans en être informés. Sa thèse centrale pourrait se résumer en une courte chronique : il serait hautement préférable que le Québec produise davantage de richesse, non pour le cumul de richesse en soi, mais pour mieux financer ses choix sociaux-démocrates. Quelques temps après la publication de son livre, M. Dubuc se félicitait dans La Presse d’un changement d’attitude face à la richesse au Québec et prenait à témoin le peu d’opposition que son ouvrage avait suscité. Il arrive en effet que le défonçage de porte ouverte ne provoque pas de tollé. Aurait-il été plus audacieux dans ses propositions, plus précis dans ses choix, qu’un débat plus animé aurait pu surgir.
Il faut, pour se disputer un peu avec lui, se replier sur les passages portant sur le diagnostic. Comme plusieurs autres commentateurs économiques (et comme André Pratte dans son livre dont je parle plus loin), Alain Dubuc utilise à mauvais escient l’expression niveau de vie. Certes, les chiffres du Produit intérieur brut démontrent que la société québécoise, en son ensemble, est moins riche que ses voisins – quoique l’écart se rétrécisse, contrairement à ce qu’il affirme. Mais il ne s’agit pas d’une comparaison de niveau de vie, mais de richesse collective. Lorsqu’on veut parler du Niveau de vie des citoyens, donc de la capacité des Québécois de se procurer des biens et des services, ce qui est la richesse réelle, on constate que les coûts significativement plus faibles au Québec font en sorte que, même avec un revenu moindre, la grande majorité des Québécois ont un niveau de vie égal ou supérieur à la grande majorité de leurs voisins de l’Ontario. J’ai un peu écrit à ce sujet et M. Dubuc conteste mes démonstrations (enfin, je suppose qu’il parle de moi, bien qu’il me nomme toujours Lizée, avec un z). Cependant je note avec plaisir qu’est venue à ma rescousse sur ce point précis Mme Norma Kozhaya, économiste de l’Institut Économie de Montréal, think tank néo-conservateur, dans La Presse du 9 mai 2006. Elle écrit ce qui suit, et qu’on ne retrouve nulle part dans Éloge de la richesse : « Un autre indicateur du niveau de vie est le revenu personnel disponible per capita (revenus totaux des individus moins les impôts personnels directs). En 2004, le revenu disponible per capita était de 21 631 $ au Québec, soit 7% inférieur à la moyenne canadienne, et 12% en dessous de l’Ontario. Si l’on ajuste selon le coût de la vie dans les grandes villes, on se retrouve de nouveau avec un portrait relativement plus favorable pour le Québec, puisque l’écart avec l’Ontario semble disparaître complètement. »
L’économiste Pierre Fortin, de l’UQAM, a de son côté calculé que le niveau de vie des Québécois de classe moyenne est équivalent à celui de leurs pendants étasuniens (à – 5% seulement), sans même prendre en compte le fait qu’ils travaillent en moyenne trois heures de moins que les Ricains par semaine et prennent davantage de vacances. Les riches québécois, eux, sont moins riches et proportionnellement moins nombreux que les riches ontariens ou étasuniens – tout le monde s’entend.
Je propose une trêve dans ce combat des diagnostics : admettons que le niveau de vie des citoyens québécois est, grosso modo, équivalent à celui de ses voisins, mais que la richesse collective du Québec est toujours en retrait et mériterait de s’accélérer. Ensuite, on pourrait discuter de propositions concrètes pour y arriver.
***
Aux pays des merveilles – Essai sur les mythes québécois, de l’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte, est plus intéressant. Son ambition est de démontrer que la pensée souverainiste s’appuie sur de bien fragiles assises. On comprend que, lui qui a voté Oui en 1980 et en 1995, ne soit plus souverainiste, car il n’est nullement animé par l’essence de l’élan nationaliste, soit la conviction qu’un peuple singulier puisse déterminer seul son destin, dans son propre pays. Une fois cela évacué, tout n’est plus que profits et pertes, risques et efficacité. Assez courant chez beaucoup de québécois fédéralistes ou indécis, le raisonnement, s’il était transposé à nos vies personnelles, ferait de nous autant de Tanguy.
André Pratte fait assurément le meilleur travail de démonstration actuellement en magasin de la difficulté de réaliser la souveraineté (la transition vers le Québec souverain nécessitera, estime-t-il, la somme d’énergie engloutie dans les fusions municipales, multipliée par un million). Il compare ensuite cette difficulté aux gains économiques, politiques ou d’efficacité incertains qui en résulteront pour les Québécois. On sort de la lecture de ce chapitre dans un état de relatif épuisement anticipatif. Mais l’éditorialiste équilibre la mise, dans un chapitre suivant, en expliquant ce qu’il faut faire pour assurer au Québec une place respectable dans l’ensemble canadien. Car s’il minimise, chemin faisant, l’ampleur des conflits ponctuels qui opposent le Québec et le Canada et se montre outrageusement miséricordieux envers l’irrespect de la démocratie québécoise par Ottawa au moment du référendum de 1995 et après, il ne fait pas de quartier sur la fracture essentielle : « Comment oublier 1982 (le rapatriement de la Constitution sans l’assentiment de l’assemblée nationale) et 1990 (l’échec de l’accord du lac Meech) ? En ces deux occasions, c’est la vision québécoise du Canada, celle des deux peuples fondateurs, qui a été rejetée ». Quoiqu’il feigne parfois d’ignorer que l’accord du lac Meech, adopté par toutes les assemblées provinciales sauf deux, était rejeté par la majorité de l’opinion canadienne, il est conscient de l’ampleur de la tâche. Il reprend à son compte, au sujet du Canada-anglais, cette citation de la regrettée Solange Chaput-Rolland, de retour d’une tournée du ROC : « La crise canadienne n’est pas le résultat de la grossièreté d’une minorité, mais de la mauvaise volonté de la majorité. »
Or, pense André Pratte, le succès de l’expérience canadienne du Québec dépend de la reconnaissance formelle de notre différence par le pays tout entier. En soi, d’abord, car cette non-reconnaissance est malsaine. Stratégiquement, ensuite, car ce vice de fond nourrit le projet souverainiste. « Les fédéralistes québécois peuvent s’estimer chanceux que les Québécois n’aient pas encore claqué la porte » écrit-il, notant que le Canada actuel est toujours à une crise près de l’indépendance québécoise. Alors, que faire ? Comme dans plusieurs de ses éditoriaux, André Pratte se désole de la faiblesse de l’argumentaire fédéraliste, de l’absence de réflexion, d’analyse, de présence dans les Cégeps et les universités de ses camarades de combat. Gesca place des fédéralistes dans presque toutes les pages éditoriales de la province ? Les forces pro-canadiennes sont au pouvoir à Québec, Ottawa et dans les grandes mairies ? Les entreprises appuient l’unité du pays ? Rien n’y fait. Sous la plume de l’éditorialiste, les forces fédéralistes sont sur la défensive, cernées par des troupes indépendantistes supérieures en nombre et en munitions. (Notons que M. Pratte s’emploie effectivement, dans son journal, à former une relève de signatures fédéralistes. Le trio Pratte-Dubuc-Gagnon ne suffit manifestement pas à la tâche).
Il en faudra, des troupes et de l’énergie, car selon lui, « pas une seule déclaration d’un député, d’un universitaire ou d’un syndicaliste souverainiste ne devrait rester sans réponse ». Mais cela ne constitue que la pointe de l’iceberg. Ce n’est pas tant l’opinion québécoise qui pose problème, mais la canadienne, car, affirme-t-il, « il est essentiel que la Constitution canadienne soit un jour amendée pour mieux refléter la vraie nature du pays ». André Pratte mesure la difficulté, mais propose de relever le défi : « Il s’agit de convaincre les Canadiens, un par un s’il le faut ». Grâce au récent débat sur la motion fédérale reconnaissant l’existence de la nation québécoise, on connaît maintenant précisément l’ampleur de la tâche. Puisque 77% des Canadiens hors Québec rejettent la notion de nation, selon un sondage Léger Marketing-TVA du 28 novembre 2006, M. Pratte et ses collègues n’ont plus qu’à convaincre, un par un, 18 819 466 Canadiens (moins les enfants, s’entend).
Il avoue que, lorsqu’il enjoint ses frères d’armes fédéralistes au combat, plusieurs se défilent. Et il raconte qu’un jour où il était lui-même au front, en Alberta, à tenter de convaincre un auditoire de la nécessité d’une reconnaissance formelle du fait québécois, un homme d’affaires local lui a répondu : « Pourquoi ne pas laisser le Québec partir, tout simplement ? »
Indépendantiste convaincu, pour la simple raison que je crois mon peuple digne et capable de se gouverner lui-même, je suis sans doute mal placé pour juger. J’ai du respect pour les convictions d’André Pratte et pour la fougue et l’intelligence qu’il met à les défendre. Mais j’ai l’impression qu’un certain nombre de ses lecteurs fédéralistes seront tentés de tirer la même conclusion que cet Albertain. Certes, ni le Québec souverain, ni le Canada actuel ne sont les « pays des merveilles » que les souverainistes d’une part, les trudeauistes de l’autre tentent de décrire. Mais, défi pour défi, énergie pour énergie, les chances de réussir le Québec souverain, tout imparfait soit-il, semblent plus grandes que les chances de convaincre les Canadiens, un à un s’il le faut, de reconnaître – symboliquement, juridiquement et concrètement – notre différence. Ayant vécu le rapatriement de 1982, Meech, Charlottetown et le refus de toute réforme substantielle après 1995, le pays des merveilles le plus chimérique est peut-être celui dont l’éditorialiste rêve.
Dubuc, Alain, Éloge de la richesse, Éditions Voix parallèles, Montréal 2006, 335 pages
Pratte, André, Aux pays des merveilles, VLB Éditeur, Montréal 2006, 153 pages.
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Article paru dans Les Cahiers du 27 juin, Automne/Hiver 2007, Vol 3, No2.
Jean-François Lisée
L’auteur est directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (Cérium) et ex-conseiller de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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