En convoquant des élections anticipées au Royaume-Uni pour le 8 juin, Theresa May a repris l'initiative et a choisi comme champ de bataille le Brexit - ce qui met le principal parti d'opposition en désarroi, explique l'historien John Laughland.
Avec son annonce surprise d'élections anticipées, Theresa May a renversé l'échiquier politique au Royaume-Uni et en Europe.
Depuis le référendum sur le Brexit le 23 juin 2016, et son arrivée au pouvoir comme successeur de David Cameron le 11 juillet, les opposants au vote populaire ont accumulé des victoires. Celles-ci étaient partielles, certes, mais cumulatives. Elles risquaient d'entraîner une mort à petit feu pour le grand projet national du Brexit que Mme May ne pouvait pas ne pas faire sien une fois devenue premier ministre.
Tout d'abord, une saisine de la justice a obligé le gouvernement à avoir recours au Parlement avant de présenter à l'Union européenne l'annonce formelle de son intention de quitter l'organisation. Cette saisine n'a retardé le processus que de quelques semaines, mais elle était symbolique de la disposition d'une certaine élite financière et politique à faire fi du résultat du référendum et à mettre tous les bâtons possibles dans les roues du Brexit.
Une sorte de guerre des classes semblait se profiler à l'horizon, entre un électorat pro-Brexit et des membres non élus du Parlement ou du système judiciaire
Le débat à la Chambre des Lords qui a eu lieu à cause de cette saisine a souligné à quel point cette élite est viscéralement opposée à la volonté populaire. Une sorte de guerre des classes semblait se profiler à l'horizon, entre un électorat pro-Brexit présenté, à tort, comme mal éduqué et pauvre, et des membres non élus du Parlement ou du système judiciaire qui, eux, s'enorgueillissent de savoir mieux que le peuple ce que celui-ci doit désirer.
A ces oppositions de la part du haut gratin de l'establishment se sont rajoutées des magouilles politiques. Le parti travailliste avait menacé de profiter d'un second vote au Parlement pour voter contre l'accord final qui serait conclu avec l'UE d'ici quelques années. Le parti libéral avait promis de tout faire pour saboter le processus dans son ensemble, son dirigeant excité affirmant que le premier ministre outrepassait ses droits en quittant l'UE. Pire encore, le parti nationaliste écossais avait agité la menace de la sécession pour empêcher un Brexit «dur», mettant ainsi en péril la survie même de l'Etat britannique.
Mme May risquait aussi de s'asphyxier par absence de mandat démocratique direct. Tout premier ministre qui n'a pas gagné lui-même une élection est, par définition, en position de faiblesse. C'était le cas de Gordon Brown, l'un des premiers ministres les plus catastrophiques de l'histoire récente, battu en 2010, tout comme de James Callaghan, qui est devenu premier ministre en 1976 suite à la démission surprise de Harold Wilson. Son gouvernement est tombé en ruines en 1978-9 quand le pays a touché le fond pendant l'«hiver du mécontentement», un moment lugubre dans l'histoire britannique qui heureusement a été suivi par la victoire de Margaret Thatcher en 1979.
Une victoire des Conservateurs semble, en effet, certaine
Certes, Mme May pouvait compter sur sa majorité à la Chambre des Communes pour battre ses ennemis. Mais en convoquant les élections anticipées, elle prend ceux-ci à contre-pied. Tous les sondages annoncent une victoire décisive pour les Conservateurs en juin. Une estimation basée sur un échantillon de 10 000 personnes lui donne une majorité absolue non pas de douze députés, la petite majorité actuelle dont elle a hérité de David Cameron, mais d'une centaine. Une telle majorité écrasante rendrait Mme May inattaquable pendant plusieurs années. Même si son score s'avère moins spectaculaire – peu de premiers ministres ont eu des majorités aussi grandes – toute victoire avec une majorité accrue pour elle lui prêterait un élan incontestable.
Une victoire des Conservateurs semble, en effet, certaine. Aux dernières législatives, les Conservateurs ont gagné grâce à l'effondrement du vote travailliste partout dans le pays et surtout en Ecosse, son fief traditionnel. Les Ecossais se sont rués sur le Parti National Ecossais (SNP), ôtant aux Travaillistes toute possibilité d'atteindre une majorité au parlement de Westminster. L'ancien dirigeant du Labour, Ed Miliband, ayant été éjecté de son poste, le nouveau dirigeant, Jeremy Corbyn, reste à la traîne dans les sondages. Le vieux camarade à la casquette de Lénine n'a aucune chance d'être élu. La presse se délecte tous les jours de la semaine de ses maladresses et de son incompétence organisationnelle.
Comme Mme May l'a souligné dans le court discours qu'elle a prononcé le matin du 18 avril sur le perron du 10, Downing Street, le nouveau calendrier politique qu'elle vient d'édicter renforcera aussi sa position vis-à-vis de l'UE. Non seulement elle aura patiné sa crédibilité, ayant convoqué les élections anticipées explicitement sur le thème du Brexit, mais elle aura aussi gagné du temps. L'article 50 ayant été déclenché fin mars, la fin des négociations avec l'UE, qui est prévue pour 2019, risquait de coïncider avec la pré-campagne électorale britannique de 2020. Maintenant, si elle réussit son pari, elle sera élue confortablement jusqu'en 2022. Bruxelles ne pourra plus espérer de l'affaiblir en soutenant ses ennemis internes, comme les élites européennes comptaient certainement le faire.
A Lancaster House au début de l'année, Mme May a annoncé son intention de quitter non seulement l'UE mais aussi le marché unique et l'espace économique européen
Cette élection, qui sera une sorte de deuxième référendum sur le Brexit, mettra aussi fin au débat stérile sur les mérites d'un Brexit «dur» ou d'un Brexit «doux». A Lancaster House au début de l'année, Mme May a annoncé son intention de quitter non seulement l'UE mais aussi le marché unique et l'espace économique européen. Son projet ayant été soumis à un vote national, et présenté en bonne et due forme à l'électorat, il ne sera plus possible pour les pro-Européens d'affirmer, à l'instar du dirigeant du Parti libéral-démocrate, Tim Farron, que Mme May n'avait aucun mandat démocratique pour sortir le pays de l'EEE.
Pour résumer, Mme May avait tout à perdre avec l'attitude attentiste qu'elle adoptait dans la foulée de son arrivée au pouvoir, quand elle refusait d'envisager des élections anticipées. Plus longtemps elle attendait, mieux ses ennemis se regroupaient, en Grande-Bretagne comme à l'étranger. Ayant repris l'initiative en choisissant un champ de bataille, le Brexit – un choix qui met le principal parti d'opposition en désarroi car les Travaillistes, eux-mêmes divisés sur le Brexit, et aliénés de leurs électeurs sur le sujet, préfèrent ne pas trop en parler – Mme May a renversé cette tendance si dangereuse pour elle. Jamais la devise des forces spéciales britanniques, le SAS, n'aura été aussi vraie : «Qui ose gagne».
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