Économie et indépendance: rien de nouveau

2006 textes seuls


Dans une déclaration-choc faite à la Presse Canadienne et abondamment reprise dans tous les médias, l'auteur Michel Tremblay nous apprend qu'il ne croit plus à l'indépendance du Québec, et que cette volte-face tient essentiellement au fait que l'économie prend beaucoup trop de place dans le mouvement souverainiste.
«Quand on a commencé à vouloir un pays, l'économie était moins importante que l'orgueil d'être les représentants de la francophonie en Amérique du Nord », soutient-il.
«Maintenant, quand on veut faire un pays, il faut aller rassurer les Américains. Tant et aussi longtemps que l'économie sera placée en première place, on ne fera jamais la souveraineté.»
Il est vrai qu'on parle beaucoup d'économie dans le camp souverainiste. Mais M. Tremblay, disons-le poliment, ne semble pas réaliser qu'il n'y a là rien de nouveau. Au contraire: depuis la création du Mouvement souveraineté-association, ancêtre du Parti québécois, l'économie a toujours été au coeur du discours indépendantiste. D'ailleurs, le terme même de souveraineté-association est suffisamment évocateur en soi: souveraineté, oui, mais assortie d'une association avec le reste du Canada, essentiellement pour des raisons économiques.
Dans Option Québec, ouvrage écrit dans les mois qui ont suivi son départ fracassant du Parti libéral en 1966, René Lévesque consacre de longs passages à l'économie. Il expliquait pourquoi il voyait la souveraineté comme un moyen de doter le Québec de leviers économiques plus forts.
C'est le Parti québécois qui, lors de la campagne électorale de 1973, a concocté et publié son célèbre Budget de l'an un, document qui occupera l'avant-scène de l'actualité politique pendant des semaines.
Et que dire de tout le tralala déployé par le PQ, en 1976, pour annoncer en grande pompe la candidature de l'économiste Rodrigue Tremblay? Le même Rodrigue Tremblay qui s'empressera, une fois nommé ministre de l'Industrie et du Commerce, de publier avec éclat des «comptes économiques» préfigurant, avec 30 ans d'avance, le débat à venir sur le déséquilibre fiscal.
Et après la victoire péquiste, René Lévesque n'a rien trouvé de plus urgent que de se précipiter à New York pour aller rassurer les membres de l'Economic Club (sortie qui s'est d'ailleurs plutôt mal passée).
Michel Tremblay ne se souvient peut-être pas du premier budget de Jacques Parizeau, au printemps 1977. Moi, je m'en souviens, j'y étais. En homme intelligent et bien renseigné, M. Parizeau savait que tous les milieux économiques et financiers nord-américains avaient les yeux braqués sur lui, et il s'est arrangé pour produire un budget qui a plu à Wall Street.
Plus près de nous, dans les années 80, on a vu le vice-président du PQ à l'époque, Bernard Landry, plonger avec courage et lucidité dans la bataille en faveur du libre-échange. Courage, parce que les syndicats étaient violemment opposés au projet, et qu'une large partie de la base militante du PQ provient des syndicats. Lucidité, parce que les événements lui ont donné raison deux fois plutôt qu'une.
Encore plus près de nous, dans les années 90, on a vu le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard s'attaquer de front au cancer des finances publiques et rétablir l'équilibre des finances publiques, chose que n'avaient jamais osé faire les libéraux de Robert Bourassa.
Je pourrais multiplier les exemples. Dans l'opposition ou au pouvoir, toute l'histoire du mouvement souverainiste tourne autour des questions économiques, et le discours actuel des André Boisclair, Gilles Duceppe et François Legault ne fait que poursuivre la tradition.
Le projet souverainiste québécois s'est bâti une solide crédibilité grâce à des porte-parole brillants et éloquents, parfaitement conscients que son volet économique intéresse les Québécois au plus haut point. C'est tout à fait normal. Aucune société ne peut penser à devenir indépendante si elle n'entend rien à son économie.
Il appartient donc aux leaders souverainistes de continuer à expliquer comment un Québec indépendant pourrait survivre et prospérer dans un monde de plus en plus compétitif.
Certes, un Québec indépendant pourrait figurer en bonne place dans le club des pays riches, dès son entrée dans le concert des nations. Il existe 193 pays indépendants; si le Québec s'ajoutait à la liste, il se classerait au 23e rang pour son produit intérieur brut (PIB) par habitant, à un niveau comparable à ceux de la France, de l'Allemagne ou du Royaume-Uni.
En revanche, sur le continent nord-américain, le Québec figure parmi les sociétés les plus pauvres. Le PIB par habitant au Québec se situait en 2004 à 35 100 $ contre 41 900 $ dans le reste du Canada. S'il était un État américain, le Québec figurerait parmi les quatre plus pauvres.
Le Québec dispose d'atouts considérables: une main-d'oeuvre bien formée, des professionnels de haut niveau dans de nombreux domaines, des ressources abondantes, et notamment un potentiel hydroélectrique exceptionnel, une base industrielle diversifiée, une position de leader en informatique, en pharmaceutique, en aéronautique, en génie-conseil. D'un autre côté, les Québécois sont les citoyens les plus taxés et les plus bureaucratisés en Amérique du Nord. Les finances publiques québécoises sont en piteux état, et le gouvernement doit engloutir plus de 7 milliards par année pour payer les intérêts sur sa dette. Advenant l'indépendance, le Québec devra en outre assumer sa part de la dette fédérale. Le Québec fait face à des défis démographiques d'une gravité sans précédent. Il a d'importants problèmes de productivité.
Ben oui, tout ça, et des dizaines d'autres sujets, c'est de l'économie. Et cela a un impact sur notre vie de tous les jours. Ce n'est pas en pestant contre la " maudite économie " qu'on avancera à grand-chose. Au contraire, on n'en parlera jamais assez.


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