Décidément, toute activité tendant à réveiller les fantômes de l'histoire récente de l'Espagne a le don d'irriter ceux qui détiennent les clés du pouvoir. Pour s'en convaincre, il suffit de s'attarder au sort réservé au juge Baltasar Garzón. Il y a peu, il a été condamné à 11 ans d'interdiction d'exercer son métier. Autrement dit, vu son âge, sa carrière de magistrat vient d'être mise entre parenthèses. De quoi était-il accusé? D'avoir ordonné des écoutes illégales dans une affaire de corruption dans laquelle des personnalités du Parti populaire, au pouvoir depuis trois mois, étaient suspectées. Plus exactement, Garzón avait la certitude que, lors des conversations entre ces individus et leurs avocats, les premiers ordonnaient aux seconds de blanchir de l'argent.
Dans la foulée de cette interdiction, tous les efforts déployés par Garzón pour que le droit à la mémoire des victimes et enfants des victimes des exactions commises sous le régime franquiste soit reconnu ont été réduits en cendre. Enfin, pas totalement, mais bon... il n'en restera pas grand-chose. Toujours est-il que, sur ce front, les enquêtes menées à la suite des 22 plaintes — 22! — déposées par autant d'associations rassemblant les esquintés du franquisme, l'élite du pays était hantée, tétanisée à l'idée que Garzón fasse la lumière sur les mille et une basses oeuvres d'un régime qu'on qualifie par l'euphémique autoritaire alors qu'il était bel et bien un régime totalitaire ainsi qu'en font foi bien des études signées par des historiens espagnols.
Il faut rappeler qu'au nom du «caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité», pour reprendre ses mots, Garzón avait décidé de s'affranchir de la Loi d'amnistie votée par les parlementaires en 1977. Autrement dit, il avait substitué le droit international au droit national, conscient, pour reprendre maintenant le constat de l'historien Fransisco Espinosa, que cette amnistie, «en effaçant tous les délits, a aussi effacé l'Histoire» d'un «pays qui cherche l'amnésie».
Si son enquête ne sera pas menée à son terme, on sait, grâce évidemment au boulot accompli jusqu'ici, que le nombre de cadavres reposant dans les fosses communes dépasse largement les 100 000. On sait également que le rapt de nouveau-nés commencé au lendemain de la guerre civile, avec la connivence du clergé, s'est poursuivi jusqu'au milieu des années 1990. Si à ses débuts cette odieuse opération avait été conçue pour «sauver» les enfants des rouges, elle fut transformée, après la mort de Franco, en une opération plus financière. Selon plus d'une estimation, 300 000 gamins de moins d'une semaine ont été kidnappés. Plusieurs d'entre eux, tenez-vous bien, ont été enlevés au bénéfice de bourgeois argentins et chiliens lors des dictatures des généraux.
Cela étant, il faut espérer que Garzón fera appel, comme il en a le droit, auprès de la Cour européenne des droits de l'homme afin que le crime des crimes de Franco et ses sbires demeure imprescriptible et qu'enfin le droit à la mémoire soit respecté.
Les crimes de Franco
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